RTFlash

Edito : L’Homme doit-il tenter de refroidir la Terre ?

Les émissions humaines de CO2 ont atteint le chiffre astronomique de 33 gigatonnes en 2019 ; elles ont augmenté de 55 % depuis le début de ce siècle, en 19 ans seulement, et ont été multipliées par dix depuis la fin de la première guerre mondiale. Selon une étude implacable publiée dans la revue Nature (Voir Nature), la forte réduction (9 %) de nos émissions de CO2, liée à la pandémie du Covid19, attendue pour 2020, n’aurait pratiquement aucun effet sur le rythme d’emballement du réchauffement climatique en cours, et il faudrait l’hypothèse de moins en moins réaliste, que l’Humanité réduise dès cette année, et pour les trois décennies à venir, de 7,6 % par an ses émissions de CO2, pour que nous ayons de bonnes chances d’atteindre les objectifs prévus par l’accord international de Paris sur le climat : rester en dessous des 1,5°C de réchauffement global.

Nous savons à présent que pour parvenir à réduire de plus de moitié nos émissions de CO2 d’ici 2050, avec dans le même temps une population mondiale qui va passer de 8 à 9,5 milliards d’êtres humains et une demande globale d’énergie qui risque d’augmenter de 47 % (selon l’AIE) pendant cette période, il ne suffira pas de déployer d’énormes efforts pour améliorer l’efficacité énergétique de nos économies et de nos sociétés à tous les niveaux, et réduire drastiquement la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial. Il faudra également développer à une échelle industrielle mondiale différentes technologies de capture et de séquestration de CO2 (qui restent complexes et onéreuses), de manière à ce qu’elles comptent au moins pour 9 % dans les réductions d’émissions, soit en moyenne 2,3 milliards de tonnes d’équivalent CO2 à capter et à stocker par an jusqu’en 2060, pour moitié dans le secteur de l’énergie et pour moitié dans l’industrie (acier, ciment, raffineries, production en amont de gaz et de pétrole).

Mais, même si nous faisons tous ces efforts simultanément, il n’est pas certain que nous parvenions à réduire de manière suffisamment forte et rapide nos émissions de CO2 pour stabiliser le climat et le réchauffement en cours, d’ici la fin du siècle. C’est pourquoi certains scientifiques envisagent sérieusement d’explorer une nouvelle voie, certes risquée, mais qu’on ne peut plus exclure : la géo-ingénierie. Ce concept rassemble les différentes voies qui permettent, par une action technologique puissante et généralisée à la planète, sur les sols, les océans ou l’atmosphère, de refroidir le climat terrestre.

En 2006, le scientifique américain Paul Crutzen, Nobel de chimie 1995, avait fait sensation et provoqué des réactions pour le moins contrastées, en suggérant que, compte tenu des délais d’actions d’au moins 30 ans de nos mesures de réduction de gaz à effet de serre, il fallait réfléchir sérieusement aux possibilités d’agir directement par la technologie sur le climat mondial. Ce scientifique éminent propose de larguer au moins un million de tonnes de soufre ou de sulfure d'hydrogène dans la stratosphère, la couche de l'atmosphère située entre 10 et 50 kilomètres d'altitude, à l'aide de ballons lancés depuis les tropiques. Ces composés seraient alors brûlés pour produire du dioxyde de soufre qui serait ensuite converti en particules de sulfate de moins de 1 micromètre de diamètre. Ce « saupoudrage » de soufre permettrait, selon Crutzen, pour un coût modique au regard de la richesse mondiale, environ 50 milliards de dollars, de faire baisser sensiblement la température moyenne à la surface de la Terre, en réduisant fortement l’effet de serre provoqué par les émissions de CO2.

Crutzen ne nie pas qu’un tel projet est risqué et pourrait avoir des effets néfastes pour la santé humaine, mais également des conséquences imprévisibles sur le climat mondial, en déclenchant de nombreuses actions et rétroactions « en cascade » sur la machine climatique planétaire dont nous sommes loin de maîtriser tous les rouages. C’est pourquoi il préconise de commencer par réaliser de puissants modèles informatiques pour évaluer les différents effets de ce largage de soufre, puis de réaliser des expérimentations locales, sous contrôle de l’ONU, avant de passer éventuellement à l’échelle mondiale…

Des chercheurs de l'Université Harvard ont repris l’idée de Crutzen, mais proposent de remplacer le soufre par du carbonate de calcium, plus inoffensif. Leur idée consiste à larguer cette matière dans la stratosphère en quantité suffisante pour diviser par deux l'augmentation de la température mondiale. Mais dans un premier temps, ils souhaitent pouvoir réaliser des essais à petite échelle pour vérifier les effets du procédé.

Le 29 octobre dernier, une organisation américaine à but non lucratif, SilverLining, a annoncé le lancement d'un projet visant à développer les recherches dans ce domaine de la géo-ingéniérie. Dans le cadre de cette initiative, cette organisation, spécialisée dans la protection du climat, a alloué 3 millions de dollars (2,6 millions d'euros) de subventions à cinq programmes de recherche consacrés à la géo-ingénierie solaire (Voir The New York Times).

Plusieurs solutions technologiques vont ainsi être évaluées pour limiter le réchauffement climatique, comme la dissémination dans l'atmosphère de particules qui réfléchiraient les rayons du Soleil et les renverraient dans l'espace. L’idée est d'imiter le phénomène naturel qui a lieu lorsque se produisent de puissantes éruptions volcaniques. En 1991, l'éruption du Pinatubo aux Philippines avait éjecté dans l’atmosphère plus de 20 millions de tonnes de soufre, faisant chuter la température d'environ un demi-degré à l'échelle mondiale l'année suivante. Le programme SilverLining vise à essayer de mieux évaluer toutes les conséquences que pourrait avoir une action globale de géo-ingénierie solaire sur les écosystèmes mondiaux. Soulignons que le gouvernement américain et le Congrès américain ont par ailleurs décidé d’allouer 4 millions de dollars à l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA), en décembre dernier, pour qu'elle lance, elle aussi, des recherches sur cette technologie.

Une autre équipe anglaise de l’Université de Southampton cherche à voir s’il est possible de faire stocker du CO2 par des microorganismes marins en aspergeant l’océan avec des cendres volcaniques depuis un bateau. Ces chercheurs ont en effet constaté que l’éruption du volcan islandais l’Eyjafjöll en 2010 avait dopé la production de phytoplancton dans la région. Selon leurs calculs, il serait envisageable de capter 2 750 tonnes de CO2 pour 50 000 tonnes de cendres relâchées. Mais surtout, cette technique est simple à mettre en œuvre et permettrait d’obtenir un coût de stockage de la tonne de CO2 qui serait bien inférieur à celui des autres techniques de capture du carbone. Reste qu’on ne connaît pas les effets d’une telle fertilisation massive sur l’écosystème complexe des océans…

De son côté, le gouvernement australien soutient un programme de géo-ingénierie pour déterminer si la géo-ingénierie solaire peut sauver la Grande Barrière de Corail. Des chercheurs australiens travaillent sur une voie technologique appelée «l’éclaircissement des nuages marins», qui vise à rendre les nuages plus réfléchissants en pulvérisant de l’eau salée dans l’air. Il s’agit d’utiliser des particules de sel pour ensemencer des nuages, et provoquer la formation de nombreuses petites gouttelettes d’eau, ce qui augmentera leur luminosité.

Selon ces scientifiques, cette technique pourrait refroidir suffisamment la température de l’océan pour ralentir la destruction de la grande barrière de corail. Les premières expérimentations ont été réalisées cette année par des chercheurs de la Southern Cross University en Australie. Ceux-ci ont utilisé 100 buses pour pulvériser de l’eau dans l’air, et les premiers résultats ont montré que cette technique pouvait effectivement faire baisser la température de l’eau. Selon le Docteur Harrison, qui dirige ces recherches, il faudrait déployer environ 1 000 stations de refroidissement, embarquées sur de vastes plates-formes flottantes, pour couvrir tout le récif. Mais refroidir l’ensemble du globe par cette méthode, il est vrai peu coûteuse, supposerait tout de même le déploiement d’une flotte permanente sur tous les océans de plusieurs dizaines de milliers de navires équipés de canons à sel. Dans une telle hypothèse, certains scientifiques soulignent que ce mode de refroidissement risquerait de perturber dangereusement le régime des précipitations mondiales, notamment en Amazonie.

D’autres scientifiques sont encore plus audacieux et imaginatifs et rêvent de recréer de la glace en grande quantité dans les régions où elle disparaît. C’est par exemple l’idée développée par le physicien Steven Desch et ses collègues de l’Université de l’Arizona aux États-Unis. Ces chercheurs pensent qu’il est possible de pomper l’eau de l’océan puis de la dessaliniser pour l’arroser sur la glace, où elle gèlera et permettra de reconstituer la banquise fragilisée. Dans leur projet, estimé à 426 milliards de dollars (soit 0,5 % du Produit Mondial Brut), 10 millions d’éoliennes alimenteraient ces pompes géantes et ces scientifiques ont calculé que l’on pourrait ainsi épaissir la banquise de plus d’un mètre en hiver, ce qui ralentirait sa fonte durant l’été. « Pour le moment notre seule stratégie est de ralentir les émissions de gaz à effet de serre. C’est nécessaire mais cela ne suffira pas pour empêcher l’Arctique de disparaître », affirme Steven Desch.

Autre voie de géo-ingénierie explorée, celle du « Project Vesta » qui vise à capturer, puis à stocker la totalité des émissions humaines annuelles de CO2 en recouvrant 2 % des plages avec de l’olivine. Ce minerai de couleur verte, contenu dans les roches volcaniques basaltiques, s’érode au contact de l’eau et transforme le CO2 de l’air ambiant en bicarbonate. Il ne resterait plus qu’à rejeter dans l’océan celui-ci, afin qu’il soit consommé par les organismes marins et transformé en squelettes calcaires comme les coquillages ou le corail. L’idée est de faire d’une pierre deux coups : capter le CO2, tout en réduisant l’acidification de l’océan. Mais, là aussi, outre les problèmes considérables de logistique à résoudre, la dissolution en grande quantité d’olivine dans les océans risquerait de perturber l’équilibre de tout l’écosystème marin.

Mais, au lieu d’échafauder des plans comportant un grand nombre de risques et de variables inconnues, pourquoi ne pas revenir sur la terre ferme et utiliser à grande échelle des méthodes qui ont fait leur preuve. C’est ce que veut faire le chercheur britannique Thomas Crowther qui a calculé qu’il serait possible d’ajouter 1 000 milliards d’arbres à la couverture forestière actuelle, ce qui permettrait de capturer 205 gigatonnes de CO2 dans les prochaines décennies, soit six fois la quantité émise en 2019 dans le monde. « Si nous plantions ces arbres aujourd’hui, le niveau de CO2 dans l’atmosphère pourrait être diminué de 25 % », précise l’étude qu’a dirigée Thomas Crowther sur ce sujet. Bien que beaucoup moins risquée que les autres méthodes évoquées, cette « climatisation verte » à l’échelle planétaire laisse cependant sceptiques certains scientifiques qui contestent les prévisions de Crowther et rappellent que les arbres plantés ont une capacité de stockage du carbone bien moindre que les forêts naturelles.

Plus récemment, une nouvelle voie très prometteuse s’est ouverte dans ce domaine en plein effervescence de la géo-ingénierie, celle des matériaux et revêtements hyper réfléchissants, capables, sans apport externe d’énergie, de faire baisser la température ambiante. En 2015, des chercheurs de l’Université de Stanford ont par exemple mis au point un nouveau matériau révolutionnaire, à base d’oxyde d’hafnium. Utilisant le principe du refroidissement radiatif, ce dernier est capable de réfléchir 97 % de la lumière provenant du soleil mais aussi de se refroidir naturellement en émettant des ondes capables de traverser le ciel jusqu’à atteindre l’espace ; il peut ainsi maintenir une température inférieure d’environ 5°C par rapport à l’air ambiant, pendant une exposition directe au soleil.

Il y a deux ans, une autre équipe de l’Université Columbia à New York a mis au point un revêtement révolutionnaire qui maintient les murs plus frais de 6°C que l’air ambiant en pleine canicule. Ce nouveau matériau refroidissant utilise un processus physique appelé « passive daytime radiative cooling » ou PDRC, par lequel un matériau est capable à la fois de réfléchir le rayonnement solaire et d’émettre de la chaleur par radiation. Ce polymère, simple et peu coûteux à fabriquer, peut s’appliquer comme une peinture sur la plupart des surfaces, et présente une bonne résistance aux intempéries. Selon les scientifiques qui l’ont développé, son utilisation à large échelle pourrait diminuer de manière considérable, de l’ordre de 20 %, la consommation électrique due à la climatisation, qui grimpe en flèche et représente 10 % de la consommation électrique mondiale.

Autre avancée remarquable, il y a quelques semaines, des chercheurs américains et chinois ont développé la peinture la plus blanche jamais obtenue. Cette peinture, peu coûteuse, est composée d’une base de peinture acrylique commerciale et d’une haute concentration de carbonate de calcium (CaCO3). Celle-ci est capable de réfléchir 95,5 % de la lumière. Elle absorbe très peu de rayonnement solaire et émet des infrarouges lointains (entre 8000 et 13 000 nm) qui transportent de la chaleur. Grâce à ses propriétés exceptionnelles, cette peinture « superblanche » peut refroidir la surface qu’elle recouvre en dessous de la température ambiante. Les premiers tests réalisés avec cette peinture ont confirmé sa redoutable efficacité en matière de refroidissement : les objets recouverts par cette peinture sont restés 1,7°C en-dessous de la température ambiante lors du pic d’irradiation solaire et jusqu’à 10°C en-dessous la nuit.

Alors, que penser de ces projets de géo-ingénierie, dont certains semblent bien hasardeux, pour ne pas dire fantaisistes ? Dans cette panoplie d’outils, qui relève un peu du concours Lépine, je crois qu’il faut distinguer les projets dont les effets incontrôlables risqueraient d’être plus néfastes que les causes à traiter, des projets beaucoup plus sérieux, dont il est possible d’évaluer de manière solide les conséquences et surtout qui présentent un caractère de réversibilité.

Mais compte tenu du défi climatique immense qui est devant nous, autour duquel nous avons déjà perdu trop de temps, et que nous devons à présent prendre à bras le corps, aucune piste ne doit être, par principe, écartée. Si nous n’accentuons pas sérieusement nos efforts pour réduire plus vite nos émissions de CO2, il se peut en effet que nous soyons obligés d’avoir recours, en dernière instance, à des actions de géo-ingénierie planétaire, pour essayer de limiter les effets catastrophiques du changement climatique majeur que nous sommes en train de vivre.

Nous devons donc étudier le plus scientifiquement possible, et en toute transparence démocratique, toutes les options possibles dans ce domaine encore neuf, en espérant que nous n’aurons pas en nous en servir et que les Etats et nos dirigeants politiques auront la sagesse, le courage et la lucidité, de mettre rapidement en œuvre l’ensemble des mesures fortes préconisées par les scientifiques et acceptées à présent par une majorité de nos concitoyens, mais aussi, et ce point est important, de nos entreprises.

Rappelons-nous que le coût de l’inaction sera infiniment plus grand et douloureux, pour nos sociétés et nos vies personnelles, que celui de l’effort que nous devons accomplir tous ensemble, de manière équitablement partagée, pour nous réconcilier avec notre Terre et permettre aux générations futures de poursuivre leur nécessaire développement économique, matériel et spirituel dans le cadre d’un nouveau contrat  constructif et respectueux avec la Nature.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top