Edito
Pourquoi la France prend-elle tant de retard pour entrer dans la société de l'Information ?
Il y a quelques jours, la Commission Européenne vient d'adresser un grave avertissement aux principaux pays européens : la productivité de l'Europe prend du retard. L'échec de l'Union, dit la Commission, s'explique par un retard pris par l'Europe dans le domaine des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC). Le dernier rapport annuel Point Topic met en évidence les difficultés rencontrées par l'Europe pour entrer dans les hauts débits. Ainsi, en Corée du Sud où va se jouer dans quelques jours la Coupe du Monde de football, le taux de pénétration de l'ADSL est de 10,95 % (5.170.000 abonnés au 1er janvier 2002) alors qu'à la même date il n'y avait que 430.000 foyers français (0,71 %) à utiliser ADSL. Le rapport Point Topic estime que la prédominance des opérateurs historiques sur le marché européen ne favorise pas la pression concurrentielle. Deux éléments sont décisifs pour décider un consommateur à utiliser le haut débit : les tarifs et les débits réels. Or, dans ces deux domaines essentiels, l'Europe accuse un réel retard par rapport au reste du Monde et essentiellement la plaque Asie-Pacifique. Ainsi, au Japon, il est possible de disposer d'ADSL pour une dépense mensuelle globale (abonnement + coûts d'installation et de matériels) de 23,5 Dollars par mois (25,54 Euros) alors qu'il faut le double en France (47,92 Dollars ou 52,09 Euros). Et encore faut-il préciser qu'au Japon, pour cette somme de 23,5 Dollars (moins de 170 Francs) l'internaute peut bénéficier d'un débit de 2 Mégabits alors qu'en France, pour une somme dépensée deux fois plus élevée, l'internaute ne dispose, dans le meilleur des cas, que de 500 Kilobits. Si nous voulons sortir de cette situation qui obère l'avenir de la France et de l'Europe, il est nécessaire que notre Pays mais aussi les autres principales puissances européennes prennent les mesures qui s'imposent. Il faut tout d'abord que tous les pays européens qui ont vendu (par enchère ou en suivant d'autres procédures) des fréquences UMTS se mettent sans retard autour d'une table, et après avoir fait établir un audit objectif de la situation, prennent toutes les décisions qui s'imposent. Il n'est plus possible de rester dans les incertitudes actuelles et constater les reports successifs du lancement opérationnel du téléphone mobile de 3e génération. Ces incertitudes doivent être levées non seulement au niveau technologique et financier mais aussi au niveau des usages et des contenus. Les principaux pays européens qui ont tous des opérateurs historiques en grande difficulté doivent en commun trouver des solutions acceptables par le Marché, pour désendetter ces grands groupes sans léser des dizaines de millions de petits porteurs. Ils devront ainsi définir en commun de nouvelles règles pour libéraliser, enfin, les télécommunications en Europe. Les Etats devront mettre en place des outils efficaces pour faire respecter, avec rigueur, les règles d'une réelle concurrence. Enfin, les économistes européens devront, avec humilité, revoir leurs modèles économiques. La « Loi de Moore » qui a régenté le développement de l'informatique depuis 30 ans va totalement s'imposer aussi dans le domaine des télécommunications. Non seulement les recettes moyennes par abonné (Arpu) n'augmenteront plus si les services ne s'améliorent pas mais auront même tendance à baisser. Pour élargir les recettes, ce n'est donc pas dans la technique qu'il faudra seulement rechercher la solution mais aussi, et essentiellement, dans les services. Ainsi, nous sommes actuellement dans une situation aberrante concernant l'UMTS. Même si ce mobile 3G tenait toutes ses promesses au niveau technologique et financier (ce qui est loin d'être le cas), le public ne saurait même pas qu'en faire... Il n'est pas possible que nous perdurions dans un tel enchaînement d'erreurs ! Si la situation de l'Europe n'est pas bonne globalement, si nous la comparons au reste du monde développé, la situation de la France est bien plus désolante encore ! Aussi, pour que la France réussisse enfin son entrée dans la Société de l'Information, il faut réunir un ensemble de conditions évidentes et fortes. Il faut tout d'abord que tous les Français puissent disposer dans un délai raisonnable (5 ans) d'un accès « haut débit » et ce, à un prix accessible par le plus grand nombre (moins de 200 Francs par mois pour une durée illimitée) et avec un réel haut débit (minimum de 2 Mégabits). Pour cela, je porte la conviction qu'il faut construire un réseau alternatif (fibre optique, câble, radio ou autre technologie) au réseau national de l'opérateur historique. Ce n'est qu'à cette condition que pourra se développer une réelle concurrence qui permettra à notre Pays d'entrer enfin dans la Société de l'Information. Pour réussir un pari d'une telle audace dans un contexte qui semble, a priori, peu favorable, il faudra réunir toute la volonté politique de l'ensemble des collectivités françaises (Etat, Régions, Départements, Communes) et l'initiative privée. Mais nous avons bien conscience que celle-ci ne pourra s'exprimer que lorsque l'horizon aura été clairement dégagé et que des certitudes de revenus, tant attendus, s'ouvriront enfin à terme. En particulier, pour atteindre ces objectifs ambitieux d'aménagement du territoire permettant à chaque Français, à échéance de 5 ans, d'accéder au haut débit pour des prix raisonnables, il est nécessaire que ces réseaux modernes (large bande) portent non seulement tous les services de télécommunications et de transports de données mais soient aussi particulièrement adaptés au transport de l'image, pour permettre une diffusion intégrale et de grande qualité de la télévision numérique terrestre. Je dis à nouveau que ce serait une erreur d'utiliser les faisceaux hertziens pour la diffusion de la TNT. L'expérience nous prouve qu'il n'est pas suffisant qu'un Pays dispose d'un accès à la Toile Mondiale, pour le plus grand nombre, à un haut débit, pour que celui-ci entre avec force dans l'avenir. Cela est particulièrement vrai pour les pays latins. Le problème se pose aussi (et peut-être surtout) en termes culturels. Il faut que notre peuple adhère et s'enthousiasme pour cette nouvelle société. Pour cela, il faudra beaucoup de pédagogie et d'exemplarité. Dans notre société pyramidale, les responsables placés au sommet de nos structures devront non seulement reconnaître que ces nouvelles technologies sont importantes pour l'avenir, comme ils savent si bien le faire depuis quelques années... mais ils devront s'immerger eux-mêmes dans ces nouveaux mondes en les pratiquant chaque jour. Il faut aussi que notre Pays, si doué dans ces domaines virtuels, sache imaginer et développer des contenus séduisants et naturels, aussi bien dans le domaine éducatif que dans les jeux, les logiciels ou le cinéma. Il faut asseoir cette nouvelle économie non plus sur le rêve et la gratuité mais sur le réel et le partage. Notre Pays, qui est nettement en avance sur tous les autres pays du Monde dans le domaine de la monnaie virtuelle grâce à la carte à puce, pourrait ouvrir des voies très fécondes qui nous mèneraient à une nouvelle économie enfin réaliste. Il faut enfin réserver beaucoup de temps à la formation. Ce n'est qu'à cette condition que la plus grande partie de notre Peuple n'aura plus peur de ces nouvelles technologies et ne les regardera plus avec méfiance. De l'école primaire aux clubs du 3e Age, à toutes les étapes de la vie, chacun devra être incité à acquérir de nouveaux usages liés aux Technologies de l'Information et de la Communication. La Corée du sud dont nous allons beaucoup parler dans ces prochaines semaines a mis en évidence que des investissements dans le domaine des TIC, programmés avec détermination sur le long terme, sont tout à fait rentables. Ainsi, en utilisant toutes les technologies disponibles (DSL, câble, Boucle Locale Radio), ce sont près de 60 % des foyers sud-coréens qui disposaient d'un accès haut débit fin 2001. En comparaison, la France affiche un résultat dix fois moindre, soit 6 %. Certes, pour atteindre ces objectifs, l'Etat Sud-Coréen a apporté près de 500 millions d'Euros et surtout a accordé des prêts de 1 à 5 milliards d'Euros aux opérateurs à des taux préférentiels pour équiper le monde rural. La Corée du Sud a aussi stimulé la demande en formant 10 millions de Coréens à l'usage des Technologies de l'Information et de la Communication et en aidant l'implantation de plus de 20.000 cybercafés. Mais l'accélérateur de tout cela fut sans contexte le développement de la concurrence. Ainsi, l'Idate nous précise que le principal concurrent de Korea Telecom qui s'appelle Hanaro pointe déjà la quatrième place mondiale des accès à ADSL avec 836.000 clients. Cette compétition a fait passer le lien ADSL à moins de 30 Euros par mois alors qu'il est encore à 50 Euros en France. David Edmonds, le Directeur Général de l'OFTEL (Office de Régulation des Télécoms en Grande Bretagne) vient de nous faire savoir que l'accès à Internet à haut débit vient de progresser de 54 % depuis le début de l'année en Grande Bretagne (quelque 20.000 connexions par semaine), une demande équivalente, précise l'OFTEL, à celle observée lors de l'arrivée, sur le marché, des téléphones mobiles. Cela est dû, précise le patron de l'OFTEL, à la concurrence et aux prix bas. Tout est dit. Il faut savoir, sans retard, mettre en place, en France, les conditions d'une réelle concurrence et faire cesser ces guerres « picrocholynes » entre France Télécom et les autres opérateurs. Nous devons, dans un respect mutuel mais avec détermination, faire en sorte que tous, nous nous mettions enfin côte à côte pour entrer dans l'avenir. Dans le bruit électoral que connaît la France depuis quelques mois, nous n'avons pas remarqué une étude que vient de publier l'Idate. Et pourtant, la nouvelle est d'importance : la France a perdu en 2001 la troisième position qu'elle détenait depuis longtemps dans les Télécommunications en Europe. Nous étions déjà derrière l'Allemagne et le Royaume Uni. L'Italie, selon cette étude, nous aurait dépassés en 2001.
Nous ne pouvons continuer à glisser ainsi. Il est nécessaire que nous ressaisissions.
René TRÉGOUËT
Sénateur du Rhône