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RTFLASH Recherche & Technologie
NUMERO 780
Lettre gratuite hebdomadaire d’informations scientifiques et technologiques
Créée par René Trégouët rapporteur de la Recherche et Président/fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Edition du 02 Janvier 2015
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Edito
IL Y A 150 ANS : 1865, Année miraculeuse pour la Science !



Il y a 150 ans, commençait l’année 1865 qui constitua un moment de rupture tout à fait extraordinaire dans l’avancée des sciences et des techniques. En 1865, la révolution industrielle était commencée depuis près d’un siècle, si l’on considère qu’elle commence avec l’invention de la machine à vapeur par James Watt en 1769.

Mais après avoir bouleversé la production industrielle et l’économie en multipliant la productivité par plusieurs ordres de grandeur, cette première révolution de la vapeur transforma radicalement le transport des hommes et des marchandises puisqu’il ne fallut qu’un quart de siècle pour passer de la première locomotive opérationnelle construite par l’Anglais Trevithick à la première ligne de transport de passagers au monde, inaugurée en 1830 et reliant les villes anglaises de Liverpool et Manchester. En France, le réseau ferroviaire passe de 3 000 km en 1852 à plus de 15 000 km en 1865 et aux Etats-Unis, le chemin de fer transcontinental qui doit relier la côte atlantique à la côte pacifique est en pleine construction et sera achevé en 1869.

En 1837, l’invention du télégraphe par Samuel Morse fut également à l’origine d’une autre révolution, qui allait permettre une diffusion de l’information infiniment plus rapide et entraîner en quelques décennies une contraction de l’espace et du temps planétaires sans précédent dans l’histoire de l’humanité. En 1865, le premier câble transatlantique opérationnel est enfin posé en utilisant le navire géant, le « Great Eastern », capable d’emmener plus de 16 000 tonnes de câble. Désormais, l’Ancien et le Nouveau Monde sont définitivement connectés et la mondialisation de l’information est en marche.

En cette même année 1865, toute la physique est en pleine effervescence car le grand scientifique écossais James Clerk Maxwell propose une magistrale synthèse des lois expérimentales découvertes par ses prédécesseurs Ampère, Gauss et Faraday (lois de l’électromagnétisme, du magnétisme, de l’induction) et propose sa théorie générale de l'électromagnétisme, sous la forme de 20 équations à 20 inconnues. Ce savant génial est mort prématurément à 48 ans et reste malheureusement peu connu du grand public. Il est pourtant l’un des plus grands physiciens de tous les temps et Albert Einstein, lui-même, considérait que son apport théorique -L’unification des lois de l’électromagnétisme- était aussi important que la découverte des lois de la gravitation par Isaac Newton. 

Mais un autre domaine de la physique allait également connaître un bouleversement considérable en cette année 1865. S'appuyant sur les travaux de Sadi Carnot (1824) et de Lord Kelvin, le grand scientifique allemand Rudolph Clausius publie en 1850, sa première communication sur la théorie mécanique de la chaleur. Le deuxième principe de la thermodynamique démontre que la chaleur n'est pas transmise d'un corps froid à un corps plus chaud. Clausius va ensuite appliquer les lois de la thermodynamique à la machine à vapeur. Enfin, en 1865, il définit clairement un concept fondamental non seulement pour la physique mais pour l’ensemble des sciences, l’entropie et énonce ainsi les deux célèbres lois de la thermodynamique : premièrement, l'énergie de l'univers est constante ; deuxièmement, l'entropie de l'univers tend vers un maximum. Il faudra cependant attendre 1948 pour qu’un jeune ingénieur des laboratoires Bell, Claude Shannon, applique l’entropie au domaine de l’information et formalise sa théorie de l’information qui sera à la base de la révolution informatique et numérique.

Mais le domaine de la biologie et des sciences du vivant va également connaître une rupture théorique fondamentale en cette année 1865 avec la publication des travaux de Gregor Mendel. Cet homme extraordinaire, né en 1822 dans un petit village de Silésie (situé à l’époque dans l’empire austro-hongrois et faisant à présent parti de la République tchèque), commence par suivre un enseignement de philosophie avant d’entrer comme novice dans le monastère Saint-Thomas de Brno où il devient le moine Gregor. Dans ce haut lieu d’effervescence intellectuelle, Mendel apprend la théologie mais également le grec, le latin, l’hébreu et le tchèque. Il se passionne ensuite pour les sciences naturelles et devient prêtre en 1847. En 1851, Mendel va s’installer plusieurs années à Vienne pour suivre les cours, en tant qu'auditeur libre, de l’Institut de physique de Christian Doppler. Mais parallèlement à l’apprentissage des matières obligatoires, physiques et mathématiques, Mendel suit les enseignements de botanique, d’entomologie et de paléontologie. C’est au cours de cette période qu’il approfondit son intérêt pour les questions liées à la fécondation des plantes et à l’apparition et à la transmission des caractères nouveaux chez les végétaux.

En 1854, Mendel retourne définitivement vivre dans le monastère de Brno (capitale de la Moravie en République tchèque) et devient professeur de physique et de sciences naturelles au lycée de Brno. Commence alors une décennie d’expérimentations géniales, dans les jardins et les serres du monastère, qui marqueront à jamais l’histoire de la biologie et des sciences. Pour essayer de comprendre les lois qui régissent la formation des hybrides, Mendel va utiliser de nombreuses variétés de pois et réaliser méthodiquement de multiples expériences d’hybridation.

Enfin, le 8 février et le 8 mars 1865, six ans seulement après que Darwin ait publié sa magistrale théorie de l’évolution des espèces, Mendel présente, devant la Société de sciences naturelles de Brno, les résultats de ses dix années de recherches et formule les bases théoriques de la génétique et de l’hérédité moderne en exposant ce qu'on appellera à partir de 1900, les lois de Mendel, à savoir la loi d'uniformité des hybrides de première génération, la loi de pureté des gamètes et la loi de ségrégation indépendante des caractères héréditaires. Il faudra cependant attendre 1905 pour voir utiliser par le biologiste anglais William Batesson pour la première fois le terme de « génétique ». Enfin, prolongeant les travaux de Mendel à qui il vouait une grande admiration, le scientifique américain Thomas Morgan (prix Nobel de médecine 1933) démontra en 1911, grâce à ses célèbres expérimentations sur la mouche drosophile, que les chromosomes sont les supports des gènes, donnant ainsi naissance à la théorie chromosomique de l’hérédité.

En France, c'est également en 1865, le 11 avril pour être précis, que Louis Pasteur, en s'inspirant des travaux d'Appert de Lamotte, dépose le brevet d'une invention capitale qui devait bouleverser l'industrie alimentaire et révolutionner la santé : la pasteurisation. Ce procédé, bien que perfectionné depuis, est toujours utilisé de nos jours et consiste à chauffer un produit ou une préparation alimentaire pendant un temps calculé entre 60 et 90 degrés, ce qui élimine la majeure partie des bactéries pathogènes. La même année, Pasteur publie également ses travaux sur l'origine microbienne des maladies.

De son côté, le physiologiste français Claude Bernard, à la fois admirateur et rival de Pasteur, publie sa célèbre « introduction à l’étude de la médecine expérimentale » qui réfute la théorie vitaliste et pose les bases conceptuelles de la médecine et de la biologie modernes, fondée sur des hypothèses et des théories qui doivent être rigoureusement démontrées par des vérifications expérimentales indépendantes et reproductibles.

De l’autre côté de la Manche, toujours en 1865, Joseph Lister, chirurgien, naturaliste et micrographe britannique, grand admirateur de Pasteur, invente l'antisepsie moderne en utilisant pour la première fois sur un patient victime d’une fracture ouverte , l'acide phénique pour détruire les germes.

Enfin et ce n’est bien entendu pas un hasard, c’est également en 1865 que Jules Verne publie son célèbre roman « De la Terre à la Lune », qui imagine l’extraordinaire aventure de trois hommes embarqués dans un boulet de canon géant à destination de la Lune. La science-fiction vient de naître et notre civilisation tout entière bascule dans une nouvelle ère, celle de la modernité, de la science triomphante et de la croyance dans un progrès émancipateur.

Rétrospectivement, on ne peut qu’être émerveillé par la concordance de ces ruptures scientifiques et conceptuelles décisives qui marquent encore de leur empreinte notre temps. Mais nous devons également nous interroger sur les raisons, le plus souvent irrationnelles, qui ont rendu possible aujourd’hui un tel divorce entre la science et l’opinion publique. Force est de constater qu’à l’heure actuelle, un nombre croissant de domaines de recherche scientifique et d’avancées technologiques suscitent la méfiance de beaucoup de nos concitoyens et parfois même l’hostilité et la haine de certains groupes ou courants de pensée sectaires et imprégnés d’idéologies obscurantistes.

Dans un essai récent et remarquable, intitulé « L’innovation destructrice », Luc Ferry souligne fort judicieusement que nos sociétés sont à présent dominées par les peurs de toute nature et obsédées par l’élargissement sans fin d’un « principe de précaution » dont l’application généralisée finit par constituer un frein redoutable à l’innovation et à la recherche scientifique. De fait, il serait aujourd’hui impensable qu’un scientifique ose prendre le risque que prit Pasteur quand il décida en juillet 1885 d’administrer au jeune Joseph Meister, mordu par un chien errant, son vaccin expérimental contre la rage. Et que dire de Marie Curie, seule femme à avoir reçu deux prix Nobel, qui, bien que se sachant malade du fait de l’exposition au radium, poursuivit en toute connaissance de causes ses recherches sur la radioactivité jusqu’à sa mort en 1934.

Paradoxalement, alors que plusieurs études épidémiologiques récentes confirment qu’entre 1950 et 2012 l’espérance de vie moyenne dans le monde a fait un bond sans précédent dans l’histoire de l’humanité et progressé de 25 ans (Passant de 46 ans et demi à 71 ans et demi), grâce aux extraordinaires progrès de la science et la médecine, on assiste à une montée en puissance de plus en plus inquiétante des mouvements et idéologies qui ne dénoncent plus seulement les excès ou les dérives sociales et éthiques que peut entraîner une utilisation sans réflexion collective suffisante des sciences et techniques mais remettent bien en cause l’idée même de progrès de la connaissance et contestent globalement la réalité et l’utilité des avancées scientifiques et médicales...

Ce nouvel obscurantisme est d’autant plus inquiétant qu’il s’exerce sans discernement et parfois violemment, invoquant un passé imaginaire où l’homme, tel Adam au paradis terrestre, vivait heureux, en harmonie avec la nature, oubliant au passage les conditions de vie et de travail extrêmement difficiles et souvent misérables que connaissaient encore la très grande majorité de nos ancêtres il y a seulement un siècle, tout au long de leur courte vie qui durait à peine plus de 40 ans…

Les itinéraires scientifiques et personnels tout à fait extraordinaires de Maxwell, Clausius, Mendel, Pasteur et Claude Bernard ont en commun, au-delà des différences profondes de personnalités entre ces hommes d’exception, une soif insatiable de connaissance, le rejet des préjugés de leur temps et leur engagement personnel au mépris des risques encourus. Ces scientifiques d’exception, qui sont aussi des aventuriers de l’esprit et des témoins de leurs temps, nous ont montré de manière éclatante, en cette année 1865, que la seule préservation de ce qui existe ne constitue pas un projet de société et que l’homme n’est jamais aussi grand que lorsqu’il met toute son imagination et son intelligence au service d’un projet qui le dépasse et qu’il fait sienne cette conviction d’Einstein qui écrivait « Le sentiment de mystère est le plus beau qu'il nous soit donné d'éprouver. Il est la source de tout art et de toute science véritable ».

C’est mon dernier édito de 2014. Vous recevrez le prochain en 2015. Aussi, permettez-moi de vous adresser mes vœux les meilleurs et les plus sincères à l’aube de l’année nouvelle qui, je l’espère, nous apportera plus de joie de vivre.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat


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