RTFlash

Edito : Cancer : les nouveaux médicaments de l’espoir

Même si, en matière de cancer, il convient de rester toujours prudent, de ne pas céder aux effets d’annonce et de ne pas donner de faux espoirs aux malades, il n’est pas exagéré de dire que la longue et difficile lutte contre cette maladie complexe et protéiforme est en train de connaître un véritable tournant depuis quelques mois.

Sans vouloir présenter de manière exhaustive l’ensemble des avancées récentes dans le domaine de la cancérologie (ce qui supposerait de balayer les champs très vastes de la radiothérapie, des nouvelles techniques chirurgicales, de l’immunothérapie et de la chimiothérapie), il nous a semblé intéressant d’évoquer dans cet éditorial un certain nombre de nouveaux traitements et médicaments qui commencent à être utilisés chez l’homme ou font l’objet d’expérimentations et d’essais cliniques encourageants.

Une équipe franco-italienne menée par des chercheurs du CNRS et de l’Inserm vient de découvrir une nouvelle famille de composés qui pourrait permettre de traiter de nombreux cancers, notamment des tumeurs cérébrales et des cancers de la peau. Cette famille de molécules bloque la voie de signalisation Hedgehog, fortement impliquée dans l’embryogenèse, dont le dérèglement serait impliqué dans plusieurs cancers (Voir CNRS).

La voie de signalisation Hedgehog est une cascade de réactions biochimiques complexes. Qui s’active notamment au cours de l’embryogenèse et participe également à la prolifération et à la différenciation des cellules, ainsi qu’à la production de nombreux tissus. Le dérèglement de cette voie semble impliqué dans le développement de nombreux cancers, notamment certaines tumeurs cérébrales très agressives de l’enfant.

Pour découvrir cette nouvelle classe de molécules, ces chercheurs, dirigés par Martial Ruat, ont eu recours à un nouvel outil qui n’a pas fini de bouleverser la cancérologie : le criblage virtuel de banques de molécules informatisées. Après avoir passé en revue plus de 500 000 molécules répertoriées dans ces banques, ils ont identifié celles dont la structure se rapprochait de celle des molécules déjà connues pour bloquer cette voie de signalisation.

Sur la vingtaine de « candidats » retenus, les scientifiques en ont choisi un et ont modifié sa structure pour améliorer encore son effet thérapeutique. Ils ont ensuite pu observer in vitro que cette nouvelle molécule, baptisée acylguanidine MRT83, bloquait effectivement la prolifération des cellules suspectées d’être à l’origine de tumeurs cérébrales. Ces travaux devraient déboucher d’ici quelques années sur la mise au point de nouveaux médicaments particulièrement efficaces pour combattre certains cancers aujourd’hui très difficiles à traiter.

En juillet 2014, une autre équipe belge, dirigée par Pierre Sonveaux, a découvert un nouveau mécanisme très intéressant qui pourrait empêcher la formation de métastases chez les personnes atteintes de tumeurs cancéreuses (Voir AACR). Ces travaux ont montré que les cellules tumorales qui sont capables de migrer pour provoquer des métastases produisent un déchet spécifique, le superoxyde. Ces chercheurs ont ensuite montré qu’en bloquant cette production de superoxyde, il était possible d’empêcher la formation de métastases.

Les premiers essais sur la souris ont en effet confirmé que cette méthode bloquait la formation de métastases dans le cas de cancers de la peau. Autre élément encourageant : les molécules qui bloquent ce superoxyde sont déjà connues et utilisées dans certains traitements de la maladie de Parkinson et de l’Hépatite C, ce qui devrait raccourcir le temps nécessaire au passage à l’expérimentation sur l’homme.

Pratiquement au même moment, une autre équipe américaine du Southestern Center (Dallas-Texas), dirigée par Kenneth Westover, a identifié la molécule SML-8-73-1 comme inhibiteur sélectif et irréversible du gène KRAS muté, un oncogène impliqué dans les cancers du poumon, du côlon et du pancréas qui provoque une résistance aux traitements (Voir PNAS).

Ce gène KRAS contrôle la protéine K-Ras qui est directement impliquée dans la prolifération cellulaire. Mais malgré des décennies d’efforts, les nombreuses tentatives pour développer un médicament inhibant la K-Ras avaient jusqu’à présent échoué. Pour surmonter cet obstacle, l’équipe de Kenneth Westover a eu recours à une technique de pointe : la haute résolution cristallographie aux rayons X, ce qui lui a permis de comprendre la liaison SML-K-Ras portant la mutation G12C, une mutation spécifique du cancer du poumon. « Nous pensons que cette molécule SML pourrait être le premier inhibiteur irréversible et sélectif du gène KRAS dont la mutation est impliquée dans au moins 30 % des cancers », a déclaré le Docteur Westover.

Une autre classe de médicaments est en train de bouleverser la cancérologie et est devenue l’une des « vedettes » des derniers congrès de la société Américaine d’Oncologie Clinique (ASCO). Il s’agit des Anti-PD-1, qui appartiennent à une nouvelle classe d’anticorps monoclonaux qui agit directement sur le récepteur PD-1(programmed death -1) exprimé à la surface des lymphocytes. Ces récepteurs contrôlent la voie qui bloque l’activation des lymphocytes T. Or, c’est justement cette voie qui est utilisée par les cellules cancéreuses pour déjouer le système immunitaire du malade, d’où l’intérêt de leur mode d’action qui rétablit la capacité du système immunitaire à reconnaître et à éliminer les cellules cancéreuses.

Parmi ces Anti-PD-1, deux molécules semblent très prometteuses dans le traitement de plusieurs cancers (Mélanome, Cancer du poumon et cancer du rein), le nivolumab et le pembrolizumab. Ces produits ont permis de prolonger très sensiblement l’espérance de vie de certains patients (71 % de malades toujours en vie au bout d’un an) et ils produisent une action thérapeutique qui semble se prolonger bien après l’arrêt du traitement, comme si les cellules gardaient la mémoire de nouveaux pouvoirs contre les cellules cancéreuses !

Un autre médicament fait également beaucoup parler de lui depuis sa découverte, il y a deux ans, le Liminib. Cette molécule est un inhibiteur de la protéine LIM Kinase (LIMK). Dans les cancers agressifs, cette protéine est surexprimée et permet le développement rapide des tumeurs. Le Liminib agit en bloquant la LIMK, ce qui freine le pouvoir de production et de migration des cellules cancéreuses (Voir AACR).

Une étude récente dirigée par Laurence Lafanechère, chercheur au CNRS, a confirmé que le Liminib est toxique in vitro sur plusieurs lignées cellulaires cancéreuses, y compris sur des lignées résistantes aux chimiothérapies conventionnelles. Selon cette scientifique, son utilisation est envisagée d’ici 4 ou 5 ans sur l’homme pour le traitement des cancers résistants aux chimiothérapies actuelles.

Il faut également évoquer une autre molécule particulièrement prometteuse découverte en 2008 à Grenoble par la biologiste Aurélie Juhem. Baptisée ETD 5, cette substance possède une double capacité : elle stoppe la prolifération de la tumeur et détruit simultanément les vaisseaux qui se sont formés pour l’alimenter.

Pour exploiter sa découverte, Aurélie Juhem a créé une start-up, "Écrin Therapeutics", qui a réalisé des premiers essais très encourageants sur la souris. ETD 5 devrait faire prochainement l’objet d’essais cliniques sur l’homme au centre anti-cancéreux Léon Bérard de Lyon.

Il y a quelques semaines, une autre étude a fait grand bruit en révélant les résultats exceptionnels d’un nouveau médicament, le pertuzumab, commercialisé sous le nom de Perjeta par Roche. Cette nouvelle molécule a permis d’obtenir des résultats impressionnants lors des essais cliniques, réalisés sur 800 femmes, atteintes d’un cancer du sein HER2 positif. Ce type de cancer est particulièrement agressif, et représente 15 % des cas. 

Les essais cliniques ont montré que l’administration de Perjeta, combiné aux anciens médicaments, comme l’Herceptin, réduisait la mortalité de 32 %. Les femmes sous Perjeta ont vu leur durée de vie augmenter de 16 mois, avec une durée de survie médiane de 56,5 mois contre 40,8 mois pour les autres. Le médicament, comme l'Herceptin, agit comme un anticorps, en bloquant l'action de la protéine HER2. Pour Sandra Swain, de l'Hôpital central de Washington, l'oncologue en charge de cette étude, il s'agit là de « résultats phénoménaux, sans précédent dans d'autres études sur le cancer du sein ». 

Après avoir passé au crible plus de 300 000 molécules, d’autres chercheurs américains ont développé un médicament anticancéreux lui aussi très prometteur. Baptisé OTS964, il s’agit d’un inhibiteur de TOPK, une protéine kinase impliquée dans de nombreux cancers. Testé chez la souris, il éradique totalement le cancer du poumon humain greffé, sans causer de toxicité. Un essai de phase 1 est prévu dans un an (Voir Science).

Selon Yusuke Nakamura, Professeur de médecine à l'Université de Chicago, qui dirige ces recherches, les premiers essais cliniques sur l’animal sont particulièrement encourageants. Celui-ci déclare « Nous avons pu constater, en travaillant sur six souris porteuses de grosses tumeurs du poumon très agressives (LU99), que l’administration par intraveineuse de cet inhibiteur OTS964 pendant trois semaines, avait permis une disparition complète de ces tumeurs chez cinq d’entre elles au bout d’un mois de traitement. Nous avons ensuite observé que l’administration de ce médicament par voie orale était encore plus efficace et permettait une régression complète des tumeurs chez tous les animaux traités. En outre, les effets thérapeutiques de ce traitement semblent se poursuivre même longtemps après son arrêt. Il est très rare d’observer chez la souris une régression complète de ce type de tumeur et j’ai vécu l’un des plus beaux moments de toute ma carrière ».

Enfin, je souhaite terminer cette revue, bien entendue non-exhaustive des impressionnants progrès récents dans la lutte contre le cancer, en évoquant l’étonnante découverte faite par des scientifiques de l’Université australienne de Brisbane. Ceux-ci ont en effet mis en évidence les remarquables propriétés anticancéreuses d’une baie de l’arbre australien appelé Blushwood tree - arbre au bois rouge - dont le nom scientifique est Hylandia dockrillii, une espèce que l’on trouve au nord de l’État de Queensland, en Australie.

D’après ces chercheurs, cette molécule serait efficace par application, et surtout par injection, contre plusieurs types de cancer, dont le mélanome, le cancer du sein, le cancer des poumons et le cancer de la prostate. Des essais précliniques sur des souris, réalisés il y a quelques semaines, montrent que cette substance permet une régression importante et rapide des tumeurs traitées… Par rapport aux chimiothérapies actuelles, l’EBC-46 est beaucoup plus rapide et agit en quelques jours en agissant simultanément sur trois fronts : elle s’attaque directement à la tumeur, elle coupe son approvisionnement en sang et enfin elle active le système immunitaire. Si les essais sur l’homme confirment ces résultats sur l’animal, EBC-46 pourrait devenir l’un des nouveaux médicaments les plus prometteurs contre certains cancers (Voir PLOS One).

Cette très belle et très inattendue découverte australienne nous montre à quel point il est capital pour l’avenir de la biologie et de la médecine d’intensifier nos efforts pour préserver partout la biodiversité de notre planète car la nature recèle encore de multiples « trésors thérapeutiques » cachés que nous devons absolument préserver.

Il faut également rappeler à quel point cette effervescence et cette accélération dans la mise au point de nouveaux traitements chimiothérapiques et immunothérapiques contre les cancers sont indissolublement liées, non seulement aux progrès dans la connaissance fondamentale des mécanismes cellulaires, moléculaires et génétiques qui interviennent dans la cancérisation mais également aux avancées décisives dans les domaines mathématiques et informatiques qui permettent de traiter très rapidement des quantités phénoménales de données et de disposer d’outils extrêmement puissants de modélisation et de simulation des processus et mécanismes biologiques.

Toutes les récentes avancées dans la lutte contre le cancer montrent que le combat contre cette maladie peut être gagné mais nécessite de renforcer encore cette triple alliance nouvelle qui unit désormais les sciences du vivant, les sciences physiques et optiques et bien entendu les sciences de l’information et les outils numériques. En nous appuyant sur ces progrès spectaculaires de la science et de la médecine, notre société tout entière doit se fixer un objectif ambitieux : non pas celui d’éradiquer le cancer, car ce phénomène biologique est intimement lié à la vie elle-même mais celui de transformer en une génération le cancer en une maladie chronique qui cessera de tuer les personnes qui en sont atteintes.

Rappelons enfin inlassablement que cet objectif visant à la maîtrise totale du cancer sera atteint bien plus rapidement et bien plus facilement si nous reconnaissons enfin à sa juste place l’importance considérable d’une prévention active, personnalisée et généralisée contre cette maladie, puisqu’on sait à présent que sans doute plus de la moitié des cancers peuvent être évités ou considérablement retardés en modifiant de manière appropriée notre mode de vie.

Au moment où l’Europe est dans la tourmente économique et où la nouvelle Commission européenne cherche à mettre en place de grands programmes destinés à relancer la croissance et à stimuler la recherche et l’innovation, il serait infiniment souhaitable, en s’inspirant du plan cancer lancé par Jacques Chirac en 2003, de mettre en œuvre un vaste plan cancer au niveau européen qui fédérerait les ressources et les compétences de l’ensemble des disciplines scientifiques et serait doté d’un horizon financier et budgétaire d’une vingtaine d’années. Au niveau national, souhaitons que nos dirigeants, en dépit des difficultés économiques et budgétaires que doit affronter la France, sachent préparer l’avenir et donnent à notre recherche scientifique et médicale, tant publique que privée, les moyens et les outils nécessaires pour gagner le plus rapidement possible cette longue guerre contre le cancer.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

  • Paulus Yannick

    13/06/2016

    Bsr, ma belle maman est atteinte d'un cancer et la chimio ne convient plus a cause des plaquettes alors j'aimerais savoir quelle démarche faire afin qu'elle soit sur une liste d'attente ou candidat d'essai clinique, c'est une personne formidable qui ne devrait pas nous quitté!
    merci

    Yan

  • Heeraman

    5/08/2016

    Bonjour Madame,

    Je suis atteint d'un cancer du pumon.0

    Mon épouse avait eu le cancer du sein. Ablation d'un sein après l'autre, chimiothéraphie,radiothéraphie etc. Elle est dcd en juillet 3013 après une lutte depuis 1998.

    Restez en contact avce moi.

    Je suis soigné à l'hopital Foch à Suresnes, DFr. Fraboulet, qui sont très performant et à la pointe du progrès tand en matériel d'examens que produits conctre le cancer.

  • back-to-top