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Edito : Edito : Que doit-on faire pour que chaque Français dispose du très haut débit avant 15 ans ?

Chacun devrait être convaincu par une évidence que je proclame dans ces colonnes depuis de très nombreuses années (voir mes éditos n° 228 et n°235 de mars 2003).

Dans les 15 ans qui viennent, le très haut débit (100 Mégabits symétriques au minimum) sera aussi nécessaire pour la vie de tous les jours que l'eau au robinet ou l'électricité domestique. Or, tous les travaux de recherche et développement depuis plus de 20 ans affirment et maintenant confirment que seules les technologies optiques permettront de connecter ainsi tous les foyers au très haut débit.

Chacun convient maintenant (mais que de temps perdu !) que le cuivre avec ses électrons est hors jeu pour relever ce défi. Les réseaux radio (voir les derniers développements du WiMax MIMO) vont eux aussi atteindre de très hauts débits mais ils vont essentiellement être affectés à la mobilité. Leur affectation à des réseaux fixes trouverait rapidement ses limites tant le spectre des fréquences est un bien non extensible.

Tous les responsables politiques de notre Pays doivent en être convaincus, que leurs compétences soient nationales, régionales, départementales ou communales : il est grand temps de tout entreprendre pour que chaque Français, dans les 15 ans qui viennent, soit desservi par une fibre optique. Et ce, quel que soit l'endroit où il habite.

Il y a un siècle, les défis relevés par nos « anciens » étaient autrement difficiles aussi bien au niveau technologique que financier. Qui aurait cru en 1907 que quelque 80 ans plus tard, chaque maison habitée de France, même si elle est située au « fin fond » d'une campagne inaccessible, serait desservie par un câble électrique et un tuyau d'eau potable ? Et pourtant le challenge paraissait insurmontable tant les problèmes techniques à résoudre étaient complexes.

Il est autrement difficile et dangereux de tirer partout des câbles électriques supportant au minimum 220 Volts, dont un maniement malheureux peut provoquer la mort, que d'enfouir des fibres optiques qui ne porteront que de la lumière.

Aussi, pour faire en sorte que le défi qui nous permettra de desservir chaque maison, chaque appartement, chaque foyer, avec une fibre optique, dans 15 ans au plus tard, soit relevé, il faut que les responsables politiques disent très clairement à leurs ingénieurs que les règles qui prévalent depuis des décennies pour la réalisation des réseaux électriques ou des réseaux d'eau, au niveau du génie civil, ne soient pas appliquées pour la mise en place de la fibre optique. A cause du comportement des responsables techniques des collectivités et des règles anciennes imposées par l'opérateur historique, le coût du génie civil (réalisation des tranchées, des regards, des chambres de tirage, remise en état, etc...) atteint parfois 80 % du coût global de la construction d'un réseau optique.

Depuis bientôt 10 ans, les sociétés d'autoroutes ont implanté à moins de 40 cm de profondeur, grâce à de nouvelles machines qui tranchent le béton ou le bitume, posent le fourreau et referment la micro-tranchée qui ne fait que 10 cm de largeur, des milliers de kilomètres de fibres optiques qui, aujourd'hui, servent de « backbone » à de très nombreuses liaisons très haut débit reliant toutes les régions françaises. Or, ces réseaux optiques mis à disposition par les sociétés d'autoroutes n'ont pas une renommée de fiabilité inférieure aux réseaux très onéreux reposant au fond de tranchées de 60 sinon 80 cm.

Soyons bien clairs : une fibre optique activée n'est en rien dangereuse. Un enfant qui s'en saisirait pour la couper avec un couteau pourrait le faire sans aucun danger. Il ne ferait qu'interrompre les flux de lumière. Nous savons qu'il n'en serait pas de même s'il entreprenait de couper un câble électrique sous tension !

Aussi, afin d'éviter de continuelles tentations, il suffit techniquement de cacher la fibre mais il est inutile de fortement la protéger. Certes, ces réseaux de surface connaîtront des ruptures liées à d'autres travaux sur les ouvrages publics mais quand on sait l'efficacité et la rapidité de réparation des robots maintenant affectés à la remise en état des réseaux optiques rompus (même avec de très nombreuses fibres), il est bien préférable de prendre le risque statistique d'une coupure accidentelle que de devoir payer une tranchée onéreuse mobilisant souvent des obligations de droits de voiries longues et fastidieuses.

Si nous arrivions déjà à faire admettre par nos ingénieurs les « énormités » que je viens d'énoncer, nous aurions parcouru une bonne partie du chemin. La mise en place de fibres optiques sur tous les accotements des routes nationales, départementales, communales et rurales de France ne serait plus une tâche insurmontable atteignant des coûts pharaoniques.

L'ayant personnellement réalisé dans mon propre Département, le Rhône, je pense que l'échelle départementale est le niveau de gestion des territoires le plus pertinent pour mettre en place ces réseaux du futur.

En effet, les Départements qui avaient déjà le plus grand linéaire de voirie, en France, viennent de voir s'ajouter à leurs réseaux de routes départementales les routes nationales. Par ailleurs, les Départements sont étroitement associés (du moins en milieu rural) aux communautés de communes et aux communes pour le financement de tous les investissements concernant les voiries municipales et la voirie rurale qui dessert chaque écart, chaque bâtiment isolé.

Aussi, pourquoi ne pourrions-nous pas voir les Départements s'emparer avec force du destin numérique de tous les habitants de leurs territoires, en programmant, sur 10 ans, la mise en place systématique des fibres optiques sur tous les accotements de toutes les voiries de leurs collectivités ?

Comme ces travaux de mise en place des fibres optiques seraient réalisés concomitamment avec les travaux de remise en état de toutes les voiries (statistiquement chaque voirie est rénovée, ne serait-ce que par un simple tapis, une fois tous les 10 ans) et avec l'utilisation d'un matériel spécialisé (trancheuse) qui peut réaliser la mise en place d'une grande longueur de fourreaux chaque jour, le coût de la construction de ces réseaux optiques serait relativement marginal par rapport au coût global de construction et de remise en état des voiries.

Si, ainsi, la fibre optique arrivait à un point de concentration optique dans chaque village, près de chaque pavillon, près de chaque maison, près de chaque ferme, les responsables des Départements, et parmi eux en priorité les Départements ruraux qui n'ont pas encore réussi à résoudre l'équation économique de desserte en très haut débit de tous leurs habitants, quel que soit leur lieu de résidence, n'auraient plus de soucis à se faire pour trouver des opérateurs qui accepteraient de desservir tous les coins de France. En effet, les coûts de la « quincaillerie » optronique qui baisseront très fortement dans ces 10 prochaines années ne seront plus un frein pour atteindre l'équilibre économique d'une installation optique de très haut débit dans chaque foyer.

Il est urgent que l'ensemble des responsables politiques français acceptent de déroger aux règles. Autant il serait absurde de vouloir ignorer la rigueur qui doit entourer l'enfouissement d'un câble électrique ou d'une conduite de gaz, autant il faut être convaincu qu'il n'y a aucun danger à enfouir une fibre optique à une profondeur ne dépassant pas les 40 cm, dans une micro tranchée ne dépassant pas les 10 cm en largeur.

C'est en prenant des décisions pragmatiques de cette nature que nous ferons vraiment avancer le dossier de l' « opticalisation » intégrale de notre Pays, si déterminante pour notre avenir.

Annoncer qu'il faudrait encore trouver des dizaines de milliards d'euros pour desservir l'ensemble du monde rural ne fait encore qu'approfondir la fracture entre le monde urbain et le monde rural. Dès ces prochains mois, les habitants des villes vont commencer à accéder à un très haut débit de 100 Mégabits symétriques alors que rien n'est encore prévu, dans aucun endroit rural de France (sauf dans le Rhône et la Manche) pour permettre à l'abonné de base de dépasser les 10 Mégas descendants et les 2 Mégas montants avant de très nombreuses années.

Cette fracture ne sera pas politiquement tenable et c'est pourquoi, avec imagination et audace, les élus de France doivent suivre de nouvelles voies.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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