Edito
L’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé passe par une prévention active et personnalisée !
En avril dernier, une étude de l’INED montrait que l'espérance de vie des Français et des Françaises avait augmenté entre 2008 et 2010 mais que, parallèlement, l'espérance de vie sans incapacité (EVSI) avait pour sa part légèrement diminué au cours de la même période (Voir étude).
Selon ces recherches, entre 2008 et 2010, les Françaises ont gagné 5 mois d'espérance de vie (84,8 à 85,3 ans) alors que leur espérance de vie sans incapacité a diminué d’un an. Chez les hommes, cette étude montre que l'espérance de vie a augmenté de 4 mois (77,8 à 78,2 ans) mais que leur espérance de vie sans incapacité a régressé de huit mois, passant de 62,7 à 61,9 ans.
Ainsi, en 2010, les Françaises pouvaient espérer vivre en bonne santé 74,4 % de leur espérance de vie totale contre 76,1 % en 2008 et les français 79,1 % contre 80,6 %.
Mais pour faire sens, une étude épidémiologique, aussi rigoureuse soit-elle, doit toujours être reproduite et comparée à d’autres travaux. Or, une récente étude danoise montre que les performances cognitives des nonagénaires se sont améliorées en à peine une dizaine d’années.
Encore plus récemment, une étude britannique vient de confirmer cette évolution favorable (Voir étude).
Selon ce travail, le pourcentage des personnes de plus de 65 ans atteintes de la maladie d'Alzheimer au Royaume-Uni aurait baissé de près de 25 % en l'espace de 20 ans, passant de 8,3 % à 6,5 %.
Les chercheurs, dirigés par le Docteur Carol Brayne de l'Institut de santé publique de Cambridge, ont comparé deux groupes d’environ 7.000 personnes tirées au sort dans les mêmes régions d'Angleterre et du Pays de Galles, le premier au début des années 1990 et le second entre 2008 et 2011.
L’étude souligne que l’extrapolation des résultats à la population anglaise totale conduit à évaluer à 664 000 le nombre de personnes qui étaient atteintes en 1991 de la maladie d’Alzheimer en Grande-Bretagne. Les chercheurs font remarquer que, compte tenu du vieillissement global de la population intervenu entre 1991 et 2011, le nombre total de malades atteints par la maladie d’Alzheimer aurait dû atteindre les 884 000 en 2011.
Mais, et c’est là que les observations épidémiologiques deviennent très intéressantes, les chercheurs ont calculé à partir des résultats du deuxième groupe, que le nombre total de personnes souffrant d’Alzheimer n’était que de 670 000 en 2011, ce qui représente 214 000 malades de moins que prévu.
Autre observation remarquable faite par cette étude : cette diminution de 24 % de la fréquence des démences à âge égal a été relevé pour toutes les tranches d’âge et aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
À titre d’exemple, cette fréquence est passée, chez les hommes de 80 à 84 ans, de 14,6 % en 1991 à 10,6 % en 2011. Pour les femmes de cette même tranche d’âge, cette fréquence est passée de 13,9 % à 9,5 %.
Cette étude montre donc clairement que certains facteurs, qui auraient dû augmenter le nombre de malades d’Alzheimer dans une tranche d’âge donnée, ont finalement eu un impact moindre que les facteurs contribuant à la diminution de cette pathologie, tels que l’exercice physique, la stimulation intellectuelle ou encore le traitement de l’hypertension et des maladies cardio-vasculaires.
Cette étude confirme par ailleurs une autre recherche danoise montrant que les personnes âgées de plus de 90 ans auraient un niveau de performances cognitives sensiblement plus élevé que celles de la même tranche d’âge il y a 10 ans.
Les conclusions de ces études récentes vont donc à l’encontre des prévisions très pessimistes encore largement répandues actuellement et selon lesquelles la fréquence et le nombre total de malades d’Alzheimer devraient très fortement augmenter dans les décennies à venir.
Selon ces travaux, il semblerait qu’on assiste au contraire à un ralentissement très sensible du nombre de nouveaux cas de maladie d’Alzheimer par rapport aux prévisions initiales. Ce phénomène surprenant par son ampleur pourrait résulter des effets de plusieurs facteurs combinés.
Parmi ceux-ci, il y aurait la prévention plus généralisée et plus précoce des maladies cardiovasculaires mais également le développement sensible des activités intellectuelles, culturelles et sociales chez les personnes âgées et, plus globalement, l’adoption d’un mode de vie plus sain chez les seniors, marqué notamment par un développement de l’activité physique régulière.
Une autre étude récente réalisée par l’Inserm montre que les démences séniles et maladies neurodégénératives pourraient également être prévenues ou sensiblement retardées en repoussant l'âge de la retraite.
Ce travail, réalisé sur une population de 430 000 personnes cotisant au RSI, montre que chaque année supplémentaire travaillée après l'âge de 60 ans réduirait en moyenne de 3 % le risque de développer la maladie d’Alzheimer.
En fait, le facteur protecteur ne serait pas le travail en tant que tel mais le fait de maintenir une activité intellectuelle et de garder des liens sociaux forts.Une autre étude américaine, publiée en mars 2013, montre d’ailleurs que le fait de lire et écrire réduirait de moitié les risques de perte des facultés cognitives (Voir étude).
Dans cette étude, les chercheurs ont constaté que le déclin cognitif ralentissait d’un tiers chez les personnes les plus intellectuellement actives, par rapport à celles à faible activité cognitive.
Cette tendance très intéressante vient également d’être confirmée par une autre étude, publiée fin août, par l’organisme américain d’Assurance maladie (Medicare). Cette étude montre que le niveau moyen de santé continue à progresser jusqu’au décès des individus.
Dans ce travail, les chercheurs soulignent l’existence d’un phénomène intéressant : la « compression de la morbidité » et ils montrent que l'espérance de vie ainsi que le niveau de santé, continuent en moyenne de progresser, même chez les personnes très âgées (Voir NBER).
Cette recherche montre également que l’espérance de vie globale continue à augmenter car il y a compression du nombre d’années avec incapacité et augmentation du nombre d’années sans incapacité. C’est pourquoi les chercheurs parlent de « compression de morbidité ». En l’occurrence, ce travail a montré que l'espérance de vie avec incapacité a diminué de 0,9 ans pendant la période de référence
On le voit, ces études très rigoureuses du point de vue scientifique et épidémiologique conduisent à réexaminer et à relativiser la présentation médiatique biaisée faite à partir de la récente étude de l’INED que nous avons évoquée.
Ces recherches, largement commentées par la presse, montraient en effet que, si l’espérance de vie globale à la naissance continuait à progresser au même rythme en Europe, on notait toutefois une stagnation de la progression de l’espérance de vie sans incapacité au niveau européen depuis 2005.
La plupart des médias ont largement repris cette information mais sans replacer la situation de la France dans son contexte particulier. En effet, cette passionnante étude épidémiologique précisait qu’en France, l’espérance de vie sans maladie chronique avait continué à progresser, alors qu’elle stagnait pour la moyenne européenne.
Par ailleurs, cette étude montrait que l’espérance de vie sans limitation d’activité des hommes français avait augmenté parallèlement à l’espérance de vie globale.
En outre, ce travail soulignait qu’en France, contrairement à la situation qui prévaut en Europe, les années de vie gagnées ne se sont pas systématiquement accompagnées de maladies déclarées, ni même de limitations d’activité.
Enfin, cette mise en évidence, dans la toute récente étude américaine Medicare, d’une « compression de morbidité » chez les personnes très âgées, confirme que, même si le rythme de progression de l’espérance de vie sans incapacité et sans pathologie peut évidemment fluctuer dans le temps, voire stagner à certains moments, en raison d’un grand nombre de facteurs, il n’en reste pas moins vrai qu’en France tout du moins, l’espérance de vie globale comme l’espérance de vie sans incapacité continuent à progresser en tendance et sur le long terme.
On voit donc à quel point une présentation médiatique simplificatrice d’une étude épidémiologique complexe et nuancée peut conduire à répandre des allégations inexactes et à propager la fausse rumeur d’une soi-disant « inquiétante diminution de l’espérance de vie sans incapacité » dans notre Pays.
Une récente étude réalisée par des chercheurs de l'Université de Dijon a permis de suivre pendant 12 ans, 3 982 personnes, âgées de 65 ans et valides au début de l’étude BMJ (Voir BMJ).
Au cours de ce travail, 1 236 participants (31 %) ont développé une incapacité sévère. En analysant la part des différents facteurs favorisant l'apparition de cette incapacité, les chercheurs ont montré que l'absence d'activité physique joue un rôle majeur dans l'apparition de la dépendance.
Viennent ensuite les mauvaises habitudes alimentaires, tels qu'une consommation insuffisante de fruits et légumes, le tabagisme et enfin une consommation excessive d'alcool.
Ce travail original montre que le risque de dépendance augmente progressivement avec l’accumulation de ces comportements et que les personnes cumulant 3 de ces facteurs de risque multiplient par 2,5 leur risque de développer une dépendance, par rapport à celles ne présentant aucun de ces facteurs.
L’ensemble de ces études appelle plusieurs réflexions en matière de prévention et de santé publique. Tout d’abord, l’amélioration de la prévention et de la prise en charge de certaines pathologies liées au vieillissement a permis un gain en termes d’espérance de vie sans invalidité sensiblement plus important que celui qui était prévisible il y a encore une vingtaine d’années.
Cette découverte est évidemment très encourageante et doit nous conduire à accélérer la mise en œuvre d’une politique de prévention globale et personnalisée beaucoup plus ambitieuse, visant spécifiquement les personnes âgées.
Concrètement, nous devons passer d’une politique de santé reposant essentiellement sur des prescriptions d’interdiction (ne pas fumer, limiter strictement sa consommation d’alcool, ne pas manger trop gras ou trop sucré) à une politique de prévention axée sur l’adoption active d’un mode de vie sain, susceptible de protéger les seniors efficacement contre les trois grandes familles de pathologies qui les menacent particulièrement : les maladies cardio-vasculaires, les cancers et les maladies neurodégénératives.
On sait à présent, grâce à de multiples études scientifiques réalisées au cours de ces dernières années, que la prévention active de ces trois types de pathologie passe globalement par des mesures et prescriptions communes : pratiquer une activité physique régulière, adopter une alimentation saine et équilibrée, traiter précocement l’hypertension et le cholestérol et enfin conserver une activité sociale, intellectuelle et culturelle suffisante pour maintenir son cerveau et ses fonctions cognitives en bon état.
La mise en œuvre de cette prévention globale, active et personnalisée à destination des seniors, ne pourra se faire qu’en associant et en mobilisant l’ensemble des acteurs concernés : état, médecin, établissements hospitaliers mais également associations, familles, collectivités locales et organismes sociaux.
Cette nouvelle politique de prévention active et personnalisée en matière de santé est la seule voie possible si nous voulons que demain, dans une population qui comptera plus de seniors que d’enfants et de jeunes adultes, la progression continue de l’espérance de vie globale s’accompagne parallèlement et sans explosion du coût collectif des dépenses de santé, d’une progression au moins aussi importante de l’espérance de vie en pleine autonomie et sans incapacité majeure.
Souhaitons que nos responsables politiques qui raisonnent et agissent le plus souvent sur des échelles de temps liées à la durée de leurs mandats, aient la clairvoyance et le courage de dégager les moyens financiers et humains suffisants pour développer dans la durée cette nouvelle politique sanitaire médicale et sociale qui ne produira ses effets qu’à long terme mais qui est indispensable pour répondre au défi de civilisation que représente la perspective d’une longévité moyenne pour l’espèce humaine qui pourrait bien dépasser les 100 ans avant le milieu de ce siècle !
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat