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Edito : La longévité humaine va-t-elle atteindre un plafond indépassable ?

Cette semaine, je reviens sur une question passionnante que j'ai déjà abordée à plusieurs reprises dans cette lettre : celle de savoir s’il existe une limite infranchissable à la progression de l’espérance de vie humaine. Pour tenter d’y voir plus clair sur ce sujet moins simple qu’il n’y paraît, il est toujours bon de rappeler quelques chiffres.

Pendant des dizaines de milliers d’années, et jusqu’à la révolution néolithique et ses extraordinaires mutations techniques économiques et sociales, il y a 8000 ans, l'espérance de vie moyenne de l’homme à la naissance s’est située entre 20 et 25 ans. Sous l’Antiquité, l'espérance de vie moyenne restait encore très faible et même si certains personnages célèbres, comme Jules César, l’empereur Auguste sont morts relativement vieux pour l’époque (respectivement 56 et 77 ans), il a pu être établi de manière fiable, grâce à l’analyse statistique de plusieurs milliers d’inscriptions funéraires que l’espérance de vie moyenne d’un Romain vivant en Italie au cours du troisième siècle de notre ère n’excédait pas 32 ans…

En 1900, l’espérance de vie moyenne dans le monde était encore inférieure à 40 ans et un siècle et demi plus tard, en 1950, elle n’était toujours que de 47 ans. Aujourd’hui, d’après les derniers chiffres de l’OMS et de l’ONU, cette espérance de vie mondiale moyenne dépasse les 71 ans, soit presque 25 ans de vie gagnés au cours des 70 dernières années, ce qui est absolument unique dans toute l’histoire de l’Humanité. Fait encore plus remarquable, qui donne tort aux déclinistes et catastrophistes de tout poil, l’espérance de vie moyenne en Afrique a progressé de presque 10 ans au cours des 25 dernières années et dépasse à présent les 60 ans.

En France, l’espérance de vie à la naissance atteint 79 ans pour les hommes et 85,1 ans pour les femmes en 2015 en France métropolitaine. Toutefois, en 2015, cet indicateur a baissé de trois mois et demi pour les hommes comme pour les femmes. Cette diminution est une première en France depuis 1969, même si l'espérance de vie des femmes avait déjà diminué en 2002 et 2012. Mais contrairement à la thèse simpliste complaisamment relayée par certains média, qui affirme sans nuances que cette légère baisse de l'espérance de vie observée en France en 2015 serait la preuve que la longue progression de l'espérance de vie est définitivement terminée, l'Insee a bien montré que cette diminution ponctuelle (qui a déjà eu lieu dans le passé) s'explique parfaitement par trois facteurs sanitaires qui se sont conjugués : une grippe particulièrement virulente début 2015, une canicule plus intense que la moyenne en juillet et enfin un mois d'octobre particulièrement froid.

On sait à présent qu'une multitude de facteurs liés les uns aux autres contribuent à l'allongement de la vie. Parmi eux, on trouve les conditions et le cadre de vie, le travail, trois fois moins long qu'il y a un siècle et bien moins pénible, l'hygiène qui s'est généralisée, l'alimentation, bien plus complète et diversifiée que par le passé, et bien sûr, les extraordinaires progrès de la science et de la médecine qui, après avoir divisé par dix la mortalité infantile, repoussent sans cesse plus loin l'âge de la mort, en combattant de plus en plus efficacement les grands fléaux qui fauchent les ainés: diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers et maladies respiratoires notamment.

Toute la question est de savoir si cette double progression impressionnante de l'espérance de vie moyenne et la longévité maximale va se poursuivre et jusqu'où peut-elle aller ? Si l'on se contente d'extrapoler la tendance actuelle, comme le fait l'Insee avec son scénario dit « central » de projection démographique, l’espérance de vie à la naissance en 2050 atteindrait 91,1 ans pour les femmes et 86 ans pour les hommes.

Mais une nouvelle étude américaine publiée il y a quelques semaines est venue relancer ce vieux et toujours vif débat sur d'éventuelles limites à la longévité humaine (Voir Nature). Ce travail réalisé par trois chercheurs reconnus, Xiao Dong, Brandon Milholland et Jan Vijg, de l’Albert Einstein College of Medicine, à New York, montre que, si l’espérance de vie maximum au niveau mondial a indéniablement progressé considérablement tout au long du XXe siècle, la longévité maximale, quant à elle, a probablement atteint, à la fin du siècle dernier, un plafond lié aux caractéristiques biologiques et génétiques de notre espèce.

S'appuyant sur l'analyse statistique d'une grande quantité de données médicales et démographiques, cette étude s'est focalisée sur ceux que l'on appelle les « super-centenaires », c'est-à-dire les personnes de plus de 110 ans, dans quatre pays (France, Japon, Royaume-Uni et États-Unis). Les chercheurs ont pu montrer que l’âge maximum au décès avait augmenté rapidement entre 1970 et 1990, avant d’atteindre un plateau en 1995. A partir de cette date, il semblerait que l’âge maximum au décès ait commencé à baisser légèrement - en moyenne de trois mois par an - ce qui indiquerait que les limites ultimes de la longévité humaine soient atteintes ou en passe de l'être.

L'étude souligne que depuis le décès de Jeanne Calment à l'âge de 122 ans, en 1997, les doyens successifs de l’Humanité sont morts aux environs de 115 ans et Brandon Milholland, l’un des auteurs de l’étude se dit persuadé que notre espèce a atteint un plafond et que la probabilité de vivre au-delà de 125 ans ne serait que de une sur 10 000. Il est vrai que les derniers doyens de l'Humanité sont morts à 113 ans, pour le Japonais Yasutaro Koide (janvier 2016), et 116 ans, pour l'américaine Susannah Mushatt Jones, morte en septembre dernier. Quant à la dernière doyenne des Français, Élisabeth Collot, elle est morte le mois dernier à 114 ans.

Françoise Forette, professeure à l’université Paris Descartes, rappelle que chaque espèce a une durée de vie maximale déterminée par la génétique. Ainsi, dans le règne animal, la longévité maximale est de 3 ans chez la souris, 256 ans chez la tortue des Seychelles. Mais cette scientifique de réputation mondiale souligne que l’espérance de vie moyenne est en revanche fortement corrélée aux progrès de l'hygiène et de la médecine et à l'amélioration des conditions matérielles de vie, ce qui explique le bond sans précédent de l'espérance de vie moyenne mondiale au cours du XXe siècle.

Pour les chercheurs de Stanford qui ont conduit ses travaux, « De nouveaux progrès dans la lutte contre les maladies infectieuses et chroniques pourraient encore augmenter l’espérance de vie moyenne de la population, mais pas la durée maximale de la vie ». Ils font notamment valoir que s'il n'existait pas de limites biologiques à la longévité, la tranche d’âge connaissant la plus longue espérance de vie aurait dû, en bonne logique, augmenter.

En août 2014, une autre étude, de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport, avait déjà mis en évidence une limite dans l’espérance de vie chez l’homme. En étudiant les 1 205 super-centenaires (125 hommes et 1 080 femmes), la chercheuse Juliana Antero-Jacquemin avait ainsi observé qu’un plafond s’établissait autour de 115 ans. « Une barrière physiologique est en voie d’être atteinte, à la croisée des interactions entre un patrimoine génétique constant et un environnement qui se dégrade », soulignait cette scientifique.

Reste que les conclusions quelques peu définitives de cette étude américaine ne font pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique. Le chercheur Hugo Aguilaniu, directeur de recherches au CNRS et à l’Ecole normale supérieure de Lyon et auteur de remarquables recherches sur le vieillissement cellulaire, souligne une faiblesse fondamentale dans l'étude de Stanford qui repose, par définition, sur les données actuelles dont la science dispose sur les êtres humains et ne prend pas en compte les avancées récentes très impressionnantes de la recherche contre le vieillissement. Hugo Aguilaniu rappelle à cet égard que les dernières recherches réalisées sur l'animal montrent que l’âge maximum d’espérance de vie ne semble pas fixé, ce que les chercheurs américains admettent d'ailleurs puisqu'ils conviennent que l'espérance de vie maximum est susceptible d'être modifiée par « des interventions génétiques et pharmacologiques ». 

James Vaupel, chercheur au Max Planck Institut pour la recherche démographique (Allemagne), est également circonspect face à l'étude américaine et pense qu’elle « n'ajoute rien aux connaissances scientifiques sur la durée de nos vies ». Cet éminent scientifique rappelle que depuis à peu près un siècle, démographes et chercheurs de renom ont cru avoir démontré que l'espérance de vie moyenne et maximale était sur le point d'atteindre une limite indépassable, mais qu'à chaque fois, les faits leur ont finalement donné tort...

Il est vrai qu'au début de ce siècle, John Wilmoth, de l'Université de Berkeley, en Californie, avait publié dans la célèbre revue " Science", un article qui avait eu un grand retentissement et qui montrait, à partir d'une analyse rigoureuse des registres suédois des décès depuis 1841, que, contrairement aux idées reçues, l'âge maximal de la mort augmentait imperturbablement depuis un siècle et demi, connaissant même une hausse rapide au cours des trente dernières années du XXe siècle. Pour Wilmoth, que l’étude d’Harvard n’a pas fait changer d’avis, la durée maximale de la vie ne serait donc pas une constante biologique et évoluerait dans le temps, avec de possibles changements de rythmes, sans qu'on puisse prévoir jusqu’à présent jusqu'où cette augmentation de la longévité ira.

Cette question est d'autant plus complexe et controversée que plusieurs découvertes récentes concernant les mécanismes fondamentaux du vieillissement confortent l'hypothèse qu'il sera bientôt possible d'agir par voie chimique, biologique et génétique pour retarder efficacement les effets provoqués par les outrages du temps sur l'organisme.

Il y a trois ans, l’équipe de David Sinclair à la Harvard Medical School, a par exemple montré qu’il était possible d’inverser le processus biologique du vieillissement chez la souris. Ces chercheurs ont étudié particulièrement un gène, nommé SIRT1, fortement impliqué dans la production d'énergie par les mitochondries dans les cellules. Or ce gène se trouve être activé par une molécule appelée NAD, ou nicotinamide adénine dinucléotide, dont la concentration dans les cellules tend à diminuer avec l’âge, ce qui participe à la dégradation des fonctions cellulaires (Voir The Sinclair Lab). Ces travaux ont montré que l’injection dans les muscles de souris de NMN (nicotinamide mononucleotide), une substance augmentant les niveaux de NAD, provoquait la restauration complète des fonctions musculaires. Résultat : une souris ayant un âge équivalent à celui d’un homme de 60 ans retrouvait en quelques semaines la forme de ses 20 ans !

D'autres recherches ont par ailleurs montré que le resvératrol, une substance présente dans le raisin et le vin et activant ce même gène SIRT1, augmentait d'environ un tiers l’espérance de vie en bonne santé chez certains vers, et même chez la souris, ce qui, extrapolé à l'homme, correspondrait à une bonne vingtaine d'années de vie en pleine forme en plus... 

En 2014, une autre équipe de la Northwestern University a montré, après 25 ans de recherche, qu’un médicament expérimental, nommé TM5441 pouvait permettre de prolonger la durée de vie sur des souris modèles de vieillissement accéléré. Ces scientifiques américains, en collaboration avec des scientifiques de l’Université de Tohoku (Japon) ont identifié le rôle clé d’une protéine, la PAI-1, dans le vieillissement cellulaire puis ont développé ce médicament expérimental qui inhibe l’effet de la protéine responsable et permet, selon ces résultats, de prolonger la durée de vie des souris. Ces recherches ont montré que les souris traitées au TM5441 voient leur production de PAI-1 réduite et vivent alors quatre fois plus longtemps en bonne santé que les souris non traitées. Ce médicament expérimental est si puissant qu’il a été sélectionné par l’Institut américain de l’Age pour de prochains essais cliniques (Voir PNAS).

Cet été, l’équipe américaine de de Matt Kaeberlein du Washington Medical Center (Université de Seattle) a par ailleurs publié une étude qui montre que la rapamycine peut avoir des effets en étant administrée à dose relativement faible, pendant un temps assez court, chez des animaux déjà âgés (Voir eLIFE). Cette substance d'origine bactérienne découverte pour la première fois dans le sol de Rapa Nui (l'île de Pâques) est connue pour son action immunosuppressive. De manière très surprenante, la rapamycine administrée pendant seulement trois mois à des souris a augmenté considérablement leur longévité. L'une des souris traitées a même vécu quatorze mois, l'équivalent de cent quarante ans chez les humains.

De son côté, l’équipe de Johann Auwerx (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) a montré, en avril dernier, qu’il était possible de rajeunir des cellules souches adultes de souris avec une vitamine proche de la vitamine B3, ce qui ouvre la voie vers une possible régénération des organes détériorés par l’âge ou la maladie.

Enfin rappelons que les remarquables travaux de l’équipe d’Hugo Aguilaniu, à l’Ecole normale supérieure de Lyon, ont montré qu’il était possible, en actionnant simultanément plusieurs « leviers », notamment au niveau génétique et calorique, de multiplier par quinze la durée de vie du ver Caenorhabditis elegans. Ces recherches ont également permis d’identifier chez le ver C. elegans une hormone, l'acide dafachronique, produite en réponse à la restriction calorique et qui semble en mesure de ralentir sensiblement le vieillissement chez les mammifères.

Si l'on considère toutes ces avancées, il est raisonnable d'espérer pourvoir actionner dans un futur bien plus proche que prévu certains verrous biologiques et génétiques fondamentaux permettant de ralentir considérablement le processus de vieillissement et les différentes pathologies, parfois lourdes, qui y sont associées.

Je fais pour ma part le pari que les progrès extraordinaires de la biologie et de la médecine vont provoquer au cours de ces 20 prochaines années une véritable rupture en matière de lutte et de prévention du vieillissement, ce qui se traduira non seulement par une poursuite de la progression de l'espérance de vie moyenne mondiale (qui dépassera sans doute les 100 ans dans la seconde moitié de ce siècle) mais également par le dépassement de ce fameux "plafond biologique" des 125 ans, jugé aujourd'hui infranchissable par l'étude d'Harvard.

Cette perspective vertigineuse qui ne manquera pas de bouleverser l'équilibre et le fonctionnement de nos sociétés et d'avoir des conséquences absolument majeures sur nos existences et celles de nos descendants, doit nous conduire dès à présent à réfléchir sur ce que pourrait être une civilisation "post-centennale" dans laquelle le pouvoir scientifique et technique presque illimité de l'homme resterait au service du plus grand nombre et ne conduirait jamais à un "meilleur des mondes " inhumain et finalement invivable. 

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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