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Edito : Les transports de demain

Dans le débat qui se développe autour de la question de l’avenir des transports dans le monde, on se focalise surtout sur la problématique de la voiture autonome. Il s’agit certes d’une rupture technologique et sociétale très importante qui se profile, mais elle ne doit pas faire oublier que les transports vont connaître dans les vingt ans qui viennent d’autres révolutions tout aussi importantes que je voudrai évoquer cette semaine, notamment dans le domaine des transports urbains, des transports ferroviaires et des transports aériens.

A Lyon, dans le quartier en pleine mutation de la Confluence, les navettes NAVLY sont expérimentées avec succès depuis 2016, sur un trajet ouvert d’1,3 km. Ces navettes entièrement autonomes ont parcouru plus de 14 000 km et transporté 22 000 passagers, sans connaître d’incident majeur. En constante évolution technologique, ces navettes vont intégrer le protocole de communication V2X, qui permet aux véhicules de dialoguer entre eux. Les utilisateurs de ces navettes disposent également à présent d’une application sur smartphone qui leur permet d’utiliser de manière optimale ce moyen de transport futuriste.

Dans ce même quartier de la Confluence, une nouvelle expérimentation novatrice a démarré il y a quelques semaines, dans le cadre du projet européen Esprit. Il s’agit d’un système d’autopartage qui repose sur l’utilisation modulable de petits véhicules électriques de deux ou trois places frontales, qui peuvent facilement s’emboîter pour former un petit train. L’idée est de pouvoir adapter en temps réel l’offre de transport à l’évolution très changeante de la demande tout au long de la journée.

En 2016, la région Ile-de-France a également expérimenté avec succès ces navettes autonomes sur le Pont Charles de Gaulle, avec plus de 30 000 voyageurs. Depuis l’année dernière, la navette autonome et électrique de Navya et Keolis est également expérimentée à la Défense et sur le site propre de Saclay. A Vincennes, un test encore plus ambitieux a commencé il y a quelques mois et utilise ces navettes autonomes pour relier le Parc floral et la station Château de Vincennes.

Dans la région Grand-Est, après l’expérimentation réussie de navettes autonomes dans le centre-ville de Verdun cet été, les métropoles de Metz et Thionville viennent d’annoncer qu’elles allaient déployer rapidement ce type de navettes autonomes pour enrichir et améliorer leur offre de transports urbains.

En Normandie, Renault et l'opérateur de transports publics Transdev ont lancé fin juin à Rouen un service expérimental de navettes autonomes circulant à la demande au milieu de la circulation. Le Rouen Normandy Autonomous Lab doit desservir finement tout un quartier depuis le terminus du tramway à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans la banlieue rouennaise. Concrètement, les usagers peuvent commander un véhicule depuis l'un des arrêts, grâce à une application baptisée Nestor, disponible sur leur smartphone. Ils sont transportés par quatre voitures autonomes Renault Zoé électriques, auxquels s'ajoutera ultérieurement une navette autonome i-Cristal codéveloppée par Transdev et le groupe alsacien Lohr.

Dans la région Pays de Loire, les Nantais peuvent tester, depuis juin dernier l'utilisation d'une navette électrique autonome sur un parcours de 650 mètres, entre la station de tramway Gare Maritime et la carrière Misery, à Chantenay. D'une capacité de 15 places, cette navette se déplace  à une vitesse maximale de 18 km/h, mais l’objectif affiché est de pouvoir faire rouler ces véhicules à 30 km/h en zone urbaine, et au milieu de la circulation.

Du côté du transport de marchandises, une autre révolution technologique, bien que moins visible, est également en marche. Le constructeur suédois Volvo vient par exemple de présenter un nouveau concept de poids lourd électrique et totalement autonome qui fait disparaître la cabine (Voir Volvo Trucks). Le Volvo Vera a été conçu pour effectuer des trajets répétitifs et de courte distance pour transporter de grandes charges lourdes dans les zones portuaires, les centres logistiques, les usines.

Se projetant dans le futur, Volvo imagine des flottes composées de ce type de camion autonome qui pourraient assurer des rotations permanentes sur un site donné, coordonnées à distance par un centre de contrôle qui optimiserait le flux tout en surveillant le niveau de batterie et le chargement. Il s’agit, in fine, de réduire à la fois les coûts et les délais de livraison des produits, tout en diminuant encore les stocks de marchandises, qui représentent un capital immobilisé et improductif.

Dans la vidéo qu’il propose sur YouTube, Volvo souligne que « le camion intelligent de demain sera plus proche d'un smartphone sur roues que d'un véhicule traditionnel ». Bien entendu, Volvo imagine une gestion du cycle de vie de ces camions entièrement gérée par l’informatique et l’internet des objets. Ces camions high-tech sauront notamment exploiter, grâce à l’analyse en temps réel des « big data » toutes les informations concernant leur chargement, l’environnement routier, le type de conduite et l’état de fatigue du chauffeur, les conditions météo ou encore l’intégration d’une livraison urgente non prévue. Ces véhicules seront non seulement équipés d’un système de gestion prévisionnelle des pannes (qui leur permettront d’anticiper les problèmes et de changer les pièces usées avant qu’elles n’entraînent une panne) mais pourront également adapter leur puissance ou leur suspension en fonction de la charge et de l'état des routes.

Les transports ferroviaires ne vont pas non plus être épargnés par cette révolution technologique. C’est ainsi qu’à Saran, dans le Loiret, une start up, « Space Train » prépare le train du futur (Voir Space Train). Propre et silencieux, car utilisant uniquement de l’hydrogène, cet engin sera propulsé par des moteurs à induction sur un monorail, créant ainsi un champ magnétique le soulevant à quelques millimètres du sol. Prévu pour pouvoir atteindre les 720 km/h, le "Space Train" serait nettement plus rapide que tous les trains à très grande vitesse en service, y compris le Maglev, à sustentation magnétique japonais, détenteur du record du monde de vitesse sur rail, avec 603 km/h.

Si tout se passe comme prévu, les premiers essais du « Space Train » pourraient se dérouler en 2020, pour une commercialisation en 2025. Avec un coût moyen estimé à dix millions par km de voie (contre 25 millions pour le TGV), Space Train met également en avant sa compétitivité et son potentiel en matière de développement économique et d’aménagement du territoire. Il est vrai qu’un « Space Train » pourrait accomplir un Paris-Orléans en moins d’un quart d’heure, contre 1h10 aujourd’hui, et les principales régions françaises suivent avec beaucoup d’intérêt l’avancement de ce projet de train ultra-rapide.

D’autres concepts de transports plus futuristes pourraient également voir le jour à plus long terme. C’est le cas de Link & Fly, imaginé par la société française Akka Technologies, qui veut combiner avion et train pour proposer un système de transport d’une modularité sans précédent et accélérer les transferts de fret ou de passagers entre ces deux moyens de transport. Le concept repose sur un assemblage à la demande de modules sur rails pouvant être embarqués directement sur un avion sans fuselage (Voir You Tube).

Dans sa configuration complète, Link & Fly permettrait de rassembler dans un module s’emboitant dans l’avion et pouvant également circuler sur les voies ferrées, jusqu’à 162 passagers. L’appareil porteur pourrait également accueillir des modules conçus pour le fret et embarquer alors jusqu’à 21 tonnes. Akka Technologies met en avant le fait que le trafic aérien va doubler au cours des quinze prochaines années, et que, pour faire face à cette explosion de la demande de transport, il va falloir combiner de manière plus innovante et plus compétitive les différents modes de transports existants…

Ce concept révolutionnaire de modules compatibles fer-air et interchangeables est également développé depuis 2009 par la très sérieuse École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Baptisé "Clip-Air", ce système repose, comme celui d’Akka Technologies, sur un assemblage de modules et sur une aile volante sur laquelle viennent se fixer une, deux ou trois capsules, en fonction des besoins. Loin d’être un rêve un peu fou de chercheurs, « Clip Air » est le fruit d’une réflexion poussée et répond à un cahier des charges très strict qui intègre l'ensemble des contraintes techniques et réglementaires (Voir aeronews tv).

Concrètement, Clip-Air repose sur un système de transport à deux composantes. D’une part, la structure porteuse, qui regroupe les ailes, les moteurs et les réservoirs. D’autre part, la charge transportée, soit des passagers, soit du fret, qui se situe dans des capsules pouvant accueillir chacune 150 personnes. Pour les chercheurs de l'EPFL, ce nouveau concept de transport pourrait avoir une efficacité bien plus grande pour un coût d'utilisation bien moindre que n'importe quel avion classique, en raison notamment d'une flexibilité de gestion et d'utilisation sans égale.

En outre, la consommation d'un avion de type Clip-Air serait, à nombre de passagers égal et à vitesse identique, deux fois moins importante que celle d'un A320. Chaque capsule mesurerait 30 mètres de long pour 30 tonnes, soit la taille d'un wagon de chemin de fer et ce système révolutionnaire de transport serait donc entièrement compatible avec les infrastructures ferroviaires et aéroportuaires existantes.

En attendant de voir peut-être un jour voler ces étranges appareils, Airbus, Rolls-Royce et Siemens ont annoncé à la fin de l’année dernière qu’elles avaient décidé d’unir leurs forces pour mettre au point rapidement un prototype d’avion électrique, à partir d’un BAe 146, avion de taille moyenne équipé de quatre moteurs à réaction. Dans un premier temps, l'un des quatre réacteurs sera remplacé par un moteur électrique de deux mégawatts. A terme, une deuxième turbine sera également remplacée par un moteur électrique. Ce prototype E-Fan X permettra de tester en conditions réelles le comportement d’un moteur électrique en vol, afin d’améliorer les performances et la sécurité. Dans cette alliance technologique, Airbus sera responsable de l’intégration générale du moteur et de l’architecture de contrôle du système de propulsion hybride électrique ; Rolls-Royce s’occupera du moteur électrique de 2 mégawatts et de l’électronique de puissance ; quant à Siemens, il sera chargé de concevoir les deux moteurs électriques et l’électronique de contrôle.

La compagnie aérienne Easy Jet a pour sa part annoncé, fin 2017, qu'elle travaillait également, en collaboration avec le constructeur américain Wright Electric, sur un projet d’avion électrique qui devrait pouvoir assurer des vols courts d’ici 2030. Cet appareil pourra transporter de 120 à 220 passagers et sera sensiblement moins bruyant et moins polluant que les avions traditionnels. Rappelons que le transport aérien est désormais responsable de près de 5 % du réchauffement climatique et qu’il est donc urgent que ce mode de transport accélère sa transition technologique vers des modes de propulsion ne recourant plus à des carburants fossiles.

Ce qui est un objectif nécessaire pour l’avion l’est aussi pour le train qui connaît également une nouvelle révolution technologique : il y a quelques semaines, les premiers trains à hydrogène au monde, produits par Alstom, ont commencé à circuler avec des voyageurs en Allemagne, entre Bremerhaven et Cuxhaven (Voir You Tube). Il suffit d’un camion-citerne d’hydrogène pour assurer l’énergie des deux trains, qui roulent 600 km par jour, pendant un mois. Cet hydrogène est stocké sur les toits du train et les piles à combustible transforment l’oxygène et l’hydrogène en électricité. A terme, la généralisation de ces trains à hydrogène en Europe pourrait diminuer de moitié les émissions de CO2 du trafic ferroviaire, sachant qu’une large partie du réseau ferré européen reste non électrifié.

Mais cette nouvelle révolution ferroviaire ne se limite pas aux modes de propulsion et concerne également la gestion informatique du trafic. A ce sujet, la SNCF vient d’annoncer, le 12 septembre dernier, la création de 2 consortiums pour développer 2 prototypes de trains autonomes. Le premier consortium (avec Alstom, Altran, Ansaldo et Apsys) est dédié à la réalisation d'un prototype de train de fret autonome. Le second regroupera les entreprises Bombardier, Bosch, Spirops et Thales et sera focalisé sur la création d'un prototype d'un train TER autonome. Tous les partenaires de ce projet participent à son financement, d'un montant total de 57 millions d'euros (dont 30 % financés par la SNCF, 30 % par l'Etat et 40 % par les partenaires). Leur objectif est de débuter l'industrialisation de trains autonomes GoA en 2023 pour déployer des TER autonomes à partir de 2025.

Le projet de la SNCF consiste à pouvoir équiper, dans une première phase d’au moins 15 ans, les trains existants. A plus long terme, les rames seront conçues pour être véritablement autonomes. Avec la généralisation progressive de l’autonomie complète, les trains d'une même ligne pourront être informatiquement gérés de manière à être parfaitement coordonnés, ce qui permettra, en toute sécurité, d'augmenter leur fréquence d’au moins 25 % sur les grandes lignes.

Signalons enfin que Renault a présenté dans le cadre du récent salon automobile de Genève et du salon du véhicule utilitaires de Hanovre, deux nouveaux concepts de transports très ambitieux qui préfigurent ce que sera la mobilité urbaine à l’horizon 2030. Le premier s’appelle « EZ-GO » (Voir You Tube) et pourrait arriver sur la marché en 2022. Il s’agit d’un taxi-robot qui se veut partagé, électrique, autonome et connecté. Conçu pour accueillir dans les meilleures conditions de confort six passagers -grâce à sa rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite- ce véhicule sera utilisable à la demande, depuis son smartphone, pour se rendre d’un point à un autre en zone urbaine. Il pourra également être utilisé pour des trajets à vocation touristique, grâce à son système d’affichage en réalité augmentée qui pourra délivrer aux utilisateurs une multitude d’informations sur les sites et les rues empruntées.

Le second concept, plus futuriste qu’EZ-GO s’appelle « EZ-PRO » et se veut une solution  de transport autonome de fret en milieu urbain. Long de 4,8 mètres, doté d’une capacité de 12 m3, de deux tonnes d’emport, et d’un chargement frontal très pratique, EZ-PRO sera entièrement électrique et aura une autonomie d’au moins 300km, avec recharge par induction. Plusieurs de ces navettes pourront, si nécessaire, être assemblées pour former un convoi modulable plus important. A l’intérieur de ce véhicule, le technicien, entièrement dégagé des tâches liées à la conduite, pourra gérer ses commandes et ses livraisons grâce à un bureau connecté et se transformer, le cas échéant, en vendeur ambulant pour certains produits. Là encore, il s’agit, avec la généralisation de ce type de navettes, d’en finir avec les livraisons en camions et fourgonnettes aux moteurs bruyants et polluants, qui encombrent les rues de nos villes et exaspèrent de plus en plus les citadins.

Ces quelques exemples de projets et expérimentations en cours montrent à quel point l’ensemble du secteur des transports, qu’il s’agisse de passagers ou de marchandises, va connaître une mutation profonde et rapide. La problématique centrale qui voulait que, depuis plus d’un siècle et demi, ce soit les utilisateurs qui s’adaptent aux offres de transports va en effet s’inverser : dans une dizaine d’années, la combinaison et la synergie de l’autonomie, de la modularité et de la gestion connectée et personnalisée fera que ce seront les différents modes de  transports qui seront capables de se recombiner et s’adapter en permanence à l’évolution des demandes des utilisateurs, et cela change tout !  Ces transports intelligents, intégrés et modulaires, capables d’acheminer conjointement passagers et fret, conduiront notamment à redéfinir les frontières entre les grandes fonctions économiques de production, de distribution et de commercialisation, mais également entre les notions de biens et de services.

Dans cette perspective, qui ne manquera pas d’entraîner des gains considérables en termes d’efficacité et de productivité, il faudra veiller, comme le préconise Daniel Cohen dans son dernier essai « Il faut dire que les temps ont changé », à ce que le temps et les emplois libérés par ces extraordinaires progrès technologiques, soient en partie réorientés vers des fonctions de régulation sociale, de manière à ce que tout le monde, y compris les plus fragiles, puissent voir sa qualité de vie améliorée par cette mutation sans pareil. Rappelons-nous en effet que, comme l’avait bien compris Aristote il y a vingt-quatre siècles, « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » et que les extraordinaires avancées de la science et de la technologie doivent toujours être utilisées pour construire une société plus fraternelle et plus humaine.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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