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Edito : livre électronique : qui va contrôler l'accès au savoir ?

Google, le géant numérique vient d'annoncer le lancement en 2010 de Google Editions, son service de commercialisation de livres électroniques. Dans un premier temps, 500 000 livres sont disponibles en ligne et le nombre devrait rapidement atteindre les deux millions. David Drummond, directeur du développement et des affaires juridiques de l'entreprise précise « L'objectif est que vous puissiez acheter la version numérique d'un livre où que vous soyez, sur un site partenaire, dans une librairie, etc. », explique-t-il. Le service serait lancé « dans l'année qui vient. L'accord avec les éditeurs en fait partie, et on veut l'avoir bouclé avant de construire le reste de cette offre ».

Google devrait avoir conclu un accord avec les auteurs et les éditeurs américains d'ici à la fin de l'année, qui prévoit un partage des revenus à hauteur de 63 % pour les détenteurs de droits et 37 % pour Google. L'achat d'un livre numérique sur Google se fera directement auprès du moteur de recherche, sur le site de l'éditeur (qui participe au programme) ou chez un cybermarchand partenaire. Les ouvrages seraient indexés dans le moteur Google Books. Ils pourraient être achetés depuis n'importe quel terminal connecté, et consultables même en cas de déconnexion. Google va donc entrer en concurrence frontale avec Kindle, le lecteur de livre électronique que vient de lancer Amazon.

Sony, pour sa part, va proposer aux utilisateurs de son livre électronique les ouvrages tombés dans le domaine public qui ont été numérisés par Google afin d'accroître l'offre de son catalogue. Les ouvrages en question sont accessibles via le service Google Books. Le géant nippon de l'électronique a précisé que plus d'un demi-million d'ouvrages serait mis gratuitement à la disposition des utilisateurs de son Reader, un appareil portable permettant de lire des livres et des journaux.

Cette nouvelle étape de l'irrésistible ascension de Google vers le monopole de l'accès numérique la culture n'a rien d'étonnant. Elle survient logiquement en s'appuyant sur les 10 millions d'ouvrages que Google a déjà numérisés dans le monde et sur les partenariats signés avec 25.000 éditeurs. La plupart des grandes bibliothèques de la planète, trop heureuses de pouvoir numériser à peu de frais et en un temps record leurs immenses fonds d'ouvrages, ont en effet conclu des accords de partenariat avec Google.

En France Google est déjà en train de numériser les 500 000 livres de la Bibliothèque de Lyon et même la BNF, après avoir longtemps résistée, s'apprête à lui confier la numérisation d'une partie de son fonds.

Sans faire de procès d'intention à Google, il est cependant bon de rappeler que sur les 10 millions d'ouvrages qu'il a numérisés, 2 millions seraient entrés dans le domaine public, 2 autres millions auraient été indexés avec l'autorisation expresse des ayants droit et 6 millions seraient épuisés dans leur version imprimée, mais toujours protégés.

Face à cette situation et à la stratégie mondiale de Google, les réactions ont été bien timides et tardives mais la résistance s'organise peu à peu : Microsoft, Amazon et Yahoo ont rejoint l'OpenBook Alliance, destinée à contrer le service Google Books, qui permet de consulter et faire des recherches dans des livres après leur numérisation. L'OpenBook Alliance est une coalition américaine composée d'éditeurs, bibliothèques, associations et auteurs, qui contestent également la position de monopole de Google sur le secteur et des pratiques jugées anticoncurrentielles.

Google avait l'année dernière proposé un accord aux éditeurs et bibliothèques, concernant les conditions de numérisation et d'accès, prenant à sa charge des coûts et proposant les contenus sur sa plate-forme. La justice américaine tranchera au mois d'Octobre, pour valider ou bloquer cet accord. Si la justice valide l'accord, elle donnera à Google une position de monopole jugée dangereuse par ses concurrents, qui doivent demander à leur tour un accord aux éditeurs et bibliothèques et numériser à leur tour les oeuvres.

En France, les éditeurs français ont également demandé devant le TGI de Paris l'arrêt de la numérisation massive de livres par Google sans autorisation préalable des ayants-droit et réclamé de lourds dommages et intérêts à l'encontre du moteur de recherche américain. Le jugement a été mis en délibéré au 18 décembre.

Mais quelle que soit l'issue de ces batailles juridiques, elles apparaissent désormais comme des combats d'arrière-garde face aux progrès technologiques fulgurants qui permettent aujourd'hui à Google d'envisager de numériser en moins d'une décennie la quasi totalité du patrimoine culturel de l'humanité.

Or, on voit mal pourquoi Google se livrerait à ce travail pharaonique s'il ne comptait pas en tirer à terme d'immenses bénéfices et faire payer, d'une manière ou d'une autre l'accès du milliard et demi d'internautes aux immenses contenus numériques qu'il contrôlera. Or, au rythme où progresse la technologie, il n'est pas impossible que d'ici 10 ans, le quart des livres lus dans les pays développés le soient directement sur des terminaux électroniques de toute nature.

Cette dématérialisation accélérée de l'écrit représente donc un défi économique, culturel et politique immense et, sans nier le rôle historique de Google dans cette révolution numérique mondiale, il est capital que la communauté internationale s'organise, notamment au niveau européen, pour garantir et favoriser un accès libre et équitable pour tous à notre patrimoine culturel, bien commun qui appartient à toute l'humanité.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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    Bien à vous.
    Jean-Philippe Eglinger

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