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Edito : Des plastiques entièrement bio dégradables. Est-ce possible ?

Le 10 juin dernier, 95 Etats ont signé l’« appel de Nice » pour un traité ambitieux sur le plastique. La déclaration, à l’initiative de la France, qui accueillait la troisième édition de l’UNOC, renforce la pression sur les États-Unis et la Chine, les deux plus gros consommateurs mondiaux de plastiques, qui restent opposés à un traité contraignant. Dans leur déclaration, ces Etats rappellent l'importance de s’attaquer à la production et à la consommation de plastiques pour espérer faire enfin diminuer de manière importante cette pollution qui est devenue au fil des décennies un véritable fléau sanitaire et environnemental. Pour la première fois, un projet de traité international envisage « l’adoption d’un objectif mondial visant à réduire la production et la consommation de polymères plastiques primaires à des niveaux durables ». Cet objectif pourra être régulièrement révisé à la hausse.

Pour mieux comprendre l’importance planétaire d'un traité international prévoyant une réduction globale de la production de plastiques, il faut rappeler quelques chiffres : la production mondiale de plastique est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 500 millions de tonnes en 2025. Elle pourrait encore augmenter de 66 % d’ici 2040 si rien n’est fait, selon les projections actuelles. Le plastique représente aujourd’hui plus de 80 % des déchets aquatiques et environ 10 millions de tonnes de déchets plastiques finissent chaque année dans les océans. Et si nous ne faisons rien, la production de plastique risque de tripler d'ici 2060, ce que la planète ne pourrait pas supporter.

Pour répondre à la fois au défi climatique, sanitaire et environnemental, partout dans le monde les recherches s'intensifient pour essayer de produire des matériaux à la fois plus durables, plus recyclables, et non issus des énergies fossiles. Parmi les plastiques biosourcés et recyclables, l’acide polylactique (PLA) constitue une alternative possible, par exemple dans l’emballage. Toutefois, son emploi reste encore limité à cause de sa fragilité thermique. Pour lever cet obstacle de taille, des chercheurs français de l’Institut de recherche de chimie Paris (CNRS/Chimie ParisTech – PSL) ont développé récemment un procédé de synthèse innovant catalysé par un complexe de fer. L'avantage décisif de ce catalyseur unique est qu’il est capable d’enchaîner deux réactions de polymérisation distinctes en une seule opération : la formation de poly silyl éther (PSE), un polymère connu pour sa grande stabilité thermique et sa résistance chimique, suivie de la polymérisation du lactide, pour produire des copolymères PSE-PLA. Cette approche, dite "tandem", repose sur un complexe de fer simple, peu coûteux et actif à température ambiante, ce qui en fait une solution à la fois efficace, économique et respectueuse de l’environnement. Les copolymères issus de ce nouveau procédé, à partir de matières premières renouvelables comme le lactide et l’isosorbide, dérivé du glucose, présentent des propriétés thermiques tout à fait remarquables : certains résistent à plus de 500°C avant de se dégrader. Elle ouvre donc la voie à des matériaux biosourcés, résistants et recyclables (Voir Wiley).

Une autre équipe de recherche, associant des chimistes du Laboratoire hydrazines et composés énergétiques polyazotés (CNRS/CNES/ARIANEGROUP/Université Claude Bernard) et du laboratoire Catalyse, polymérisation, procédés et matériaux (CNRS/CPE Lyon/Université Claude Bernard) ont présenté, il y a quelques semaines, un nouveau procédé de recyclage, basé sur l'utilisation d'un tétrazène spécifique, le tétraméthyltétrazène ou TMTZ. Cette technique, simple et efficace, permet de déclencher, par simple chauffe, la dépolymérisation des chaînes moléculaires pour retourner aux monomères. Cette innovation ouvre la voie vers la création de polymères biodégradables de manière contrôlée.

Fin 2024, une équipe de chercheurs japonais dirigée par Takuzo Aida du Centre RIKEN au Japon a mis au point un plastique supramoléculaire biodégradable et durable. Le plastique ainsi conçu peut se dégrader, seul, dans l’eau de mer, grâce à sa structure unique. Tant qu'il est à l’air libre, il se comporte comme un plastique traditionnel, mais, une fois immergé, il se décompose sans produire de microplastique. Pour parvenir à cet étonnant résultat, ces chercheurs ont développé un procédé ingénieux qui combine deux monomères ioniques, de l'hexa métaphosphate de sodium, un additif alimentaire courant, et un monomère à base de guanidinium. C'est cette association qui permet à ce plastique d'être décomposé par des bactéries présentes dans les océans. En moyenne, les feuilles de ce bioplastique se décomposent en moins d'une journée et pourtant ce matériau peut être rendu imperméable pour certaines applications. Dernier avantage de ce matériau, ses produits de dégradation contiennent de l’azote et du phosphore, assimilables par les micro-organismes et les plantes en tant que nutriments (Voir Science).

En avril dernier, une autre équipe japonaise de l'Agence pour les sciences et technologies marines et terrestres (JAMSTEC), située à Yokosuka, a mis au point un matériau inédit : le tPB, ou "transparent Paper Board". Ce matériau est intégralement constitué de cellulose vierge, identique à celle utilisée dans la fabrication du papier (Voir Science Advances). Sous la direction de Noriyuki Isobe, l’équipe a découvert qu’un traitement de la cellulose par bromure de lithium permettait de se passer des coagulants chimiques habituellement requis dans la fabrication de la cellophane. Les tests ont montré qu’un gobelet en tPB était capable de contenir de l’eau bouillante pendant plus de trois heures, sans aucune fuite. Un simple enduit à base de sel d’acide gras d’origine végétale suffit à le rendre totalement étanche, faisant du tPB une alternative crédible aux gobelets plastiques classiques. Ce matériau peut également se dégrader rapidement dans le milieu marin.

L'industrie cosmétique fait partie des plus gros consommateurs de plastique au monde. Le numéro un mondial de ce secteur, L'Oréal, en utilise plus de 10 000 tonnes par an pour ses différents emballages. D'ici à 2030, ce géant industriel français souhaite atteindre l'objectif de 100 % d'emballages plastiques d'origine recyclée ou biosourcée. Dans cette perspective, L'Oréal a signé un contrat pluriannuel avec la société française Carbios, capable de recycler à l'infini les plastiques PET (polyéthylène téréphtalate), parmi les plus utilisés pour la fabrication de bouteilles et emballages. Cette entreprise, basée en Auvergne depuis 2014, travaille sur une technologie unique au monde utilisant des enzymes hautement spécifiques pour recycler les plastiques PET. Contrairement aux procédés de recyclage thermomécaniques, énergivores, Carbios a mis au point un procédé naturel, utilisant des catalyseurs biologiques qui permettent un retour aux monomères de départ. Carbios a récemment annoncé qu'elle ouvrira en 2027 à Longlaville, en Lorraine, dans la région Grand-Est, son usine qui sera la toute première au monde à recycler par voie enzymatique du PET (le type de plastique le plus commun, 100 % recyclable, utilisé pour les bouteilles d'eau ou les flacons de shampoing) à l'échelle industrielle.

Il y a quelques jours des chercheurs de l'université d’Édimbourg, en Écosse, ont réussi à synthétiser du paracétamol à partir de déchets plastiques grâce à une réaction impliquant des bactéries E. Coli, Cette expérience, qui a fait grand bruit au niveau international, montre qu'il est possible de produire ce médicament essentiel à partir de déchets plastiques, via un processus qui ne pourrait pas fonctionner à partir d'une synthèse « seulement chimique ou seulement biologique », comme le souligne l' étude. Le paracétamol, largement utilisé dans le monde contre la douleur et la fièvre, est l'un des médicaments les plus courants. Il est produit à base de dérivés du pétrole, le plus souvent par des sous-traitants basés en Asie, via des techniques très peu coûteuses mais polluantes. Dans ces travaux, les scientifiques ont d'abord utilisé des composants d'une bouteille usagée en plastique PET (polytéréphtalate d'éthylène) pour induire une réaction chimique dans une souche de bactéries Escherichia coli (E. Coli). À l'issue de cette première étape, les bactéries ont synthétisé une molécule, dite «PABA». Puis, en modifiant génétiquement les bactéries, les scientifiques leur ont permis de transformer cette molécule en paracétamol. Cette avancée remarquable, qui pourrait, selon les chercheurs, être étendue à de nombreux types de déchets de plastiques, ouvre la voie à un recyclage et une valorisation prometteuse et à haute valeur ajoutée, de ces déchets à base de plastique (Voir The University of Edinburgh).

A Londres, la municipalité, pour récupérer les déchets plastiques présents dans la Tamise, utilise un navire autonome, le Waste Shark, qui a été conçu pour éliminer les déchets flottants afin d’éviter leur prolifération dans les océans. Développé par l’entreprise Ran Marine Technology, basée à Rotterdam aux Pays-Bas, le Waste Shark est un petit bateau autonome alimenté par une batterie électrique. Il est capable de détecter les déchets et de les avaler. La machine peut se déplacer pendant huit heures avec une seule charge, et effectue ses tâches programmées de collecte de déchets. Ce robot peut nettoyer jusqu'à 500 kg de déchets par jour, soit l’équivalent de 21.000 bouteilles en plastique. Le Waste Shark est également capable de prélever des échantillons d’eau et de collecter des données sur l'environnement marin, grâce à ses capteurs et caméras. Ce robot très efficace est déjà utilisé dans plusieurs villes du monde pour nettoyer les rivières, les canaux ou les ports, notamment à Dubaï, Rotterdam, Paris, Singapour ou en Afrique du Sud et aux États-Unis (Voir Ran Marine).

Pour contribuer à dépolluer et à nettoyer de ses déchets plastiques la Méditerranée, Nicolas Carlési, docteur en robotique, a fondé IADYS en 2016. Cette entreprise a conçu un robot, le Jellyfishbot, capable de collecter en mer, de manière autonome, les déchets et les hydrocarbures. Ce robot dispose de filets permettant de collecter déchets, microplastiques et hydrocarbures. Le Jellyfishbot peut également évaluer la qualité de l’eau (température, salinité, qualité biologique). Plus d'une centaine de ces robots sont déjà déployés dans le monde. En France, le Jellyfishbot est utilisé dans des ports et marinas, à Paris, Cannes et Saint-Tropez (Voir Made in Marseille).

Je veux, enfin, évoquer la solution étonnante développée par des chercheurs de la Brno University of Technology, en République tchèque. Ceux-ci ont conçu des essaims de minuscules robots sphériques capables de recueillir les microplastiques et les bactéries présentes dans l'eau (Voir ACS Publications). 

En s'inspirant des essaims naturels comme les bancs de poissons, ces microsystèmes de 2,8 micromètres de diamètre travaillent en collaboration. Pour les construire, les chercheurs ont relié des brins d'un polymère chargé positivement, qui attirent et captent les plastiques et les microbes, à des microparticules magnétiques qui ne se déplacent que quand elles sont exposées à un champ magnétique. Ces microbots sont en outre réutilisables et récupérables, grâce à un aimant une fois leur tâche accomplie. Comme le souligne Martin Pumera, qui a dirigé ces recherches, « La combinaison des sciences des matériaux, du magnétisme et de l'ingénierie à micro-échelle a montré le formidable potentiel des essaims de microrobots coordonnés pour résoudre les problèmes complexes de pollution marines ».

Face à ce défi planétaire redoutable que constitue l'impact humain, climatique et environnemental de la production effrénée de matières plastiques non biodégradables et difficilement recyclables, on voit donc qu'il va falloir utiliser simultanément et très fortement 3 leviers complémentaires : en premier lieu, et c'est le plus important, aller vers un traité mondial contraignant qui interdise, à terme, toute production de plastiques ou d'équivalents, qui ne soient pas entièrement biosourcées et biodégradables, notamment dans les océans. Ensuite, intensifier les recherches qui visent à dégrader et recycler par des procédés peu énergivores et écologiques, les plastiques actuels et leurs déchets. Enfin, utiliser à grande échelle, dans le cadre de coopérations entre états, des flottilles de robots de différente taille, capables, grâce à l'utilisation de l'IA, de nettoyer nos océans et fleuves et d'en extraire les micro-déchets en plastique qui menacent gravement tous les écosystèmes et la santé humaine. Si nous voulons laisser un monde vivable pour nos enfants et petits-enfants, le temps est venu d'intégrer au niveau mondial ce défi du plastique à la lutte globale contre le changement climatique et pour la protection et la restauration de l'environnement...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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