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Edito : FTTH et VDSL2 : une synergie d'avenir

Tierp est une commune de 20 000 habitants située à 150 km au nord de Stockholm. Son territoire s'étend sur quelque 2000 km2 avec des implantations pouvant rassembler moins de 150 habitants. Les hauts débits sont l'un des outils au service de la « Vision pour Tierp » formalisée par la municipalité dans le but de maintenir l'activité économique tout en préservant un cadre de vie attractif.

Tierp était trop petite pour attirer les opérateurs commerciaux. La municipalité a alors décidé de prendre les choses en mains et a fait construire et exploiter sous son autorité, non pas seulement une infrastructure passive de fibre optique (comme c'est le cas à Stockholm avec Stokab), mais un véritable réseau local destiné à connecter toutes les activités et tous les habitants de la commune. D'ici 2006, le réseau KanalTierp doit ainsi raccorder toute la population de la commune à des débits qui vont de 5 à 100 mégabits/seconde. Le coût total pour la commune sera de 5 à 7 millions d'euros.

L'infrastructure de KanalTierp (y compris les équipements de commutation) appartient à la commune. Elle est gérée par une société privée qui en a reçu délégation, Digidoc Open IP. Celle-ci administre le réseau, installe les prises dans les bâtiments et les commercialise auprès des ménages et des entreprises. En revanche, elle ne fournit pas elle-même d'autre service à valeur ajoutée : une fois raccordés à KanalTierp, les usagers peuvent choisir entre trois fournisseurs d'accès internet, plusieurs fournisseurs de téléphonie à prix réduit et plusieurs bouquets de télévision numérique. La municipalité a pris en charge le coût de la liaison optique jusqu'à Stockholm, de manière à inciter les fournisseurs de services à s'adresser à ses administrés sans avoir à installer le moindre équipement sur son territoire !

Grâce à cette initiative numérique, Tierp et Sollentuna ont créé le cadre et les conditions techno-économiques favorables au développement des nouveaux usages et la concurrence, tout en permettant aux services et établissements public d'accéder au moindre coût à un réseau optique à très haut débit qui n'a rien à envier à celui de Stockholm.

Bien sûr ce modèle a ses limites et n'est plus applicable pour les toutes petites communes très isolées. C'est le cas de Bränland, dans le Nord de la Suède, qui ne compte que 21 foyers répartis dans une zone de 3 kilomètres de large. Pourtant cette petite commune a quand même installé son réseau en fibre optique (FTTH) grâce au financement de l'Etat suédois.

Quant au coût d'un tel réseau optique, il est beaucoup moins prohibitif qu'on ne l'imagine, 8?/mètre pour l'enfouissement en micro-tranchée. La technologie retenue est celle de la fibre optique soufflée dans les fourreaux (technologie de la société Emtelle). Au total, le raccordement d'un foyer de Bränland revient à 900 ?.

Un autre pays scandinave, la Finlande, mise également sur le FTTH en milieu rural. Le conseil de la coopérative du réseau de Valokaista a sélectionné Song Networks à la fin du mois de décembre 2004 comme fournisseur de réseau d'équipements actifs et de fibres Internet (FTTH) jusqu'au domicile. La coopérative de Valokaista fonctionne dans la région des villages de Kitinoja et de Halkosaari appartenant à la municipalité de Ylistaro, près de Shinjuku. L'équipement actif du réseau sera le connecteur de Telco Systems et les équipements terminaux seront fournis par K&K Active Oy, en collaboration avec Song.

La solution réseau mise en oeuvre avec une optique de fibre légère offre les mêmes possibilités qu'un réseau de transfert de données, vidéo et de voix sur IP complet, constituant un réseau large bande entier dont les résidents, les sociétés et les associations de la région profiteront encore dans de nombreuses années. Le réseau, qui met en oeuvre le principe d'accès ouvert, favorise la concurrence entre les opérateurs de services et de télécommunications et offre le meilleur service possible aux utilisateurs. La vitesse proposée aux utilisateurs finaux est comprise entre 10 et 100 Mbits/seconde et la vitesse du réseau radioélectrique à ressources partagées est de 1 Gigaoctet/seconde.

Autre exemple : à Almere (174 000 habitants), municipalité de la banlieue d'Amsterdam, la ville a non seulement décidé de construire un réseau à très haut débit en fibres optiques "jusqu'à la maison" (FTTH), mais a également décidé d'utiliser ce très haut débit (100 Mbits) pour créer la première grille de calcul municipal au monde et mettre cette puissance de calcul au service des laboratoires, entreprises et habitants de la ville. (Voir mon édito dans la lettre 324 du 18-02-2005).

Outre-Atlantique, nos "cousins" québécois n'ont pas hésité, eux aussi, à miser sur la fibre optique pour permettre l'accès pour tous à l'internet haut débit. On parle à présent de « modèle québécois » car le modèle de déploiement de la fibre optique est maintenant soutenu par le programme Villages branchés du Québec. Dès 1995, le gouvernement du Québec, par l'intermédiaire du Fonds de l'autoroute de l'information et du ministère de l'Éducation, a financé le Réseau d'informations scientifiques du Québec (RISQ), qui a déployé, au cours des années, des infrastructures de télécommunication à large bande passante afin de desservir les collèges, les universités et les centres de recherche du Québec.

Dans la foulée de la déréglementation des télécommunications, un modèle innovateur pour se doter de réseaux de fibres optiques a pris forme dans les commissions scolaires avec l'aide du RISQ et d'ingénieurs du secteur privé. Ce modèle vise à construire, en copropriété, des réseaux de fibres optiques desservant plusieurs organismes. Près de la moitié des régions du Québec profitent déjà de ce programme des Villages branchés du Québec, financièrement alimenté par le ministère des Affaires municipales, du Sport et du Loisir et par le ministère de l'Éducation.

La région du Bas-Saint-Laurent a ainsi décidé de se doter d'une infrastructure de télécommunication ou inforoute pour desservir les secteurs scolaire et municipal, le réseau des bibliothèques publiques et des centres d'accès communautaire à Internet, ainsi que le secteur économique. Ce réseau de fibre optique fonctionnera à large débit : la dorsale serait à 1 Gbps, soit 1.000 Mbps (Mégabits par seconde) et tous les sites auront accès à 100 Mbps à cette dorsale. Les services offerts par ce réseau seraient multiples : d'abord relier tous les bâtiments d'une commission scolaire ou tous les bâtiments d'une MRC ensemble afin de pouvoir partager des informations, accéder à Internet à très haute vitesse et se donner de nouveaux services, tels la vidéoconférence. Tous ces services devraient être accessibles aux municipalités participantes.

Au Japon, alors que le nombre d'internautes japonais vient de dépasser, début 2005, les 80 millions (63 % de la population), 2 millions d'abonnés disposent déjà de la fibre optique jusqu'à la maison (FTTH). La société japonaise d'études de marché EC Research prévoit qu'en 2008 la connexion en fibre optique dépassera l'ADSL avec 34,8 % de parts de marché et dominera l'accès Internet au Japon. 50 % des foyers japonais auront leur accès par fibre optique jusqu'à la maison d'ici 2.010 avec un débit de 1 gigabits/s. NTT installe 15.000 foyers/jour actuellement et propose un débit de 100 Mbits symétrique pour 45? par mois.

Les réseaux haut débit par fibre optique jusqu'à l'habitant vont donc devenir, d'ici 5 ans, le moyen d'accès principal à l'internet. La connexion en fibre optique jusque chez l'habitant devient une nouvelle locomotive du développement de l'accès Internet à haut débit au Japon, grâce à l'arrivée de fournisseurs d'accès actifs comme Yahoo BB, à la diversification des services destinés aux appartements, et au développement des réseaux backbone.

En France, les projets de réseaux optiques se multiplient également. Par exemple en Bretagne, le projet ROSE vise à déployer, d'ici à 2009, 9 000 kilomètres de fibre optique sur Quimper et sa région par la société RTE (Réseau de transport d'électricité), gestionnaire unique en France pour l'acheminement de l'électricité sur les lignes à haute tension. Mais dans notre pays, la fibre optique jusqu'à l'habitant reste malheureusement encore peu répandue, à l'exception de quelques projets pionniers, comme le Pau Broadband Country, ouvert fin 2004. Mais est-ce vraiment nécessaire, m'objectera-t-on, de disposer dans chaque foyer, de 100 Mbits symétriques ? La réponse à cette question est un oui sans réserve car, comme le montrent les exemples suédois, québécois ou japonais, en amenant un tel débit dans les foyers on franchit un saut qualitatif et on modifie la nature même de l'internet, en générant de nouveaux usages et de nouvelles activités économiques à forte valeur ajoutée et en exploitant notamment les immenses potentialités de la 3D temps réel, du peer to peer et du calcul informatique en grille.

Il faut enfin évoquer une nouvelle norme dont on va beaucoup parler dans les mois à venir : le VDSL2. Cette norme, qui vient d'être adoptée par l'UIT le 27 mai, offre un débit pouvant aller jusqu'à 100 Mbit/s dans les deux sens, soit un débit dix fois supérieur à celui de l'ADSL ordinaire. Elle permet ainsi d'assurer le "prolongement des fibres optiques" en offrant une largeur de bande équivalente à celle des fibres optiques aux locaux qui ne sont pas raccordés directement au segment à fibres optiques du réseau d'une entreprise de télécommunication. De nombreux opérateurs considèrent la technologie VDSL2 comme le complément idéal de la technologie FTTP (fibre jusqu'aux locaux), des lignes à fibres optiques étant utilisées pour raccorder les grands bâtiments (immeubles de bureaux ou d'appartements par exemple) au RTPC et des câbles en cuivre ordinaires étant utilisés à l'intérieur des bâtiments pour raccorder les occupants aux services à haut débit. (Voir article sur le VDSL2 dans notre rubrique « Information et Communication »).

Depuis les récentes lois de décentralisation, les collectivités locales de notre pays sont maintenant en charge de leurs routes. Pourquoi les collectivités locales ne pourraient-elles pas également, dans le nouveau cadre de la loi du 21-06-2004 sur l'économie numérique, investir massivement dans des réseaux à très haut débit, combinant de manière optimale la fibre optique et le VDSL2 jusqu'au domicile et au bureau, et préparer ainsi l'avenir en apportant à l'ensemble de notre territoire une compétitivité numérique au plus haut niveau mondial et en assurant une véritable et indispensable égalité d'accès à la société de l'information et de la connaissance ?

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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