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Edito : Transports de marchandises : vers un rééquilibrage par le rail au niveau européen

Le 15 octobre 2010 le nouveau tunnel de base au Gothard a été achevé et sa mise en fonction est prévue pour 2017. "Le chantier du siècle", comme le surnomment les médias suisses, permettra de relier dès 2017 Zurich à Milan en 2H40, soit une heure de moins qu'actuellement.

Les trains de passagers pourront circuler à 250 km/h, tandis que les convois de marchandises atteindront 160 km/h, le double de la vitesse actuelle. 300 trains pourront emprunter le tunnel quotidiennement, bien plus qu'avec l'ouvrage actuel, construit il y a 128 ans et long de 15 km. Il devrait ainsi décongestionner le trafic routier européen en offrant une voie rapide sur l'axe de transit nord-sud.

Fait remarquable, en Suisse, c'est le peuple qui a forgé sa cohérence à la politique des transports, en particulier au transfert des marchandises de la route au rail. En 1992, les Suisse approuvaient la réalisation des NLFA (Nouvelles Liaisons Ferroviaires Alpines). En 1994, ils adoptaient la taxe poids lourds. En 1998, ils se prononçaient en faveur de la nouvelle taxe poids lourds (RPLP) et votaient en faveur d'un fonds de financement des transports publics.

A partir de 2017, en installant des trains-navettes dans les tunnels ferroviaires du col dans la nouvelle galerie de base, on pourra transporter plus de 4,5 millions de voitures et 500 000 camions par an. Il sera ainsi possible d'améliorer la rentabilité des nouvelles lignes.

Avec le tunnel de Lotschberg, mis en service en 2007, et celui du Gothard qui ouvrira en 2017 c'est tout le maillon alpin d'une liaison ferroviaire européenne reliant Rotterdam à Gênes qui prend forme. Cette liaison devrait être renforcée à l'horizon 2025 avec l'ouverture du tunnel ferroviaire du Brenner entre la Suisse et l'Italie et complétée par la transversale Lyon-Trieste-Budapest, décidée en juin 2010 au niveau européen et qui intègre la liaison transalpine Lyon-Turin et son tunnel de plus de 50 km.

Dans une quinzaine d'années, si la volonté politique se maintient au niveau européen, notre continent aura franchi une étape décisive vers le rééquilibrage du fret de marchandises en faveur du rail.

Le jour où ce chantier titanesque se terminait, les états-membres de l'UE concluaient à Luxembourg un accord majeur, après deux années de négociations laborieuses, afin d'autoriser l'introduction de frais de péage spécifiques pour la pollution et les nuisances sonores provoquées par les poids lourds.

L'objectif est d'élargir un texte existant encadrant les péages, appelée "directive Eurovignette". Aujourd'hui, ces taxes ne peuvent être prélevées que pour couvrir les coûts de construction et d'entretien de routes. Le nouveau cadre européen va permettre aux Etats d'augmenter les péages en prenant en compte pour la première fois des critères environnementaux : bruit et pollution.

Les péages actuels coûtent entre 15 et 25 centimes par kilomètre en moyenne. Ils pourraient augmenter de 3 à 4 centimes en cas d'accord. Les gouvernements auront également la possibilité de moduler les tarifs en les augmentant jusqu'à 300 % aux heures de pointe, par rapport aux heures calmes, pour tenter de réduire les bouchons.

Ce nouveau cadre européen va évidemment accélérer le transfert du transport de marchandises de la route vers le rail, moins polluant, et pousser les transporteurs à acheter des véhicules moins polluants. Il s'agit à terme de rendre le rail plus attractif et plus compétitif que la route pour le transport des marchandises en faisant payer le transport par camion à son véritable coût intégrant non seulement l'entretien des infrastructures mais également l'impact global sur l'environnement notamment en terme d'émissions de CO2.

L'UE a produit en 2008 4,9 milliards de tonnes d'équivalent CO2, un des principaux gaz à effet de serre, soit 800 millions de tonnes de moins qu'en 1990, selon l'Agence européenne pour l'environnement (AEE). Mais alors que tous les secteurs d'activité ont diminué leurs émissions, le point noir reste le secteur des transports qui a vu ses émissions de CO2 augmenter de 24 % en 2008 par rapport à 1990.

Stabiliser puis réduire de manière sensible les émissions de CO2 générées par le secteur des transports est donc devenu un enjeu économique, écologique et politique majeur pour l'Europe. Pour cela, l'Europe a tout intérêt à s'inspirer du choix courageux et visionnaire de la Suisse et à investir sur le long terme dans des infrastructures et modes de transport à la fois plus sobres en énergie, propres ou faiblement émetteurs de CO2.

Le renchérissement inéluctable du pétrole lié à la croissance de l'Inde et de la Chine et la pression démocratique des opinions publiques nationales de plus en plus sensibilisées à la menace du réchauffement climatique devraient entraîner un rééquilibrage massif et durable de la route vers le rail pour les transports de marchandises et accélérer la réalisation d'un véritable réseau ferroviaire européen à grande vitesse d'ici 2030.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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