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Edito : preserver la biodiversité aujourd'hui pour guérir demain

La pervenche de Madagascar, outre le fait d'être une jolie fleur aux couleurs éclatantes, renferme de nombreux alcaloïdes, dont la vinblastine et la vincristine, aux propriétés anti-cancéreuses (ces deux principes actifs sont utilisés dans le traitement de la leucémie et de la maladie de Hodgkin). Aujourd'hui, si l'on guérit les trois quarts des leucémies aiguës de l'enfant c'est grâce à ces alcaloïdes, isolés respectivement en 1958 et 1965, alors que la pervenche de Madagascar était au bord de l'extinction.

Des chercheurs américains de l'Université Wake Forest (Utah) ont découvert que des toxines issues du venin de cône, un mollusque marin, pourraient permettre la mise au point de nouveaux antalgiques capables de soulager les douleurs rebelles d'origine neurologique. Testées chez des souris souffrant de névralgie, ces toxines ont donné d'excellents résultats. La toxine de cône peut arrêter la douleur neurologique en bloquant les récepteurs cellulaires, ouvrant ainsi un vaste champ de recherche pour la mise au point d'une nouvelle classe de médicaments antalgiques. (Voir article du PNAS).

En Australie, des chercheurs de l'université d'Adelaïde ont identifié chez la grenouille verte une substance particulièrement efficace pour prévenir les piqûres de moustique. (Voir article du Médical News).

Cette substance pourrait déboucher sur de nouvelles armes préventives contre le paludisme qui affecte encore des centaines de millions de personnes dans le monde. Une autre grenouille australienne, du genre Litoria, produit dans ses sécrétions plus de 30 agents antibactériens !

Une autre grenouille africaine, Xenopus laevis (grenouille à griffes) est à l'origine, en 1987, d'une nouvelle famille de peptides, les magainines.

Ces peptides possèdent la capacité remarquable de faire éclater la membrane d'une multitude de bactéries, y compris celles résistant aux antibiotiques traditionnels. Ces magainines offrent de multiples perspectives thérapeutiques non seulement dans le domaine antibactérien mais aussi comme antifongique et anticancéreux.

On voit donc que la nature contient encore d'extraordinaires potentialités ignorées ou sous exploitées qui permettront demain de mettre au point de nouvelles familles de médicaments dans les domaines les plus variés. Mais la nature peut également nous servir de modèle et de source d'inspiration pour mettre au point des innovations technologiques majeures. C'est ainsi que lors de la conception de la tour Eiffel, Maurice Koechlin, un assistant d'Eiffel, l'architecte de la tour, a été inspiré par la forme et la structure du fémur, qui est l'os le plus solide du corps humain.

Dans les années cinquante, l'ingénieur suisse Georges de Mestral s'est directement inspiré du mécanisme d'accrochage à l'aide de minuscules crochets recourbés des fruits secs d'une plante des montagnes, la bardane, pour mettre au point sa célèbre bande Velcro.

Tous les amateurs de Science-Fiction qui ont lu "Dune" de Frank Herbert, dans les années 70, se souviennent des "distilles" utilisées par les Fremen sur Dune, une planète désertique, pour capter la moindre gouttelette d'eau. Mais la réalité dépasse souvent la fiction et deux chercheurs britanniques, Andrew Parker, zoologue de l'université d'Oxford, et Chris Laurence ont découvert en 2001 l'extraordinaire mécanisme grâce auquel le scarabée de Namibie parvient, dans un environnement désertique et très sec, à capter la moindre trace d'humidité dans l'air. A partir de ces recherches, les scientifiques avaient imaginé qu'il serait possible de collecter de l'eau en utilisant des toiles dont la surface reproduirait la structure mixte du scarabée. (Voir article)

S'appuyant sur cette découverte britannique, deux chercheurs américains, Robert Cohen et Michael Rubner, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont réussi à recréer artificiellement ce processus naturel à partir d'un support en verre et en plastique. (Voir article du MIT)

Le scarabée de Namibie, pour survivre, est devenu une merveille d'adaptation à son environnement : il utilise sa carapace rugueuse, constituée alternativement de minuscules creux hydrophobes et de bosses hydrophiles. Il ne reste plus qu'à ce surprenant insecte à s'orienter dans la direction du vent de brume. La vapeur d'eau contenue dans l'air s'accumule sur les pics hydrophiles sous forme de minuscules gouttelettes de 15 microns de diamètre. Ces dernières sont collectées par les canaux hydrophobes inclinés, et finissent par couler vers l'orifice buccal de l'insecte.

S'inspirant de cet extraordinaire mécanisme, Cohen et Rubner ont trempé à plusieurs reprises des substrats de verre ou de plastique dans des solutions de polymères. En accumulant ainsi les couches, ils sont parvenus à contrôler la porosité de la surface. Ils ont ensuite ajouté des nanoparticules de silice pour augmenter la rugosité qui piège les gouttelettes d'eau. En dernier lieu, ils ont déposé une couche d'une substance similaire au Téflon pour rendre le matériau très hydrophobe.

Ils ont ainsi pu reconstituer la structure hybride de la carapace du scarabée, caractérisée par une alternance de zones hydrophobes et hydrophiles. Le matériau obtenu permet de piéger dans la couche poreuse la moindre gouttelette d'humidité dans l'air puis de transporter cette eau sur la partie lisse. "Je pense que nous tenons l'usine chimique du futur, déclare M. Cohen qui précise " Il existe de nombreuses applications que nous n'avons pas imaginées."

Enfin, des chercheurs de l'Université de Sydney en Australie ont synthétisé des molécules de type chlorophylle qui sont capables de convertir la lumière en électricité avec un bien meilleur rendement -40 %- que les cellules photovoltaiques actuelles (15 %), c'est-à-dire de reproduire la première phase de la photosynthèse. Les chercheurs vont à présent réaliser des prototypes de cellules incorporant ces molécules synthétiques avant de se lancer dans la production commerciale de panneaux solaires en collaboration avec l'Université d'Osaka au Japon.

Ces quelques exemples nous montrent à quel point la préservation de l'environnement et de la biodiversité est une priorité absolue pour l'espèce humaine car demain, les innovations de rupture en médecine, en électronique, en nanotechnologies ou en énergie s'inspireront, pour la plupart d'entre elles, des mécanismes et des structures extraordinairement sophistiquées et efficaces que la nature a su produire après des millions d'années d'évolution et d'adaptation au milieu.

C'est pourquoi nous devons à présent bien comprendre que le coût de préservation de notre environnement et de la diversité du vivant sera toujours moins élevé que les conséquences désastreuses provoquées par la destruction accélérée, chaque année, de milliers d'espèces animales et végétales. Il est donc temps que l'environnement cesse d'être une variable d'ajustement du développement économique et en devienne la finalité ultime.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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