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Edito : Vieillissement : remonter l’horloge biologique n’est plus un objectif impossible…

L’Humanité est entrée dans une phase de vieillissement inexorable dont on ne mesure pas encore les immenses conséquences économiques, sociales et humaines. Selon l’ONU, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans dans le monde devrait doubler d'ici à 2040, passant de 700 millions à 1,3 milliard de personnes, et pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les personnes âgées de 65 ans et plus seront, dans 20 ans, plus nombreuses que les enfants de moins de 5 ans.

On mesure mieux cette rupture démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité quand on rappelle que l’espérance de vie moyenne à la naissance est passée, au niveau mondial, de 52 ans en 1960 à…72 ans en 2020 ! En France, cette espérance de vie à la naissance est passée de 50 ans à la veille de  la première guerre mondiale, à 83 ans en 2020.

En France, plus de 20 % de la population sur le territoire est désormais âgée de plus de 65 ans. En 2040, notre pays comptera environ 7 millions de personnes de plus de 80 ans, soit trois fois plus qu’au début de ce siècle. Les derniers chiffres de l’Insee montrent que l'espérance de vie a augmenté de 2 ans pour les hommes (79,7 ans en 2019) et de 1,2 an pour les femmes (84,9 ans en 2019) sur les dix dernières années. Et contrairement à certaines idées reçues qui sont tenaces, l’espérance de vie à la naissance a bien continué à progresser au cours des dernières décennies, mais à un rythme moindre qu’à la fin du siècle dernier.

Quant à l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans, il est exact qu’elle a tendance à stagner en France depuis dix ans : elle est à présent de 10,5 ans, soit 75,5 ans pour les femmes, et de 9,4 ans soit 74,4 ans pour les hommes. Mais ce qui est plus révélateur, et préoccupant, c’est que, dans notre pays, cette espérance de vie en bonne santé (sans incapacité majeure) est à présent inférieure à la moyenne européenne et surtout inférieure de presque dix ans à celle de la Suède, champion européen, un écart jugé comme considérable par les démographes.

Selon le rapport rendu en mars 2019 par le conseiller d’État Dominique Libault, il devrait y avoir 10,6 millions de personnes de 75 ans et plus en 2040, contre 6,1 millions aujourd’hui. Alors que la population française augmentera de 7,7 % d’ici 2040, les plus de 65 ans augmenteront de 45 %, les plus de 80 ans de 72 % et le nombre de centenaires sera multiplié par trois ! Quant au nombre de personnes dépendantes, il passera de 1,4 million en 2020, à 2 millions en 2040. La durée moyenne de perception de l’APA (Aide aux Personnes Âgées) passerait ainsi de 4 ans aujourd’hui à environ 5 ans en 2020, puis 6 ans en 2040. La proportion de personnes ayant connu un état de dépendance avant leur décès devrait passer de 32 % en 2020, à 36 % en 2040. Logiquement, compte tenu de cette évolution démographique, le coût global de la dépendance devrait doubler dans notre pays, pour atteindre les 11 milliards d’euros par an en 2040.

Face à ces prévisions démographiques peu susceptibles d'être démenties, l’Assemblée nationale a adopté, il a quelques jours, le principe de la création d’une cinquième branche « dépendance » de la sécurité sociale, qui jette les bases d’une vaste réforme de la prise en charge médicale, économique, sociale des seniors en perte d’autonomie.

C’est dans ce contexte que, partout dans le monde, pour essayer d'affronter ces enjeux économiques et sociétaux considérables, les recherches s’intensifient pour essayer de mieux comprendre les causes fondamentales, et très complexes, du vieillissement biologique chez l’homme.

Le vieillissement cellulaire est le résultat de multiples facteurs qui interagissent entre eux, inflammation, dommages et mutations de l'ADN, raccourcissement des télomères notamment. Mais on a également découvert que l’ADN du gène est transcrit en ARN qui subit un épissage (splicing) pour donner un ARNm qui sera traduit en protéine. On sait également qu'au cours du vieillissement, la capacité d'épissage diminue. Pour restaurer ce processus dans les cellules vieillissantes, des chercheurs de l'Université d'Exeter ont obtenu en 2018, en utilisant du sulfure d'hydrogène, des résultats encourageants, en laboratoire, sur des cellules endothéliales humaines (Voir NCBI).

Le sulfure d'hydrogène est un gaz naturellement présent dans l'organisme qui joue un rôle protecteur contre le vieillissement en limitant la sénescence des cellules. Mais la concentration de cette molécule dans le sang tend à diminuer avec l'âge. Dans cette étude, les chercheurs ont réussi à multiplier par un facteur de 2,5 à 3,1, grâce à un cocktail chimique, l'expression de deux facteurs d'épissage, SRF2 et HNRNPD. Cette voie d’action nouvelle ouvre donc des perspectives très intéressantes pour agir directement sur l’un des mécanismes-clé qui contrôle la sénescence cellulaire.

En mars dernier, des chercheurs de l'Université de Stanford (Etats-Unis) sont parvenus, pour leur part, à rajeunir des cellules humaines grâce à des protéines qui interviennent dans le développement embryonnaire et la production des cellules-souches pluripotentes induites, appelées iPS, pour “induced pluripotent stem cells", (Voir Stanford). « Nous avons constaté que les cellules iPS issues de cellules adultes deviennent à la fois plus jeunes et pluripotentes, et nous nous sommes demandé s'il pourrait être possible de simplement remonter l'horloge du vieillissement sans induire la pluripotence, c'est-à-dire la capacité de se multiplier » précise le Professeur Vittorio Sebastiano qui a dirigé ces travaux.

Les chercheurs ont eu la surprise de constater que les cellules traitées étaient jusqu’à trois ans et demi ans plus jeunes en moyenne que les cellules non traitées. L’étude montre en outre que ce rajeunissement est encore plus spectaculaire sur les cellules musculaires : en transplantant de vieilles cellules souches musculaires de souris qui avaient été traitées de nouveau chez des souris âgées, les chercheurs ont constaté que ces vieilles souris avaient quasiment retrouvé la force musculaire de leurs congénères plus jeunes. « Bien que beaucoup de travail reste à faire, nous sommes convaincus qu’il est possible, par cette technique, de rajeunir de manière très puissante les organes et les différents types de tissus présents dans notre organisme » ajoute le Professeur Sebastiano.

Il y a quelques semaines, une équipe de l’Université de Californie a franchi une nouvelle étape vers le rajeunissement de l’horloge biologique. Ces chercheurs ont proposé à neuf hommes en bonne santé, âgés de 51 à 65 ans, de prendre une hormone de croissance de synthèse (hrGH) pour stimuler le thymus, une petite glande jouant un rôle-clé dans le contrôle du système immunitaire et située dans la partie supérieure du thorax, entre les poumons (Voir Wiley).

En comparant les analyses de sang réalisées tout au long de cette étude, ces chercheurs ont découvert que l'âge épigénétique - indiquant la capacité d’expression des gènes - des participants avait reculé de manière remarquable : un an et demi de gagné en un an de traitement. « Notre étude montre que le risque de mortalité a nettement diminué chez les neuf participants, bien que nous ne soyons pas en mesure, pour l’instant, de faire une estimation précise de l'augmentation de leur durée de vie », commente Steve Horvath, auteur principal de l'étude. Forte de ces résultats très prometteurs, une étude plus large, incluant cette fois 50 participants, devrait être réalisée prochainement.

Dans ce rapide panorama des recherches récentes concernant les causes fondamentales du vieillissement, et les pistes thérapeutiques pour mieux contrôler ce processus inexorable, Il faut enfin évoquer le rôle central de l’alimentation et du mode de vie. De nombreuses études ont déjà montré que la restriction calorique prolongée avait des effets bénéfiques en ralentissant sensiblement les effets délétères du vieillissement sur l’organisme, notamment les mécanismes provoquant une inflammation chronique.

Une récente étude conduite par une équipe internationale (Israël, Slovénie et Serbie) a montré cette fois que des compléments alimentaires adaptés - les nutraceutiques - peuvent imiter les effets de restriction calorique, ralentir le vieillissement et diminuer sensiblement les risques d développement de maladies chroniques (Voir Bentham Science).

Dans ce travail, les chercheurs ont montré que certains nutraceutiques, dont des polyphénols, des acides gras et les flavonoïdes (présents notamment dans les fruits et légumes frais et certains poissons) pourraient mimer l'effet de la restriction calorique en agissant directement sur deux leviers importants qui interviennent dans le processus du vieillissement : le récepteur du facteur de croissance analogue à l'insuline 1 (IGF1R) et l'activité de la sirtuine SIRT1.

Cette étude confirme donc le potentiel considérable de ces nutraceutiques. Ce potentiel thérapeutique, qui commence seulement à être exploré, avait déjà été mis en lumière il y a deux ans par une étude de l'Université de Naples Federico II qui montrait que ces compléments alimentaires, utilisés judicieusement, pouvaient, en complément avec la pharmacopée classique, réduire effacement le risque de développer de nombreuses pathologies, et plus largement améliorer la santé globale et le niveau de bien-être (Voir BJCP).

Toutes ces avancées scientifiques et médicales récentes sont passionnantes, car elles montrent que le vieillissement, bien qu’il soit, in fine, un phénomène biologique et inexorable (lié par ailleurs au principe physique fondamental d’entropie qui veut que tout système organisé tende globalement et statistiquement vers un désordre croissant) peut être accompagné et contrôlé de manière à en retarder et à en limiter considérablement les manifestations pathologiques et invalidantes, tant physiques que cérébrales et cognitives.

Si nous voulons que nos sociétés puissent relever cet immense défi du vieillissement, dans la perspective probable d’une espérance de vie à la naissance qui pourrait atteindre un siècle avant 2100, il est crucial que notre pays mette en place une politique de prise en charge de l’âge beaucoup plus active et ambitieuse, basée à la fois sur une prévention systématique et personnalisée (qui reste malheureusement le parent pauvre de nos politiques de santé) et sur un effort sans précédent de recherche, pour comprendre les mécanismes les plus fondamentaux du vieillissement et les contrôler plus efficacement.

Souhaitons que le débat qui vient de s’ouvrir sur la prise en charge de la dépendance intègre un vaste volet scientifique, médical et social consacré à la recherche gérontologique et à la prévention des effets pathologiques du grand âge. Pour que, demain, notre société conserve toute sa vitalité et son humanité, donnons-nous enfin les moyens de faire en sorte que chacun reste pleinement actif, créatif et autonome jusqu’à la fin de sa vie !

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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  • Bermart

    3/07/2020

    " s'il pourrait être possible " whaou, traduction à revoir , merci de corriger en français !

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