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Edito : La bio-impression d'organes pourrait devenir une réalité d'ici 2035

La bio-impression 3D est désormais considérée comme une technologie révolutionnaire dans le domaine de la médecine régénérative. Pourtant Le concept de la bio-impression est récent et n'est apparu qu'en 1988, grâce au Docteur Robert J. Klebe de l'Université du Texas. Quant à l'impression 3D d'organes, elle n’a été réalisée pour la première fois qu'en 2003 par Thomas Boland de l'Université de Clemson, en Caroline du Sud. Cette technique vise à produire des bio-structures tridimensionnelles - organes, mais aussi tissus et muscles - à l'aide de cellules vivantes et de biomatériaux. Certes, les greffes d'organes entiers ne sont pas encore à notre portée mais cette perspective se rapproche plus vite que prévu et il est déjà possible de bio imprimer certains tissus fonctionnels, tels que la peau vascularisée, les cornées, le cartilage, les oreilles, ou encore de petits vaisseaux sanguins.

Cette technologie porte une véritable rupture qui pourrait, à terme, résoudre la question récurrente de la pénurie de donneurs. Il faut en effet rappeler que seules 150 000 greffes d'organes sont réalisées chaque année dans le monde, ce qui couvre à peine 10 % des besoins. En France, on estime que 5 400 personnes ont pu être sauvées grâce à une greffe d'organes l'année dernière mais la pénurie d'organes n'en reste pas moins criante et environ 1000 patients sont malheureusement décédés, faute d’organes disponibles. Mais pour devenir une réalité clinique, la bio impression d'organes entiers et fonctionnels doit encore surmonter trois obstacles majeurs, la vascularisation complète des organes, les coûts qui restent dissuasifs et l'absence d'un cadre juridique et éthique solide et clair.

L'impression 3D d'organes doit être vue comme un processus bio technologique complexe reposant notamment sur l’utilisation de bio-encres (bio-inks) très délicates à mettre au point, à contrôler et à stabiliser. Celles-ci sont constituées de cellules vivantes et de biomatériaux (gélatine, fibrine, collagène) susceptibles de former des structures proches des tissus humains et, bien entendu, compatibles avec ces derniers. Depuis quelques années, les progrès de la bio impression ont été impressionnants : en 2019, des scientifiques israéliens de l'université de Tel Aviv, dirigés par le Professeur Tal Dvir, ont créé l’événement en présentant un prototype de cœur humain entier imprimé en 3D. Mesurant seulement 2 cm de long pour un diamètre de 1,4 cm, ce cœur bio-imprimé était constitué de cellules, de vaisseaux sanguins, de ventricules et de chambres. En reposant sur le prélèvement de tissus humains du patient, l’organe ainsi créé était compatible sur le plan immunologique, cellulaire, biochimique et anatomique. La même année, une autre équipe brésilienne, du Centre de recherche sur le génome humain et les cellules souches (HUG-CELL) de l'Université de São Paulo (USP, Brésil) a, quant à elle, réussi à produire en trois mois, par bio impression, des foies miniatures. Ces derniers ont pu assurer certaines fonctions essentielles, comme la production de protéines, le stockage de vitamines et la sécrétion de bile.

En 2022, une nouvelle étape a été franchie, avec la première implantation réussie d'une oreille imprimée en 3D, réalisée à l'aide des propres cellules du patient. Cette avancée remarquable va être utilisée pour proposer un nouveau traitement à la microtie, une malformation congénitale difficile à soigner avec les moyens actuels. En démontrant qu'il permettait une régénération continue du cartilage de l'oreille après l’intervention, cet implant a confirmé le potentiel immense de la bio-impression pour faire progresser la médecine régénérative et la rendre accessible à davantage de patients. Depuis 2022, l’hôpital de la Conception à Marseille s’est équipé d’une bio-imprimante mise au point par la société Poietis, basée à Pessac, en Gironde. Cette étonnante machine devrait être en mesure, dans quelques années, de produire à la demande, de la peau humaine biocompatible qui pourra être utilisée dans le traitement des grands brûlés et de certaines maladies graves de la peau. Grâce à un laser piloté par ordinateur, la bio imprimante de Poietis peut produire des ensembles de cellules sous formes de gouttelettes parfaitement contrôlées qui vont s’agréger les unes aux autres selon un schéma prédéfini pour recréer une structure très proche de la peau humaine. Avec ce procédé révolutionnaire il devient possible, en moins d'une journée, de produire 40cm2 de substitut de peau.

Toutefois, la bio-impression 3D traditionnelle doit encore progresser en termes de précision. A cette fin, des chercheurs australiens de l’Université de Melbourne ont mis au point, fin 2024, une bio-imprimante 3D d’un nouveau genre, intégrant un système optique sophistiqué. « Le positionnement incorrect des cellules est l’une des principales raisons pour lesquelles les bio-imprimantes 3D échouent souvent à produire des structures fidèles aux tissus humains », souligne David Collins, de l’Université de Melbourne. Cet obstacle résulte du fait que la plupart des bio-imprimantes traditionnelles fonctionnent trop lentement, ce qui réduit la viabilité des cellules lors de l’impression couche par couche. Pour contourner ce problème, son équipe a innové en évitant l’application successive de couches cellulaires ; ces chercheurs ont combiné trois avancées pour assurer la précision et la viabilité des cellules : la lumière, les ondes sonores et les bulles (Voir The University of Melbourne).

Cette nouvelle bio-imprimante projette d’abord des faisceaux lumineux sur des bulles de résine contenant les tissus cellulaires, les durcissant et les modelant jusqu’à obtention de la forme souhaitée. Un haut-parleur génère ensuite des ondes sonores qui font vibrer les bulles, permettant ainsi un positionnement rapide et précis des structures cellulaires. Cette bio-imprimante est jusqu'à 350 fois plus rapide que ses homologues actuels et peut imprimer un tissu en quelques minutes, contre plusieurs heures avec les techniques actuelles. Elle permet également d’imprimer des os et des tendons. En outre, avec cette approche technologique, les structures imprimées demeurent intactes et stériles. Comme le souligne Callum Vidler, qui a dirigé ces travaux, « Les biologistes reconnaissent l’immense potentiel de la bio-impression, mais elle était jusqu’à présent limitée à des applications à très faible rendement ; notre technologie peut combler cette lacune, en offrant des avancées significatives en termes de vitesse, de précision et de cohérence ».

En décembre dernier, 3D BioLabs LLC (3DB), une entreprise spécialisée dans la production d’organes artificiels à l’aide de l’impression 3D, a franchi une étape importante en médecine régénérative. Cette étude, dirigée par le Docteur Joseph P. Vacanti, fondateur scientifique de 3D BioLabs, et le Professeur John Homans de la Harvard Medical School, présente une nouvelle approche pour créer de grands organes afin de résoudre la pénurie de greffes d’organes. En combinant l’impression 3D, la dynamique des fluides computationnelle et des cellules spécifiques à chaque organe, l’étude a montré qu'il était possible d'obtenir à la fois un flux sanguin efficace et une bonne viabilité des cellules produites, ce qui ouvre la voie vers des foies bio imprimés fonctionnels (Voir Voxel Matters). Le dispositif intègre en effet des canaux veineux portales (PV) permettant un flux sanguin, ainsi que des canaux hépato-biliaires (HB) favorisant la viabilité des cellules hépatiques.

Il y a quelques mois, une autre équipe de la Penn State University, dirigée par le Professeur Ibrahim Özbolat, a dévoilé une nouvelle technique de bio-impression 3D révolutionnaire qui consiste à utiliser de petits amas de cellules, appelés sphéroïdes. Cette innovation repose sur un système appelé HITS-Bio (système intégré de fabrication de tissus à haut débit pour la bio-impression). L’équipe a développé un ensemble de 16 buses qui se déplacent de manière parfaitement synchronisée en trois dimensions et manipulent plusieurs sphéroïdes à la fois. Un bloc d'un centimètre cube, composé d'environ 600 sphéroïdes de cellules cartilagineuses, peut être imprimé en 40 minutes, contre plusieurs jours par les méthodes de bio-impression classiques. L'équipe a utilisé HITS-Bio pendant une intervention chirurgicale pour appliquer directement le bioink enrichi en sphéroïdes sur une plaie crânienne. En ayant recours à la technologie des microARN pour contrôler l’expression des gènes, ces chercheurs ont pu guider avec précision les sphéroïdes pour qu’ils se transforment en tissu osseux. La prochaine étape consistera à créer des tissus plus complexes (Voir Nature Communications).

En mars dernier, une équipe de chercheurs de la Northeastern University (USA) a présenté un hydrogel entièrement biodégradable, destiné à la bio-impression 3D de tissus mous. Cette avancée significative pourrait, elle aussi, contribuer à permettre l’impression d’organes humains et de vaisseaux sanguins. Dans cette approche, le matériau est mélangé à des cellules vivantes. Il est ensuite dissous dans une solution liquide. Le biomatériau ainsi obtenu est finalement imprimé à la forme désirée. L’objet final est exposé à une lumière bleue et cette photopolymérisation rend alors le gel élastique, sans endommager les cellules (Voir Northeastern Global News).

Il y a quelques semaines, une équipe de l’Université nationale de Singapour (NUS) a conçu une méthode pour créer des greffes de gencives sur mesure en associant bio-impression 3D et intelligence artificielle (IA). Cette nouvelle technique, dirigée par le Professeur Gopu Sriram de la faculté de médecine dentaire, vise à déboucher sur une solution plus adaptable et moins intrusive et douloureuse que les méthodes traditionnelles, qui nécessitent souvent de prélever des tissus dans la bouche du patient. En créant des greffes "sur mesure", pour chaque patient, cette méthode devrait améliorer sensiblement l’efficacité des traitements, tout en réduisant les risques de complications et d'infections. Le Professseur Dean Ho, directeur du département de génie biomédical à la NUS, souligne que « L’IA a transformé notre approche, réduisant le nombre d’essais nécessaires pour optimiser les paramètres de bio-impression de milliers à seulement 25 combinaisons ». Les greffes de gencives créées par bio-impression ont déjà permis de mettre en évidence d’excellentes caractéristiques biomimétiques, avec une viabilité cellulaire supérieure à 90 % juste après l’impression. Comme le souligne le Professeur Ho, « Cette recherche démontre comment l’IA et la bio-impression 3D peuvent converger pour résoudre des problèmes médicaux complexes grâce à la médecine de précision ». Cette nouvelle approche en bio impression pourrait, en outre, avoir des applications plus larges, en permettant notamment le développement des greffes pour d’autres tissus, comme la peau (Voir National University of Singapore).

Enfin, il y a quelques jours, des chercheurs du Caltech ont présenté une nouvelle technique, baptisée DISP (pour Deep Tissue In Vivo Sound Printing), qui permet d’imprimer des structures polymériques directement à l’intérieur des tissus vivants, grâce à l’utilisation d’ultrasons. « Notre approche repose sur un contrôle localisé de la température », explique Wei Gao, professeur d’ingénierie médicale à Caltech et co-auteur de l’étude. Les chercheurs injectent d’abord une solution de bio-encre liquide, composée de monomères polymériques et de liposomes thermosensibles. Ces vésicules sphériques, activées par une montée de température de 5°C induite par un faisceau d'ultrasons focalisés, libèrent un agent qui déclenche en quelques secondes la solidification du matériau. Pour visualiser le processus, l’équipe a intégré des vésicules gazeuses dérivées de bactéries présentes dans la bio-encre. Ces structures protéiques, capables de refléter les ondes ultrasonores, permettent de suivre en temps réel la formation du réseau polymérique et d’ajuster les paramètres en fonction des besoins (Voir Caltech). Les premiers tests, menés sur des souris, ont confirmé l’efficacité de DISP dans deux domaines. D'une part, des polymères chargés de doxorubicine – un médicament anticancéreux – ont été imprimés sur des tumeurs vésicales, ce qui a entraîné une destruction cellulaire bien plus efficace que celle obtenue par injection classique. D'autre part, cette approche a permis de réduire des lésions internes en utilisant des gels bioadhésifs spécialement conçus pour favoriser la cicatrisation. Cette nouvelle technique pourrait donc remplacer certaines structures chirurgicales, ce qui diminuerait les risques d’infection et le temps de récupération.

Par sa capacité à imprimer des hydrogels bioélectriques, la technique DISP pourrait être utilisée pour implanter dans l'organisme des capteurs permanents permettant de surveiller une multitude de paramètres biologiques. Cette percée majeure n’aurait pas été possible sans une étroite collaboration entre chercheurs issu de disciplines différentes : ingénierie, biologie cellulaire, chimie, acoustique. Une fois de plus, l’importance des approches et équipes interdisciplinaires se trouve confirmée dans ce domaine de recherche à la frontière de multiples champs scientifiques. A terme, ces algorithmes d’apprentissage automatique devraient permettre d’ajuster les paramètres d’impression en fonction des mouvements organiques, comme les battements cardiaques. Cette approche intégrée ouvre la voie non seulement à la réparation des tissus, mais aussi à la création in situ des structures fonctionnelles spécifiques à chaque patient.

Je termine cette trop rapide synthèse des progrès récents dans le domaine de la bio impression 3D par une avancée française considérée comme une première mondiale. Des chercheurs dirigés par le Docteur Damien Bonnard, responsable de l'équipe d'implantologie cochléaire du CHU de Bordeaux et le Professeur Raphaël Devillard, collaborent depuis 5 ans au projet BIOIMPRESS en collaboration avec le laboratoire Inserm BioTis, spécialisé dans la bio impression assistée par laser. L’objectif est de développer une technologie capable de délivrer des agents thérapeutiques dans l’oreille interne (Voir Citizen4Science).

Pour atteindre leur but, les chercheurs ont commencé par mettre au point un prototype adapté à l’oreille interne d'un modèle murin. Le choix d'un outil de bio impression assistée par laser s'est progressivement imposé parce qu'il permettrait de projeter de manière incroyablement précise et efficace un large éventail de molécules thérapeutiques dans l’oreille interne. Au début du processus, le laser vient fournir la forte impulsion nécessaire pour expulser la goutte d’encre : il commence par traverser une lame de quartz sur laquelle a été déposée une fine pellicule d’or enduite d’encre contenant le médicament sous forme liquide ou gélifié. Cette couche d’or est alors pulvérisée, créant une brusque montée locale de température et une cavitation qui va éjecter une gouttelette d’encre vers la membrane de la fenêtre ronde. C'est l’énergie cinétique véhiculée par ce laser qui permet à la bio encre de traverser facilement la membrane de la fenêtre ronde.

Les premiers essais ont déjà montré qu'il était possible de transférer par bio impression dans la cochlée de manière contrôlée, un corticoïde. La beauté du procédé est que cette injection du produit à travers le tympan nécessite des quantités de médicament 10 000 fois inférieures à celle couramment utilisées. En outre, la bio impression, contrairement à l’injection intra cochléaire directe, n'entraîne pas de risque de lésion dû à la perforation de la membrane par une aiguille. Les chercheurs vont à présent améliorer cette technique révolutionnaire pour la rendre applicable à des molécules plus grosses, notamment les vecteurs viraux utilisés pour transporter les thérapies géniques. A cette fin, ces scientifiques vont modifier les propriétés du laser utilisé pour la projection de l’encre. L'enjeu est immense, avec à la clé un fantastique outil, d'une précision et d'une souplesse incomparable, pour délivrer des traitements ciblés et des thérapies géniques.

Enjeu scientifique et technique majeur, la réimpression 3D représente également un enjeu industriel dont notre pays doit absolument prendre conscience. Selon Spheric Insights, le marché mondial de la bio impression devrait doubler d'ici 2030 pour atteindre 5,5 milliards de dollars, puis à nouveau être multiplié par deux d'ici 2035, pour dépasser les 10 milliards de dollars. Mais si la bio impression est amenée à bouleverser la biologie et la médecine c'est parce qu'elle ne va pas seulement permettre d'imprimer les organes complets et fonctionnels dont les patients du monde entier ont tant besoin mais également parce que cette technologie de pointe, qui combine biologie, chimie, physique, optique, et informatique, ouvre d'immenses perspectives dans la délivrance rapide, personnalisée et sûre des médicaments ciblés et thérapies géniques qui seront au cœur de la médecine de demain.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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