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Edito : Les mondes virtuels : La drogue du XXIe siècle

La bataille, sans quartier, que tous les grands acteurs mondiaux s'apprêtent à livrer dans le domaine de l'image a comme finalité essentielle de nous faire entrer dans des mondes virtuels. Tout laisse à penser que ces mondes virtuels seront en priorité accessibles aux jeunes avec l'arrivée en rafales dans ces prochaines années de stations de jeux de plus en plus puissantes. En dehors du fait de société que peut représenter cette priorité qui est dorénavant accordée aux jeunes par les industriels pour leur permettre d'accéder aux technologies les plus performantes et ce, pour des coûts de plus en plus accessibles, il est dans notre mission d'imaginer, dès maintenant, les conséquences que pourrait avoir, sur nos sociétés modernes, la montée en puissance de ces mondes virtuels.

L'environnement créé par ces machines du futur saura si bien leurrer le cerveau humain en se servant de nos sens (voir édito du n° 64 d'@RT Flash www.tregouet.org/Lettre/Lettre64-Au.html) que les répercussions seront profondes sur chacun. Si, dans un premier temps, ces mondes virtuels vont utiliser la voie apparemment sans conséquence des jeux pour pénétrer dans l'univers de nos enfants, il faut bien avoir conscience que la montée en puissance fulgurante des processeurs, l'arrivée d'une nouvelle génération d'écrans et de senseurs et la concurrence sans précédent qui va permettre au plus grand nombre d'accéder au réseau mondial à des débits encore insoupçonnés va inciter très rapidement de nombreux nouveaux acteurs à s'emparer de ces mondes virtuels. Cela sera vrai dès ces prochaines années pour le commerce électronique basique. Nous pourrons ainsi essayer une voiture ou visiter un appartement ou un lieu de villégiature dans un environnement virtuel beaucoup plus réaliste que les images qui nous sont actuellement proposées sur Internet. Mais ceci n'est encore qu'un simple prolongement des belles brochures glacées en quadrichromie qui nous sont actuellement offertes par le constructeur, les agences immobilières ou les agences de voyages.

La véritable rupture culturelle se produira quand ces mondes virtuels pénétreront dans notre sphère personnelle pour nous transformer en acteur authentique. Ainsi, rien n'interdit de penser que demain, il sera demandé à ceux qui accepteront d' " entrer dans le jeu " de filmer, avec des caméras vidéo-numériques qui enregistreront des images et du son, de qualité, et ce pour des coûts de plus en plus faibles, les lieux habituels dans lesquels ils vivent, leur appartement, leur maison de campagne mais aussi leurs lieux de travail, de loisirs et tous les endroits qui constituent le cadre de leur vie. Déjà dans cette première phase, le commerce électronique changera de nature car les propositions qui pourront vous être faites par les firmes qui utiliseront de plus en plus ces outils pertinents s'adapteront parfaitement à votre situation personnelle. Ainsi, il pourrait vous être proposé de faire évoluer la décoration de votre appartement en y déplaçant tel ou tel meuble et en y ajoutant tel ou tel autre. Il en serait de même dans tous les endroits où vous avez un pouvoir de décision sur le cadre, l'environnement. Comme les propositions seraient accompagnées de séquences filmées qui vous feraient vivre, avec un réalisme délirant, dans vos lieux de vie habituels ainsi transformés par cette approche virtuelle, la puissance d'une telle approche du commerce électronique serait autrement plus efficace que l'argumentaire dépersonnalisé que nous connaissons actuellement.

La phase ultérieure de cette évolution maintenant inéluctable, à laquelle il nous faut réfléchir sans retard, est celle beaucoup plus préoccupante où on va nous inciter à faire entrer des êtres humains, et plus spécialement les êtres qui nous sont chers, dans ces mondes virtuels. Il nous sera ainsi demandé de filmer, dans des situations différentes et lors des longues conversations qui " marquent " les réunions familiales les personnes avec lesquelles nous aimons vivre, que nous rencontrons avec plaisir et avec lesquelles nous aimons discuter. Ces longs enregistrements auxquels s'en ajouteront d'autres toujours pris en " live ", mois après mois, année après année, permettront de définir avec précision les " profils psychologiques " de tous les acteurs auxquels nous voudrons attribuer un rôle dans notre monde virtuel intime. Comme il nous sera devenu habituel de fréquenter ces mondes virtuels grâce à une reconstitution très réaliste de nos lieux de vie, nous ne serons pas surpris de voir se glisser, un à un, dans ce cadre ainsi reconstitué, tous les êtres qui nous sont chers. Dans un premier temps, ces êtres chers n'échangeront avec nous que des conversations que nous aurons déjà entendues, comme nous le faisions déjà de façon beaucoup plus rudimentaire et beaucoup moins réaliste il y a 15 ans avec la caméra super huit familiale. Mais, peu à peu, au fur et à mesure que les agents intelligents prendront de plus en plus de perspicacité, nous verrons que ces êtres chers, ces amis, selon leurs centres d'intérêts et leur profil, commenceront à nous commenter les événements du jour comme s'ils étaient physiquement, dans l'instant, à nos côtés, alors que cette rencontre se réalisera dans un monde virtuel. Rien ne nous interdit d'imaginer que nous pourrions continuer à les rencontrer et à nous entretenir avec eux dans ces mondes virtuels alors qu'ils auraient disparu physiquement du monde réel...

Bien entendu, pendant un assez long temps, les imperfections du système nous feront toujours faire la différence entre le monde réel et le monde virtuel. Mais même s'il faut quelques décennies pour que la vraisemblance de ces mondes virtuels trompe le cerveau humain, il faut avoir conscience que cela adviendra. Dans un temps intermédiaire, car sera plus facile, on proposera même à chacun d'entre nous de réaliser un film dont nous serions le héros et où les autres acteurs (Gérard Depardieu, Bruce Willis, Julia Roberts, Claudia Schiffer...) seraient à nos côtés. Nous en serions à la fois l'auteur, le metteur en scène, le réalisateur et le producteur. Si, dans un premier temps, les réticences seront nombreuses et même violentes pour ne point laisser ainsi entrer la machine dans notre imaginaire, il ne faut pas être naïf, la puissance et le réalisme de ces mondes virtuels seront d'une telle importance que l'Homme, qui n'y verra que l'ouverture d'un champ nouveau pour l'aventure, s'y engouffrera à un rythme qui nous surprendra tous. En effet, qui aurait dit, il y a moins d'un demi-siècle, que nos peuples passeraient globalement, en ce début de 21e siècle, du moins dans les pays développés, plus de temps devant la télévision qu'au travail ? (Une récente étude de l'IDATE le confirme).

Aussi, il ne faut pas être grand devin pour affirmer qu'en 2050 l'Homme passera plus de temps dans des mondes virtuels que dans le monde réel. Chacun le ressent en essayant de se projeter dans cet avenir qui est dorénavant dans le futur des êtres vivant déjà actuellement, ce basculement entre le monde réel et les mondes virtuels va fondamentalement bouleverser nos sociétés et la vie même des habitants de notre planète. Parmi les bouleversements fondamentaux que provoquera ce basculement et sur lesquels je reviendrai ultérieurement, il faut citer, dès maintenant, deux dangers majeurs dont il nous faut prendre conscience sans retard car il en va de l'avenir même de l'Homme. Le premier de ces dangers que j'ai déjà abordé dans l'éditorial du n° 67 d'@RT Flash (www.tregouet.org/Lettre/Lettre67-Au.html) est de voir les robots qui, à terme, vont acquérir une conscience, se servir de toutes les capacités offertes par les Nouvelles Technologies pour envoyer les humains trouver leurs plaisirs dans des mondes virtuels pendant qu'eux prendront totalement en main le destin du monde réel. Le second de ces dangers est intimement lié au premier. Les mondes virtuels auront une telle capacité de leurrer le cerveau humain qu'ils parviendront à créer un nouveau paradigme du Bonheur en transformant en roi dans son monde virtuel celui qui ne serait qu'un exclu dans le monde réel et lui permettront, en particulier, de continuer à vivre, comme le subconscient nous y invite, avec des êtres chers qui auront disparu de notre monde réel. S'il en était ainsi, les mondes virtuels deviendraient la drogue du XXIe siècle et il serait à craindre que les êtres humains soient de plus en plus nombreux à s'y réfugier et ne veuillent plus en sortir pour subir la rudesse et l'injustice de notre monde... réel.

René Trégouët

Sénateur du Rhône

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