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Edito : France Télécom a tort de tromper les élus

Au travers d'une campagne souvent forcenée, de nombreux cadres de France Télécom sont actuellement mobilisés pour inciter les Départements à signer une charte des « départements innovants ». En échange d'un engagement du Conseil Général à faire la publicité pour développer les usages du haut débit dans le Département, France Télécom s'engage à couvrir dans des temps très courts la quasi intégralité des territoires de cette collectivité en haut débit grâce, essentiellement, à l'ADSL.

Il est compréhensible, malheureusement, à quelques semaines du renouvellement de la moitié de leurs assemblées, que de nombreux Présidents de Conseil Général (une trentaine se serait déjà laissé convaincre...) se soient laissé tenter par une telle proposition, a priori, aguichante. En effet, pouvoir annoncer aux électeurs, dans le cadre de la campagne électorale actuelle, que même les plus ruraux parmi eux pourront disposer du haut débit dans ces prochains mois, est un argument qui peut peser de nombreuses voix dans les temps présents.

Aussi, mes remarques ne s'adressent pas, aujourd'hui, aux élus qui ont signé cette charte avec France Télécom. Mes observations sont destinées aux responsables de France Télécom et à personne d'autre. Pensez-vous avoir bien agi, dans la durée, pour votre société commerciale, en pressant ainsi les élus à signer cette charte ?

Je suis convaincu que vous avez eu tort et très vite, malheureusement, le temps nous en apportera la preuve.

Tout d'abord, vous avez juridiquement tort. En effet, dans son esprit et la pratique, cette charte oblige les élus qui l'ont signée à vous réserver de fait le déploiement du haut débit sur leur département, du moins pendant les deux à trois prochaines années qui vont être déterminantes dans la conquête des nouveaux marchés.

Cela signifie, puisque vous demandez aux élus, dans la charte qu'ils signent, de faire la promotion des usages du haut débit, de se transformer en amplificateur d'affaires commerciales en faveur de votre seule entreprise, puisque vous détiendrez l'exclusivité du haut débit sur ces territoires, du moins pendant ces prochaines années. Ceci est sévèrement réprimé par la Loi. Si vous ne veniez pas à rectifier en profondeur votre démarche, le juge devrait inévitablement se prononcer.

Vous avez certes l'impression de ne rien faire de répréhensible puisque au travers de votre charte vous ne demandez aucune contribution publique au financement de cette opération « haut débit ». Mais comme votre démarche a pour finalité d'empêcher le développement de la concurrence dans le domaine du haut débit dans les départements concernés, cela serait une faveur parfaitement identifiée qui serait ainsi donnée à votre société commerciale...

Mais tout cela pourra, je l'espère, être solutionné par les autorités de régulation, par le juge ou éventuellement par le législateur. Mais ce qui à mon avis est plus grave encore, Mesdames et Messieurs les responsables de France Télécom, c'est que par votre démarche vous voulez donner aux élus de France la certitude que l'ADSL répondra durablement aux attentes de nos concitoyens dans le domaine du haut débit.

Or, vous le savez très bien, certains pays ont déjà déployé des propositions de haut débit à 10 Mégabits, sinon à 100 Mégabits, et à ces vitesses là, le cuivre comparé au verre ou à l'éther ne sera plus efficace.

Cela est grave, car la conséquence logique des chartes que vous incitez les Départements à signer vont obliger les élus de ces territoires à « figer » pendant plusieurs années tous les investissements dans des technologies alternatives (fibres optiques, BLR, WI-FI, etc...) sur lesquelles ils avaient parfois des projets déjà très avancés.

Si les technologies des télécommunications étaient banales, cela ne serait que peu grave. Mais, quand on connaît le rôle fondamental que veulent jouer les technologies de communication dans l'aménagement de notre territoire national, les élus de France prendront conscience, dans quelques années, combien aura été néfaste votre conseil de ne s'appuyer que sur un seul réseau alors que dans tous les autres pays développés des réseaux alternatifs permettront de faire jouer la concurrence et donc d'obtenir de meilleurs prix pour les usagers.

Il n'est jamais bon, Mesdames et Messieurs les responsables de France Télécom, pour un grand groupe comme le vôtre, reconnu pour sa compétence et son dynamisme, de confondre tactique et stratégie. Comment ne pas avoir ressenti, dès maintenant, combien pourrait être fort le ressentiment des « patrons » des Départements, quand ils constateront qu'ils ont été volontairement induits en erreur par France Télécom.

Inciter des élus, pour des avantages commerciaux, à ne pas prendre les décisions les plus pertinentes pour améliorer l'avenir de leurs administrés ne peut être que très néfaste, à terme, pour ceux qui sont à l'origine d'une telle manoeuvre.

Oui, je le répète avec force : « France Télécom a tort de tromper, ainsi, les élus ».

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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