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Edito : Mondial 2018 : La voiture électrique va enfin décoller...

Le parc automobile mondial a doublé depuis 20 ans et il était estimé à environ 1,4 milliard de véhicules en 2017. Ce parc, qui est déjà responsable d’environ 18 % des émissions mondiales de CO2, soit environ 8 gigatonnes de CO2 par an, devrait dépasser la barre de deux milliards de véhicules en 2040, pour atteindre les trois milliards d’unités en 2050.

Les voitures électriques, pour leur part, même si leur nombre a été multiplié par dix en 10 ans, ne sont encore que cinq millions à rouler dans le monde, soit à peine 0,5 %  du parc automobile mondial. En Europe, les ventes de voitures électriques ont certes progressé de 34 % l’an dernier, mais représentent 0,8 % à peine des immatriculations de voitures neuves. En France, le pourcentage est à peine supérieur, avec 1,2 % des immatriculations en 2017…

Mais les voitures électriques restent handicapés par deux freins majeurs : d’abord l’autonomie réelle, qui ne dépasse pas les 200 à 300 km selon les méthodes de conduite et ensuite le temps de rechargement des batteries qui varie de 8 heures (temps de recharge à domicile sur une prise standard) à une demi-heure pour une charge à 80 %, en utilisant certaines bornes de nouvelle génération très puissantes.

Quant au nombre de bornes de recharge (hors installations à domicile ou en entreprises), il a dépassé en France les 22 000 en début d’année, soit un pour six véhicules électriques. Mais la grande majorité de ces bornes sont situées en zones urbaines et seules 700 d’entre elles sont des bornes puissantes à recharge très rapide. Autant dire que pour explorer les campagnes françaises pendant les vacances, mieux vaut avoir l’œil rivé sur l’écran affichant l’autonomie et prévoir de faire coïncider la recharge des batteries avec un long déjeuner ou une étape à l’hôtel…

Les voitures électriques restent également sensiblement plus chères à l’achat que les véhicules thermiques de classe équivalente et la location de la batterie, qui s’ajoute au prix élevé de ces voitures propres, constitue souvent un facteur dissuasif supplémentaire pour l’acheteur potentiel. Pourtant, une étude récente comparant la Renault Zoe life et la Clio 4 Diesel a montré que, contrairement à certaines idées reçues, le coût annuel total d’utilisation de la Zoe life électrique était inférieur de 160 euros à celui de son homologue à moteur diesel (5 114 contre 5 174 euros par an, sur la base d’un kilométrage annuel moyen de 15 400 km).

Mais des ruptures technologiques en cours changeront radicalement cette situation au cours de la prochaine décennie. L'AIE parie ainsi sur environ 200 millions de véhicules électriques d'ici 2030, soit 10 % du parc automobile mondial. EnerFuture prévoit pour sa part que la part des véhicules électriques dans le parc automobile mondial pourrait atteindre jusqu'à 44 % en 2040 et plus de 50 % en 2050.

Fait révélateur, mêmes les grands groupes pétroliers, peu suspects de sympathie envers la voiture électrique, ont récemment fortement revus à la hausse leurs prévisions d’accroissement du parc électrique mondial. Le géant pétrolier américain Exxon Mobil a ainsi réévalué son estimation, de 65 millions à 100 millions de modèles électriques commercialisés d’ici 2040. BP table également sur au moins 100 millions de ventes annuelles de véhicules « zéro émission » dès 2035. Enfin, une étude publiée il y a quelques jours par IHS Markit sur l'impact de la mobilité durable, intitulée « Mobilité durable : le temps de la rupture », prévoit qu’en 2030, 21 millions de voitures vendues dans le monde seront électriques, soit une six (Voir MAZARS).

En France, le nombre total de voitures électriques pourrait passer de 100 000 aujourd’hui à six millions en 2030 et à 15, 6 millions en 2040 (selon le scenario le plus optimiste de RTE). A cet horizon, c’est donc près d’une voiture sur deux  en France qui serait électrique. Toujours selon RTE, l’ensemble de ce parc électrique entraînerait un surcroît de consommation de l’ordre de 34 TWh, soit 7 % de la consommation finale d’électricité, ce qui est tout à fait gérable et planifiable sur vingt ans.

L’étude réalisée il y a quelques semaines par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) table, quant à elle, sur 15 millions de véhicules électriques en  2035. Ce rapport confirme, comme celui de RTE, que, même dans l’hypothèse d’une forte montée en puissance du parc électrique, notre pays, contrairement à ce qu’on entend ici ou là, sera tout à fait à même de fournir la quantité d’électricité supplémentaire nécessaire à l’alimentation de ces millions de voitures électriques attendues d’ici 20 ans.

La CRE montre notamment que la baisse tendancielle de notre consommation électrique nationale devrait permettre de compenser en partie la demande d’énergie liée à l’augmentation du nombre de véhicules électriques. Mais surtout la CRE souligne que, connectés en permanence au réseau électrique intelligent (smart grid), ces véhicules électriques de prochaine génération ne seront pas seulement des consommateurs d’électricité mais également des producteurs d’énergie (l’électricité résiduelle contenue dans les batteries pourra être réinjectée la nuit dans le réseau) et des régulateurs qui seront très utiles pour absorber et lisser les pics de production électrique provenant de l'éolien et du solaire.

Mais quelles sont donc ces avancées technologiques majeures qui sont en train de changer la donne pour l’avenir de la voiture électrique ? Avant de les évoquer, il faut rappeler que les voitures électriques actuelles sont dotées, en grande majorité, de différents types de batteries au lithium. Ainsi les batteries lithium-ion, les plus utilisées, équipent les voitures, les motos, les scooters électriques ou encore les vélos à assistance électrique. Leur durée de vie peut aller jusqu’à une douzaine d’années, en fonction du nombre de recharges.

En dépit d’une  densité énergétique qui a doublé en 25 ans (passant de 125 à 250 Wh/kg), un défaut rédhibitoire, propre à ce type de batterie, a fait beaucoup parler de lui : contrairement à sa « cousine », la batterie lithium-ion polymère, l'accumulateur lithium-ion s'avère potentiellement instable à cause de l'électrolyte et de la cathode. En cas de surcharge, ou lorsque la température est inférieure à -5°C, des dendrites (excroissances) apparaissent au niveau d'une des deux électrodes et peuvent provoquer un court-circuit en touchant la seconde électrode. Il s’en suit alors un échauffement rapide qui peut parfois aller jusqu’à provoquer une explosion, accompagnée de vapeurs toxiques.

C'est ce qui s’est passé en 2013, avec l’affaire des modèles S de Tesla, dont plusieurs exemplaires ont été victimes d’incendies probablement dus à un problème d’échauffement des batteries lithium-ion. Ce même problème semble s’être reproduit en 2014, quand l'agence américaine pour la sécurité des transports a admis que l'incendie de la batterie d'un Boeing 787 Dreamliner avait été provoqué très probablement par  un court-circuit interne dans la cellule de la batterie lithium-ion. Enfin, on se rappelle que le smartphone « Galaxy Note7 » de Samsung a dû être retiré en catastrophe en 2016 du marché par l’industriel coréen et lui a coûté sans doute plus de 10 milliards de dollars. Pour limiter ces risques, les constructeurs utilisent un système de gestion de batterie (BMS), qui contrôle la charge de la batterie afin d'éviter les surtensions et sous-tensions à l'origine de l'emballement thermique.

Heureusement, plusieurs innovations et avancées technologiques  majeures dans ce domaine des batteries vont changer radicalement la donne d’ici  cinq ans dans ce paysage des transports. Il faut d’abord évoquer la percée réalisée par l’équipe de John Goodenough, professeur de l'Université du Texas et co-inventeur de la batterie lithium-ion, il y a 40 ans. Ce chercheur infatigable de 95 ans a développé, avec sa  consœur Maria Helena Braga, un nouveau type de  batterie lithium dotée d'un électrolyte solide et donc de cellules ininflammables.

Concrètement, l'électrolyte se compose d'une plaque de verre qui fait office de séparation entre l'anode et la cathode. L'anode peut être constituée de différents métaux (lithium, potassium ou sodium). En outre, cette batterie d'un nouveau genre permet de doubler la capacité de charge et de décharge, donc l'autonomie, tout en augmentant la durée de vie. Cette nouvelle batterie se recharge en quelques minutes et peut fonctionner entre -20°C et 100°C sans nécessiter de refroidissement. Elle devrait être sur le marché fin 2020 (Voir Clean Technica).

Mais les Japonais entendent bien conserver leur suprématie dans ce domaine des batteries et les géants Toyota, Nissan et Honda viennent de s’associer à Panasonic et au gouvernement japonais pour renforcer le laboratoire de recherche Libtec, qui travaille sur cette technologie et s’est fixé deux objectifs précis : une autonomie de 525 km en 2025 et de 800 km en 2030.

Une autre équipe japonaise, dirigée par le professeur Kanji Sugano de l'Institut de technologie de Tokyo et le professeur Yuki Kato de Toyota Motor Corp, a développé quant à elle un nouveau matériau, Li9.54 Si1.74 P1.44 S11.7 Cl0.3 (lithium, silicium, phosphore, soufre et chlore) qui présente une conductivité ionique comparable aux électrolytes organiques. Ce matériau fonctionne en outre par des températures pouvant aller de -30°C à 100°C et peut tenir 1 000 cycles de charge/décharge (Voir PRWeb).

Rappelons également qu’en 2008, Toshiba a mis sur le marché la SCiB, (Super Charge ion Battery), une batterie lithium-ion à recharge rapide, dont la capacité  tient beaucoup mieux dans le temps. Pour sa nouvelle génération de batterie SCiB, présentée en 2017, le japonais a changé la composition des anodes et utilise à présent de l'oxyde de niobium titane, ce qui permet à la fois une recharge ultra-rapide, (une dizaine de minutes, même par grand froid) et un doublement de sa capacité. Toshiba veut commercialiser cette batterie dès 2019 (Voir Toshiba).

Samsung, grand rival de Toshiba dans ce domaine n’est pas en reste et a présenté fin 2017 un nouveau concept prometteur : la batterie modulaire. Grâce à cette batterie, Samsung affirme que l’autonomie des voitures pourra aller de 300 à 700 km (en fonction des besoins et du budget de l’utilisateur). Il suffira pour cela de choisir le nombre de ses modules (entre 12 et 20, selon les modèles) (voir Business Wire).

L'entreprise Fisker, du nom de son créateur Henrik Fisker, est spécialisée dans la fabrication de voitures électriques plutôt haut de gamme et se définit comme un concurrent de Tesla. La marque a annoncé, il y a quelques semaines, une percée dans la technologie de la batterie solide, grâce à une « électrode tridimensionnelle » capable d'offrir une capacité multipliée par 2,5 par rapport à une batterie classique lithium-ion. Quant à l'autonomie, elle atteindrait les 800 km, tandis que la recharge ne demanderait qu'une minute ! (Voir Electronic Design). Henrik Fisker souhaite lancer sa batterie révolutionnaire sur le marché dès 2020.

Dans cette compétition technologique féroce et hautement stratégique quand on sait que le marché mondial des batteries atteindra 80 milliards de dollars en 2020, la France fait bonne figure et en 2015, une équipe du CNRS a dévoilé son premier prototype de batterie utilisant des ions sodium dans un format industriel standard. Bien que cette nouvelle batterie ait, pour l’instant, une capacité énergétique deux fois inférieure à celle des batteries lithium-ion, sa durée de vie est trois plus longue et surtout, elle peut se recharger dix fois plus vite et coûte moins chère à fabriquer, car elle repose sur un élément, le sodium, qui est présent en quantité quasi-inépuisable sur Terre. Ce nouveau type de batterie pourrait être commercialisé par la jeune société Tiamat dès 2020.

Il reste que tous les chercheurs et tous les constructeurs semblent s'accorder pour dire que la batterie à l'état solide est la prochaine révolution industrielle de l'automobile électrique. Dernier argument en faveur de cette nouvelle batterie, un coût de fabrication moindre, qui permettrait de réduire le prix du véhicule électrique. Il existe déjà des batteries au lithium à l'état solide qui ne présentent aucun danger. Il s'agit des accumulateurs lithium-métal-polymère (LMP) dont la technologie est maîtrisée et utilisée par le groupe Bolloré dans ses voiturettes électriques, BlueCar ou Autolib. Ces batteries affichent d’étonnantes performances, absence d’effet de mémoire, une durée de vie de 10 ans, une autonomie de 200 km. Mais cette batteries LMP ont un gros défaut, elles ont besoin d'une température constante de 80°C pour être utilisées, faute de quoi elles se déchargent complètement en quelques jours. Les voitures utilisant ce type de batterie doivent donc être constamment en charge, ce qui constitue évidemment un sérieux handicap.

Mais avant même que cette rupture technologique des batteries solides hautes performances ne se retrouve sous le capot de nos voitures électriques en 2025, les constructeurs ne cessent d’améliorer les technologies de batteries existantes au lithium. C’est notamment le cas de Renault, qui croit dur comme fer à l’avenir de la voiture électrique et a présenté lors du Mondial qui vient de s'ouvrir à Paris, une ZOE entièrement repensée pour 2019, avec une autonomie promise de 600 km en cycle NEDC (mais plutôt de 400 km en conduite réelle), des coûts de production réduits de 30 % et une possibilité de recharge rapide pour 230 km d’autonomie en seulement 15 minutes.

Nous allons donc voir arriver sur le marché, d’ici seulement 5 ans, une  nouvelle génération de voitures électriques qui va satisfaire au « carré magique » qu’attendent tous les automobilistes sceptiques pour franchir le pas et abandonner définitivement la voiture thermique : premier atout, grâce à des batteries moins chères à produire, le prix de ces véhicules devrait se rapprocher de celui des voitures à moteur. Deuxième atout, l’autonomie sera doublée en conduite réelle, dépassant les 400 km et allant jusqu’à 600 km sur les modèles haut de gamme. Troisième atout, il sera enfin possible, grâce à ces nouvelles batteries et la généralisation de chargeurs à haute capacité, de récupérer en moins de 30 minutes 80 % d’autonomie, de quoi éloigner définitivement le spectre de la panne sèche en rase campagne. Enfin, 4ème et dernier atout, la sécurité de ces véhicules sera bien plus grande, avec des risques d’incendie très faibles, une utilisation optimale par tout temps et une longévité de plus de 10 ans.

En s’appuyant sur ces ruptures technologiques en cours, il faut bien entendu tout mettre en œuvre pour accélérer l’électrification du parc automobile mondial et faire en sorte que le point de basculement, qui verra plus de la moitié des voitures de la planète propulsées à l’électricité, ait lieu le plus tôt possible, par exemple à l’horizon 2040. Si cet objectif était atteint, cela signifierait au minimum 6 gigatonnes de CO2 par an émis, en moins, dans l’atmosphère (15 %  des émissions humaines actuelles de CO2), sans compter la diminution drastique de nombreux polluants dangereux, responsables, selon l’OMS, de 3 à 5 millions de décès par an…

Mais la montée en puissance rapide et inéluctable des véhicules tout électrique, mais également hybrides rechargeables va également profondément transformer, dans un sens positif, la façon dont nous produisons, nous stockons et nous consommons l’énergie. Depuis 2010, le coût des batteries a été divisé par deux, et pourrait encore être divisé par trois d'ici 2020 pour atteindre les 100 $/kWh. 

Dans une telle perspective, il faut bien comprendre que toutes les batteries de nouvelle génération qui équiperont nos voitures électriques dans 5 ans deviendront également des accumulateurs domestiques qui stockeront l’électricité, lorsque celle-ci est vendue à bas coût (heure creuse), tout en assurant leurs fonctions de fourniture d’énergie pour l’habitation et les déplacements. Ces milliards de batteries polyvalentes et propres, à électrolyte solides, qui équiperont demain nos maisons et nos voitures, joueront enfin, sans doute articulées avec le vecteur énergétique de l’hydrogène, un rôle décisif dans la gestion et l’équilibrage intelligent et en temps réel des réseaux d’énergie qui seront alors massivement alimentés par des sources d’origine renouvelable.

Après un siècle et demi de domination sans partage sur le monde des transports, le véhicule à moteur à combustion est donc appelé à disparaître d’ici le milieu de ce siècle. Il aura rendu d’inestimables services à l’Humanité et aura donné aux hommes une liberté de déplacements inimaginable pour nos ancêtres. Mais le monde a changé et si nous voulons transmettre uns planète vivable à nos enfants, nous devons sans regrets nous préparer à cette mutation de civilisation qui ouvre la voie à une réconciliation entre la soif inextinguible de progrès et d’innovation de l’homme et la nécessité de passer un nouveau contrat global de vie en bonne intelligence avec notre Planète.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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