Edito
Particules fines et pollution automobile : il faut agir maintenant
Nous savons à présent, grâce à plusieurs études scientifiques solides et convergentes, que la pollution aux particules fines a des conséquences médicales et sanitaires considérables dans notre pays. Pourtant ce grave problème de santé publique reste largement sous-évalué car si quelque mesures ont été prises pour s'attaquer aux effets de cette pollution très néfaste, aucune politique globale et coordonnée n'a été mise en œuvre par l'État et les collectivités locales pour s'attaquer aux causes réelles de ce problème.
Selon un rapport du programme Clean Air for Europe, mené par la Commission européenne et publié en 2005, les particules fines réduisent l'espérance de vie et sont responsables de 42 000 morts "prématurées" chaque année en France –près de 8 % des décès annuels.
La pollution atmosphérique est également reconnue, depuis octobre 2012, comme l’une des premières causes environnementales de décès par cancer par le Centre international de recherche sur le cancer et d'après les chiffres de cette agence de l’OMS, basée à Lyon, "en 2010, 223 000 décès par cancer du poumon dans le monde entier étaient imputables à la pollution de l'air".
Une autre étude issue du programme européen Aphekom, a passé au crible 25 villes de l'Union européenne, dont 9 françaises (Voir INVS).
Sur ce bassin de 12 millions de personnes, les experts ont conclu à des espérances de vie réduites, à 30 ans, de 3,6 à 7,5 mois selon les villes. Au total, ce sont 2 900 morts prématurées par an dues aux particules fines qui pourraient être évitées si les concentrations moyennes annuelles de PM2,5 respectaient la valeur guide de l'OMS (10 µg/m3).
Sachant que l'étude porte sur un cinquième de la population française, localisée dans les zones les plus polluées de l'Hexagone, on peut donc en déduire que les particules fines entraînent le décès d'au moins 15 000 personnes chaque année en France. Encore faut-il souligner que cette estimation ne tient pas compte des zones rurales polluées. Or, les émissions de particules fines proviennent de 21 % de l'agriculture à 34 % du chauffage domestique, à 31 % de l'industrie et à 14 % des transports.
Ces deux études montrent donc que le nombre total de décès imputables aux émissions de particules fines se situe très probablement entre 15 000 et 42 000 par an, sans qu'il soit possible pour l'instant de l'évaluer plus précisément.
Une autre étude publiée dans le "Lancet" le 9 décembre 2013 dirigée par le chercheur néerlandais Rob Beelen montre que l'exposition prolongée aux particules fines en suspension dans l'air (PM) a un effet néfaste sur la santé, même lorsque les concentrations restent dans la norme dictée par l'Union européenne (UE).
Les résultats cette étude montrent que les particules fines entraînent des effets néfastes importants sur la santé même avec des concentrations aux particules PM 2,5 bien inférieures à la limite fixée par l'UE pour la qualité de l'air, à savoir une concentration moyenne annuelle de 25 microgrammes par mètre cube d'air (Voir The Lancet).
Entre 2004 et 2007, Savina Nodari, chercheuse à l'Université de Brescia, a comparé le nombre d'hospitalisations pour problèmes cardiaques avec le taux de particules en suspension dans l'air dans cette ville fortement industrialisée du nord de l'Italie. Cette étude montre que les admissions à l'hôpital augmentent de manière sensible dès que le taux de PM10 atteint 10 µg/m³. (Voir Science Daily).
En août 2005, une étude britannique publiée dans le « Journal of Epidemiology and Community Health » et dirigée par le Professeur Georges Knox (Université de Birmingham), avait par ailleurs montré, après l’analyse du dossier médical de plus de 12 000 enfants, qu’outre les particules fines, l’exposition prolongée au monoxyde de carbone et au butadiène-1,3 (également appelé vinyléthylène), deux substances émises par les moteurs diesel, pouvait multiplier par douze le risque pour un enfant de décéder d’un cancer (Voir BMJ).
Une autre étude de l’Inserm, publiée en septembre 2004 et réalisée dans quatre villes françaises (Nancy, Lille, Lyon et Paris) et portant sur 280 cas de leucémie aiguë d’enfants, a par ailleurs montré que le fait d’habiter à proximité d’un garage ou d’une station-service pourrait quadrupler le risque de leucémie infantile (Voir BMJ).
Ces différentes études scientifiques convergent donc pour montrer que, même si les émissions de particules fines ont été réduites, en moyenne, de 58 % depuis 1990 en France (selon le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique Citepa), elles constituent, additionnées à l’exposition à certaines substances très nocives émises par les moteurs diesel, un réel problème de santé publique et une cause très largement sous-estimée de pathologies respiratoires et de mortalité prématurée.
Pourtant, malgré ces alertes scientifiques et en dépit des menaces de sanctions financières de la Cour de justice de l'Union européenne, la France ne respecte pas les normes européennes de qualité de l'air. Douze millions de Français vivent dans des zones où les limites annuelles d'émission de particules PM10, extrêmement nocives pour la santé, sont dépassées. Au total, on estime qu’environ 60 % de la population respire un air excessivement pollué.
La région Ile-de-France connaît régulièrement des dépassements en matière de particules fines mais aussi de dioxyde d'azote. En 2012, trois millions de Franciliens ont été exposés à des niveaux de pollution trop élevés. Or, face à cette situation très préoccupante, les mesures prises par les autorités publiques se limitent à un abaissement de la vitesse autorisée, à l'interdiction des feux de cheminée à foyer ouvert et à l'incitation pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes en transit à contourner l'agglomération parisienne.
Au niveau national, la France n’a toujours pas, malgré les recommandations du Grenelle de l'environnement, instauré des « Zones à Faibles Emissions » (LEZ), dans lesquelles la circulation est temporairement interdite aux véhicules les plus polluants. Pourtant, plus de 200 agglomérations européennes ont opté pour cette solution forte et courageuse qui permet réellement d’abaisser la concentration moyenne en polluants et particules fines. À Stockholm par exemple, l’instauration du péage urbain a permis de faire diminuer sensiblement la concentration de particules fines depuis 10 ans.
Outre-Rhin, Berlin arrive désormais en tête des grandes villes européennes pour sa qualité de l'air, suivie de Copenhague, qui s'est fixé pour objectif d'atteindre la moitié des déplacements de ses habitants en vélo, et de Stockholm qui s’est fixé comme objectif de renoncer aux énergies fossiles ici 2050. D’autres grandes métropoles européennes, comme Londres, Oslo et Milan, ont également instauré des péages urbains destinés à limiter strictement la circulation des véhicules les plus polluants en centre-ville.
Comme le rappelle notamment Jérôme Clave, le directeur d'Airparif, association chargée de la surveillance de la qualité de l'air de la région parisienne, la première cause d'exposition de la population dans les grandes agglomérations est le trafic automobile. C’est donc bien sur ce levier qu’il faut agir vite et fort si nous voulons véritablement améliorer la situation sanitaire de la population urbaine et diminuer sensiblement les risques que les citadins encourent pour leur santé.
La France se refuse par ailleurs à aligner la fiscalité avantageuse du diesel sur celle de l'essence, alors que celui-ci est un gros émetteur de particules fines et est classé cancérogène par l'Organisation mondiale de la santé. Pourtant, sept véhicules sur 10 sont équipés de moteurs diesels dans notre Pays et ce parc polluant se renouvelle très lentement puisqu’on estime que près des trois-quarts des véhicules particuliers diesel ne sont toujours pas équipés de filtres à particules…
Or, une étude d'Airparif a montré que le remplacement de tous les véhicules particuliers diesel par des véhicules essence (norme Euro) permettrait d'abaisser de 25 % à 35 % les émissions de particules fines et de 35 % les rejets d'oxyde d'azote en région parisienne. Mais il est vrai qu’un tel transfert n'aurait pas que des avantages: il augmenterait de 6 % les rejets de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique.
Une étude réalisée par l'Institut National de Veille Sanitaire a par ailleurs montré que "si les niveaux moyens annuels de PM2,5 étaient ramenés au seuil de 10 microgrammes par mètre cube (valeur guide préconisée par l'Organisation mondiale de la santé), l'espérance de vie pourrait augmenter jusqu'à 22 mois pour les personnes âgées de 30 ans et plus".
Il faut également rappeler, comme vient de le faire il y a quelques jours la Commission européenne qui prépare une révision du cadre réglementaire sur la pollution de l’air, que les bénéfices pour la santé des personnes liés à la mise en œuvre de ce train de mesures sont d’environ 40 milliards d’euros par an, soit plus de 12 fois les coûts de la réduction de la pollution, qui devraient atteindre 3,4 milliards par an en 2030 selon les estimations de la Commission.
Face à ce grave problème de santé publique, le Gouvernement, le Parlement et les collectivités locales doivent s'inspirer des politiques volontaristes mises en œuvre chez nos voisins européens et prendre des mesures beaucoup plus vigoureuses pour diminuer ces émissions de particules fines et de substances très nocives, liées notamment à la circulation routière, au chauffage mais également à certaines pratiques agricoles.
Parmi ces mesures, notre Pays devrait avoir le courage de réfléchir à une loi allant plus loin que la réglementation européenne et fixant, d'ici 2020, la valeur limite de concentration des particules fines en France à 10 µg par mètre cube (valeur recommandée par l'OMS).
Il faudrait également que le Gouvernement, en concertation avec les autorités européennes, aligne complétement la fiscalité du diesel sur celle de l'essence afin de cesser de favoriser l’usage du gasoil par rapport aux autres types de carburants. On pourrait par ailleurs imaginer la mise en œuvre d'un dispositif fiscal spécifique incitatif favorisant le remplacement des véhicules diesel les plus anciens.
Enfin, il faut que l’Etat et les collectivités locales travaillent ensemble pour élaborer un cadre réglementaire et fiscal qui incite fortement les grandes agglomérations à mettre en place le plus rapidement possible des outils permettant, d’une part, d’instaurer de manière intelligente et personnalisée le contrôle et la réduction du trafic de véhicules à moteur thermique (diesel ou essence) dans les centres villes et, d’autre part, de proposer aux citadins des modes alternatifs et non polluants de transports et de déplacements, navettes à la demande, voiture électrique en libre-service, vélo électrique, etc..
Les exemples de grandes métropoles comme Londres, Milan, Amsterdam ou encore Stockholm nous montrent qu’il est tout à fait possible de mettre en place des systèmes de contrôle et de restriction de la circulation automobile dans les centres villes qui soient économiquement viables et socialement acceptables par les habitants.
Mais pour que les citadins de nos grandes villes acceptent une telle limitation du droit de circulation en zone urbaine dense, plusieurs conditions doivent être réunies. Premièrement, il est très important d’utiliser toutes les ressources que permettent à présent les technologies informatiques et numériques et l'Internet des objets pour développer des systèmes fonctionnant en temps réel, permettant de contrôler de façon très fine et très souple la circulation dans les centres villes pour les différents types de véhicules.
Que les choses soient bien claires : nous devons prendre des mesures énergiques, cohérentes et globales pour parvenir à faire diminuer rapidement et fortement nos niveaux de pollution atmosphérique par les particules fines (et aussi par d’autres substances polluantes très dangereuses pour la santé) mais il ne s’agit pas de se lancer dans une croisade idéologique contre l’automobile : une telle démarche punitive risquerait en effet de susciter l’hostilité et le rejet de nos concitoyens qui sont très attachés à la liberté de circulation incomparable que leur procure leur voiture.
Il est également capital que les restrictions inévitables à la possibilité de circuler avec sa voiture personnelle, certains jours ou certaines heures de la journée, dans les grandes villes, soient compensées par une amélioration et une diversification significatives de l’offre globale de déplacements urbains. Cela signifie qu’il faudra développer des systèmes de transport en commun beaucoup plus souples qu’aujourd’hui et capables, grâce aux nouvelles technologies numériques, de mieux répondre à l’extrême diversité des demandes individuelles en matière de transport.
Il faudra également généraliser, en s’appuyant sur de nouvelles formes de partenariat public-privé, les services de location de véhicules propres destinés uniquement aux courts trajets urbains en imaginant des modes de tarification qui rendent accessibles ces véhicules aux foyers les plus modestes. Les grandes métropoles doivent également mettre en place les outils nécessaires pour développer le covoiturage urbain qui reste encore très en retrait par rapport au covoiturage sur de grandes distances.
Il serait souhaitable que les responsables politiques locaux et nationaux prennent rapidement conscience qu’un basculement de l’opinion publique est en train de s’opérer sur la question des moyens à mettre en œuvre pour lutter enfin efficacement contre la pollution automobile en général et contre les nuisances spécifiques pour notre santé générées par les moteurs diesels, en particulier.
De la même façon que l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics a été, à la surprise générale, bien acceptée et fait à présent l’objet d’un large consensus, je suis convaincu que, dans quelques années, les citadins se demanderont pourquoi ils ont dû attendre si longtemps pour qu’un ensemble de mesures courageuses, globales et cohérentes soit enfin mis en œuvre pour limiter réellement les nuisances considérables qu’entraîne la circulation automobile urbaine pour leur santé et leur qualité de vie et pour éviter chaque année des dizaines de milliers de pathologies et de décès prématurés.
Si nous parvenons à réussir cette révolution difficile mais nécessaire dans les modes de déplacement et de transports urbains, nous ferions d'une pierre trois coups : en premier lieu, nous en retirerions des bénéfices considérables en matière médicale et sanitaire en évitant plusieurs milliers de décès prématurés par an. Ensuite, nous ferions réaliser à la collectivité des économies elles aussi très importantes car le coût des embouteillages est évalué à près de 6 milliards d'euros par an dans notre Pays. Enfin, nous rendrions nos villes bien plus vivables et agréables et, in fine, plus attractives et compétitives, en replaçant l’homme au cœur de la cité et en réconciliant urbanité et civilisation.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat