Edito : Vieillissement : attention à ne pas réduire la complexité des mécanismes du vivant…
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APPEL aux DONS : Avec les dons collectés par Hello Asso, nous n'atteindrons pas en 2023 notre objectif pour sauver RT Flash.
A ce jour, alors que nous ne sommes à moins de 3 semaines de Noël et qu'il n'y aura que 3 mises en ligne (y compris celle de ce jour) de RT Flash d'ici la fin de l'année, je peux malheureusement vous annoncer qu'avec la collecte de dons en passant par Hello Asso (comme les années précédentes) nous n'arriverons pas à atteindre l'objectif des 15.000 euros qui sont nécessaires pour mettre en ligne RT Flash chaque semaine en 2024. Aujourd'hui, avec Hello Asso, notre association a atteint 6.874,30 euros. Nous ne sommes même pas à la moitié de notre objectif : 15.000 euros. Heureusement, comme je vous le disais la semaine dernière, une entreprise a fait un don de 1.500,00 euros à l'ADIST. Nous obtenons alors un total de 8.374,30 euros. Mais nous sommes encore très loin de notre objectif.
Par ailleurs, le nombre de donateurs en cette année 2023 ne représente que 40 % des donateurs enregistrés en 2022.
Aussi, je me tourne vers ces donateurs qui, dans les années précédentes, nous ont fait des dons, pour leur demander de faire un don en cette année 2023. C'est la survie même de RT Flash qui est en jeu.
Cette somme de 15.000 euros est nécessaire pour faire fonctionner tous nos outils technologiques. Et il ne nous est pas possible de réduire cette somme annuelle de 15.000 € car les 3 personnes (Monique, Mark et moi-même) qui chaque semaine, depuis 1998, donnent de nombreuses heures pour que chaque vendredi vous retrouviez RT Flash sur votre PC, votre tablette ou votre smartphone, sont bénévoles.
Pourquoi le 31 décembre est-il une date butoir pour faire un don ? Simplement parce que les personnes qui font un don avant le 31 décembre pourront retirer les 2/3 de leur don lors de la prochaine déclaration de leur impôt sur le revenu quelques semaines plus tard.
Sans vous tous qui acceptez de faire des dons, RT Flash n'existerait plus. Nous avons bien conscience de la précarité de notre situation mais vous remercier chaque semaine avec des articles et un édito dont les rédacteurs et moi-même sommes totalement bénévoles nous apporte beaucoup de joie et de bonheur.
René Trégouët
Sénateur Honoraire
Créateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
Président de l'ADIST (l'ADIST est une association qui gère RT Flash)
EDITORIAL :
Vieillissement : attention à ne pas réduire la complexité des mécanismes du vivant…
Cette semaine, je reviens sur la passionnante mais complexe question des causes et facteurs impliqués dans le phénomène inéluctable de vieillissement qui caractérise tous les êtres vivants, à commencer par l’espèce humaine. En 2003, des chercheurs de l’Université McGill et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont découvert chez de petits vers ronds (du groupe des nématodes) des gènes qui, lorsqu'ils sont porteurs de mutations, accroissent significativement la durée de vie de ces organismes. Ces gènes interviennent dans la production des radicaux libres, ces molécules toxiques qui altèrent progressivement les cellules, les protéines et les acides nucléiques constituant l'ADN. Les radicaux libres sont également responsables du "stress oxydatif", une réaction corrosive à l'origine de diverses maladies liées à l'âge, telles que les cancers, les maladies neurodégénératives (maladies d'Alzheimer et de Parkinson) et cardiovasculaires.
Ces radicaux libres provoquent de nombreux dommages qui ne peuvent jamais être complètement réparés par l’organisme. Les molécules abîmées s'accumulent avec le temps et finissent par affaiblir les cellules et les tissus de l'organisme. Ces scientifiques ont recherché les gènes qui avaient subi des mutations et ont déterminé la protéine associée à ces gènes ainsi que la fonction qu'elle exerçait. Ils ont pu identifier les gènes ISP-1 et clock 1 qui synthétisent des protéines jouant un rôle stratégique dans les réactions enzymatiques conduisant à la production de radicaux libres au sein des mitochondries, les centrales d’énergie de la cellule. Ces recherches montrent que les animaux qui portent une mutation sur le gène ISP-1 vivent non seulement deux fois plus longtemps que les autres, mais produisent également beaucoup moins de radicaux libres. Fait remarquable, ces gènes clock 1 et ISP-1 se sont très bien conservés au cours de l'évolution et on les retrouve sous une forme presque similaire chez l'humain. Lorsqu'on insère le gène humain chez le ver à la place de celui présent chez cette espèce d'invertébré, on obtient les mêmes effets. Ces chercheurs ont par ailleurs montré que la présence de deux mutations, l'une affectant le gène clock-1 et l'autre ciblant la séquence DAF-2, parvenait à quintupler l'espérance de vie des nématodes. Ces travaux confortent l'hypothèse selon laquelle les dommages cellulaires occasionnés par les radicaux libres jouent bien un rôle important dans le vieillissement.
Début 2002, des chercheurs de l’Université de Rochester ont identifié un variant génétique rare chez les personnes qui ont vécu jusqu’à 100 ans ou plus. Selon ces travaux, ce variant semble ralentir les processus fondamentaux qui provoquent le vieillissement. Ces recherches ont mis en évidence un lien entre l’activité d’une protéine baptisée “SIRT6” et une durée de vie accrue. En comparant des séquences génétiques de 500 personnes juives ashkénazes ayant vécu jusqu’à 100 ans et plus à un autre groupe ayant les mêmes origines mais n’ayant pas vécu aussi longtemps, puis en analysant une base de données de 150 000 personnes aux origines variées, les chercheurs ont identifié que le variant "SIRT6" était plus fréquemment présent chez les centenaires. Ces chercheurs ont constaté que ce variant pouvait ralentir sensiblement le vieillissement et permettait également d’améliorer la réparation de l’ADN et d’éviter ainsi l’accumulation de mutations génétiques. (Voir PNAS).
En avril dernier, l’équipe du Professeur Nan Hao, de l'Institut de biologie de synthèse de l'université de San Diego (Etats-Unis), est venue à son tour éclairer d’une lumière nouvelle, grâce à la biologie de synthèse, les mécanismes génétiques liés au vieillissement. Ces chercheurs ont découvert que lorsque la levure vieillit, un circuit génétique l'oblige, à la manière d'un interrupteur, à choisir une voie de dégénérescence. En fonction de leur environnement, la moitié environ de ces levures produiront trop de mitochondries et s'épuiseront, tandis que l’autre moitié verra son ADN devenir instable jusqu'à causer une toxicité cellulaire. Ces chercheurs sont persuadés que la clé contre le vieillissement se situe dans la manipulation de cet "interrupteur génétique".
Ces deux voies de vieillissement des levures sont contrôlées par les protéines Sir2 (instabilité de l'ADN) et Hap4 (production de mitochondries). En utilisant les nouveaux outils de modélisation de la biologie de synthèse, ces chercheurs ont remplacé les séquences ADN régulant la production de Hap4 et Sir2. Dans ce nouveau circuit, Hap4 active la production de Sir2, tandis que Sir2 au contraire réprime celle de Hap4. Cette boucle conduit Sir2 à s'autoréguler de lui-même de façon retardée, si bien que la cellule oscille entre les circuits régulés par Hap4 et Sir2. Ainsi modifiées, ces levures se mettent à fonctionner dans le cadre d’une boucle d’autorégulation génétique qui accroît leur durée de vie de 82 % par rapport aux levures contrôle. « Nos travaux montrent que, comme les ingénieurs en mécanique peuvent réparer et améliorer nos voitures pour qu'elles durent plus longtemps, nous pouvons également utiliser la même approche d'ingénierie pour modifier et améliorer nos cellules afin qu'elles vivent plus longtemps », conclut Nan Hao (Voir Science).
Toujours en avril dernier, des chercheurs de l’Université de Cologne, de l’Institut Max Planck pour la biologie du vieillissement de Cologne et de l’Université de Göttingen, ont mené une étude sur les processus de transcription génétique chez cinq espèces animales. Ils ont constaté que la vitesse d’élongation transcriptionnelle des gènes augmente avec l’âge, ce qui nuit à leur bon fonctionnement. Mais ces chercheurs ont aussi montré que ce processus peut être contrôlé et inversé grâce à la restriction alimentaire ou la modification de la signalisation de l’insuline. Ces résultats offrent de nouvelles pistes très intéressantes pour prolonger un vieillissement en bonne santé. Cette équipe a étudié, à l’échelle du génome, les changements liés à l’âge dans les processus de transcription chez les nématodes, les drosophiles, les souris, les rats et les humains. Ils ont découvert que la vitesse moyenne à laquelle la transcription se développe par la fixation des éléments constitutifs de l’ARN, les nucléotides, augmente avec l’âge chez les cinq espèces.
Ces recherches montrent également que la durée de vie des mouches et le potentiel de division des cellules humaines se sont allongés lorsque les chercheurs sont intervenus pour réduire cette vitesse de transcription. Comme le souligne le Professeur Beyer, ces recherches ont clairement montré « qu’un apport calorique réduit a un effet positif sur un processus de vieillissement sain au niveau moléculaire en améliorant la qualité de la transcription des gènes ». Ces travaux montrent également à quel point la transcription est fondamentale, car c'est le processus par lequel une cellule fait une copie ARN, à partir d’un fragment d'ADN. Cette copie constitue un mécanisme-clé car elle véhicule les instructions nécessaires à la fabrication de nouvelles protéines dans une cellule. « Il faut créer la bonne quantité de transcrits pour chaque gène et avoir une copie exacte de la séquence génétique, mais aussi activer les gènes exacts dont la cellule a besoin pour fonctionner comme il se doit », explique le Professeur Beyer qui a dirigé ces recherches. Sachant qu’il existe de nombreux types de cellules dans le corps humain : cellules nerveuses, cellules musculaires, cellules sanguines, et sachant que chaque cellule remplit une fonction différente, il en résulte qu’un ensemble différent de gènes doit être activé dans chaque type de cellule. Le mécanisme chargé de faire la copie de transcription des séquences génétiques s'appelle Pol II (ARN polymérase II).
Ces chercheurs ont pu montrer de manière très claire que ce processus de transcription s'accélère avec l'âge, et que cette transcription accélérée amène Pol II à commettre davantage d'erreurs, ce qui donne lieu à des copies de moins en moins fidèles, susceptibles d'entraîner de nombreuses maladies. De précédents travaux avaient déjà montré que les régimes hypocaloriques et l'inhibition de la signalisation de l'insuline (blocage du signal entre l'insuline et les cellules) pouvaient retarder le vieillissement et prolonger la durée de vie chez de nombreux animaux. Dans cette nouvelle étude, l'équipe de Beyer a cherché à savoir si ces mesures avaient un impact sur le ralentissement de la vitesse de Pol II et sur la réduction du nombre de copies défectueuses. L'étude a effectivement montré, sur des vers, des souris et des drosophiles génétiquement modifiés pour inhiber la signalisation de l'insuline, qu’un régime hypocalorique ralentissait sensiblement la vitesse de transcription du système Pol II, ce qui se traduit par une nette diminution du nombre d’erreurs de copie et, in fine, du vieillissement.
Beyer et son équipe ont ensuite suivi la survie des mouches des fruits et des vers porteurs de la mutation qui ralentissait Pol II, et les animaux ont vécu jusqu’à 20 % plus longtemps que leurs homologues non mutants. Lorsque les chercheurs ont utilisé l'édition de gènes pour inverser les mutations chez les vers, la durée de vie des animaux a été réduite, démontrant ainsi l’existence d’un lien de causalité entre ce système POL II, la signalisation de l’insuline et la restriction calorique. En travaillant sur des échantillons de sang de personnes jeunes et âgées et en comparant les jeunes cellules aux cellules très âgées, in vitro, ces recherches ont obtenu exactement les mêmes résultats. Ces recherches révèlent donc l’existence d’un mécanisme général puissant qui semble s’appliquer au vieillissement de tous les êtres vivants. « Notre étude confirme qu’un régime alimentaire sain ou une restriction calorique améliore la qualité de la transcription de la production d'ARN dans la cellule, ce qui contribue de manière puissante à prévenir l'apparition des grandes maladies liées au vieillissement, comme le cancer, et à permettre un vieillissement en bonne santé. ».
En juin dernier, des chercheurs de l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice (CNRS/Inserm/université Côte d’Azur) ont découvert qu’il est possible de ralentir le vieillissement de tous les organes chez le poisson-zèbre en réactivant un gène contrôlant l’allongement des télomères dans les cellules de l’intestin. Les télomères sont les extrémités des chromosomes porteurs de l’information génétique. Avant de se diviser, une cellule recopie son ADN. Après chaque division, les chromosomes raccourcissent à leurs extrémités, qui s’usent inexorablement. Lorsque les extrémités de ces télomères sont usées, la cellule arrête de se diviser et ne peut plus assurer son rôle dans l’organisme : elle devient sénescente. L’accumulation de cellules sénescentes contribue au vieillissement de l’organisme (Voir Nature Aging). Mais ce processus, apparemment inéluctable, peut être contré par la télomérase, une protéine qui permet de maintenir la longueur des télomères. La découverte de cette protéine-clé dans le vivant a valu le prix Nobel de médecine 2009 à trois chercheurs, Elizabeth Blackburn, Jack Szostak et Carol Greider. Chez l’espèce humaine, la télomérase n’est active que dans les cellules souches, à l’origine des spermatozoïdes et des ovules, et à l’œuvre dans les cellules cancéreuses…
Ces scientifiques ont inséré dans le poisson-zèbre un fragment d’ADN permettant aux cellules de l’intestin de produire la télomérase. Ils ont alors observé, non seulement une diminution du déclin de cet organe, mais également un ralentissement du vieillissement global de l’organisme, ainsi qu’une augmentation de la durée de vie des poissons-zèbres. Sachant que la longueur des télomères du poisson-zèbre et celle de l’être humain sont très proches et que plus de 80 % des gènes liés à des maladies humaines ont leurs homologues chez le poisson-zèbre, on mesure mieux les potentialités thérapeutiques de cette voie d’action sur la télomérase en matière de ralentissement du vieillissement et de prévention des maladies qui y sont associées.
En avril 2016, une équipe tchèque a découvert une bactérie ultra-résistante capable de revenir à la vie malgré des dommages majeurs, ce qui a renouvelé l’approche biologique du vieillissement. Il s’agit de Deinococcus radiodurans, une des bactéries les plus résistantes connues à ce jour, qui vit dans des environnements arides et désertiques. Elle est également capable de survivre à une dose d’irradiation 5000 fois plus importante que la dose mortelle pour les humains. Cette étonnante bactérie est capable de reconstituer entièrement son patrimoine génétique en quelques heures (Voir NIH).
La résistance exceptionnelle de cette bactérie extrêmophile est en fait liée à la résilience de son "protéome" – l’ensemble de ces protéines – et notamment de ses protéines de réparation de l’ADN. Ces recherches montrent que, pour augmenter la longévité, et notamment celle des humains, il est nécessaire d’agir sur le protéome autant que sur l’ADN. En maintenant l’intégrité du protéome, qui est à l’origine du vieillissement, on intervient également sur l’ensemble de ses conséquences, survie et fonctionnement cellulaires, mais aussi diminution des risques de maladies liées au vieillissement.
On le voit, il existe de nombreux mécanismes biologiques pour expliquer la base moléculaire du vieillissement, tels que la théorie de la sénescence cellulaire, la diminution de la capacité de réparation de l’ADN, le raccourcissement des télomères, le dysfonctionnement mitochondrial, le stress oxydant ou l'inflammation chronique. Ces différents mécanismes, bien que spécifiques, interagissent entre eux et participent tous, à divers degrés, au vieillissement de l’organisme, mais le débat fait rage au sein de la communauté scientifique pour savoir si ces mécanismes intriqués sont les causes ou les conséquences du vieillissement.
Un autre débat scientifique, non moins vif, concerne les rôles respectifs du génome et du protéome dans le processus du vieillissement. Les protéines remplissent à la fois une fonction structurelle et fonctionnelle. Elles permettent le maintien et la cohésion de nos cellules et de nos tissus. Avec le temps, notre protéome est soumis à de multiples agressions, dont la plus sévère est la "carbonylation", un dommage irréversible qui oxyde les protéines et finit par les empêcher de remplir correctement leurs fonctions biologiques. Lorsqu’elles sont endommagées de façon irréparable, les protéines doivent être recyclées ou éliminées. Avec l’âge, cette élimination fonctionne de moins en moins bien, ce qui provoque la formation d’agrégats toxiques qui accélèrent le vieillissement et provoquent des maladies dégénératives. Pour se replier correctement, la plupart des protéines ont besoin du concours de protéines spécialisées appelées "chaperonnes". Celles-ci vont protéger le protéome, en permettant à la fois une protection physique de la structure fonctionnelle des protéines et un bouclier antioxydant qui protège les protéines contre cette fameuse carbonylation. Chez la bactérie Deinococcus radiodurans, c’est ce mécanisme incroyablement efficace de protection du protéome contre les dommages oxydatifs par les molécules chaperonnes qui permet la réparation complète et rapide des dommages causés à son génome. Il semblerait donc, qu’au-delà du génome, la protection et la réparation de notre protéome, c’est-à-dire de nos protéines, soit l’une des clés de notre santé et de notre longévité.
C’est en tout cas la théorie que défend avec brio le grand scientifique Miroslav Radman (Grand prix Inserm 2003), qui pointe le rôle majeur du phénomène d’oxydation des protéines dans l’apparition des pathologies du vieillissement. La majorité des protéines sont repliées sur elles-mêmes, de telle sorte qu’elles sont protégées de ce phénomène. Toutefois, le moindre défaut dans leur structure peut les rendre vulnérables à l’oxydation. Or, en s’appuyant sur une vaste analyse de la littérature scientifique et sur ses propres expériences, Miroslav Radman pense que c’est l’oxydation précoce, en bloquant le repli de la protéine, qui altère son activité et sa fonction, ce qui finit par déclencher l’apparition des multiples pathologies liées au vieillissement.
Miroslav Radman a pu démontrer sa théorie de manière remarquable en étudiant les causes de la maladie de Parkinson. Cette pathologie est liée à des anomalies de la protéine alpha-synucléine et ce scientifique a réussi à montrer, en purifiant certaines protéines impliquées dans cette pathologie et en les exposant à des agents oxydants puissants, que l’oxydation excessive de ces protéines était corrélée à la précocité de la maladie. Heureusement, le niveau d’oxydation des protéines est réversible par différents mécanismes, ce qui ouvre la voie à la possibilité de prévenir et de traiter de nombreuses maladies liées à l’âge. « Administrer des molécules capables de se fixer sur les protéines mal pliées peut les protéger de l’oxydation », souligne Miroslav Radman. Ce chercheur a également réussi à rajeunir des cellules de peau prélevées chez des personnes âgées en diminuant l’oxydation de leurs protéines.
En septembre dernier, des chercheurs de l’Institut Curie et de l’Inserm ont publié une étude sur les cellules immunitaires dans le poumon, qui éclaire l’existence de mécanismes sous-jacents communs entre le cancer et le vieillissement et confirme le rôle central de certaines protéines dans ce processus complexe. Ces travaux montrent notamment qu’en ciblant les ruptures de l’enveloppe nucléaire de ces cellules, il est possible d’obtenir un effet thérapeutique dans les maladies liées à l’âge, à commencer par le cancer (Voir Nature Aging).
Pour maintenir la structure du noyau et donc l’intégrité génomique, la cellule s’appuie sur un réseau dense de protéines dont font partie les lamines. Parmi elles, la lamine A/C est particulièrement étudiée car elle subit des altérations au cours du vieillissement. En outre, des mutations au niveau du gène qui code pour cette protéine sont connues pour être à l’origine de syndromes de vieillissement précoce. Les chercheurs ont scruté une population de macrophages des poumons – les macrophages alvéolaires – qui sont fortement dépendants de la lamine A/C pour leur survie. Ces macrophages alvéolaires ont pour rôle de protéger les poumons en neutralisant les agents pathogènes.
Les chercheurs ont montré qu’en absence de lamine A/C, les macrophages alvéolaires présentent de graves signes de fractures de leur noyau et des dommages au niveau de l‘ADN, entraînant une diminution drastique de leur nombre dans les poumons. L’équipe a également mis en évidence qu’en absence de lamine A/C dans les macrophages, la croissance des tumeurs pulmonaires est facilitée par le dysfonctionnement des macrophages âgés. La perte de lamine A/C représenterait donc un mécanisme de vieillissement des macrophages alvéolaires et un modèle très prometteur pour comprendre comment les cancers du poumon se développent chez les personnes âgées. « Nos résultats ouvrent de nombreuses perspectives pour l’étude du vieillissement du système immunitaire provoqué par la rupture de l’enveloppe nucléaire et la diminution de son efficacité contre les infections et les tumeurs, dans les poumons, mais aussi dans d’autres organes », conclut le Docteur Nicolas Manel.
Un autre mécanisme fondamental du vieillissement mérite d’être rapidement évoqué. Il s’agit de la sénescence cellulaire. Cet état se manifeste dans toutes les cellules d'un organisme, sous l’effet de nombreux facteurs biologiques, chimiques et environnementaux, en réponse à une grande variété de stress différents. Lorsqu'une cellule devient sénescente, elle cesse de se diviser et se met à produire des marqueurs spécifiques, connus sous le nom de phénotype sécrétoire associé à la sénescence (SASP). On sait à présent que l'inflammation chronique causée par les SASP joue un rôle important dans le processus de vieillissement, ainsi que dans les pathologies associées à l'âge telles que l'ostéoporose, la fragilité, les maladies cardiovasculaires, l'arthrose, la fibrose pulmonaire, les maladies rénales, les maladies neurodégénératives…
Depuis quelques années, on assiste à l’essor de la "sénothérapie", une démarche thérapeutique qui vise spécifiquement la sénescence cellulaire. En 2018, une étude dirigée par le Professeur Laura Niedernhofer (Institut Scripps en Floride) a fait grand bruit. Ce travail montre qu’il est possible, en combinant certains médicaments, de tuer spécifiquement les cellules sénescentes et de freiner le processus de vieillissement cellulaire (Voir Nature Reviews). Dans ces recherches, des résultats remarquables ont été obtenus avec l'administration combinée de plusieurs sénolytiques, notamment le dasatinib et la quercétine, chez des patients atteints de néphropathie diabétique et de maladie pulmonaire idiopathique. Ce traitement a effectivement permis de réduire sensiblement l'expression du biomarqueur sélectionné pour la sénescence, p16.
Il y a quelques semaines, une équipe internationale a réussi à inverser le vieillissement de plus de 67 %, en injectant un traitement composé principalement de nanoparticules plasmatiques de jeunes porcs à des rats âgés. Transposé aux humains, ce traitement permettrait de ramener une personne de 80 ans à un âge biologique de 26 ans (Voir Springer Link). Dans le cadre de ces recherches, six horloges épigénétiques distinctes ont été utilisées pour quantifier le taux de vieillissement chez les rats. Parmi ces horloges figurent notamment la méthylation et la glycosylation, toutes deux applicables aux humains. Après seulement quelques jours de traitement, les rats ont enregistré une remarquable inversion de l’âge biologique, avec une moyenne de 67 %. Dans une autre expérience, les rats âgés ont bénéficié d’un rajeunissement hépatique de 77 %. Je répète, tant ces résultats sont impressionnants, que transposés à l’Homme, ils pourraient ramener une personne de 80 ans à l’âge biologique de 26 ans.
Pour clore cette synthèse concernant les dernières avancées en matière de connaissance du vieillissement, il faut enfin rappeler le poids considérable, et encore largement sous-estimé, de nos choix de vie, comme facteurs intrinsèques permettant de vieillir en bonne santé. En juillet dernier, une vaste étude américaine, réalisée à partir de l’analyse des données provenant de plus d'un million de vétérans américains, a confirmé de manière éclatante l’importance du mode de vie en matière de longévité et de vieillissement en bonne santé. Ce travail d’une ampleur sans précédent a montré que l'intégration de huit habitudes saines dans son quotidien - Un sommeil réparateur, l'arrêt du tabac, une activité physique régulière, une alimentation saine, un poids normal, une glycémie équilibrée, un bon taux de cholestérol et une bonne tension artérielle -, et ce au plus tard à l'âge de 40 ans, permettrait de vivre en moyenne 24 ans de plus chez les hommes, et 21 ans de plus chez les femmes, par rapport aux individus n’ayant adopté aucune de ces règles de vie (Voir Science Direct). Il y a quelques jours, une autre étude américaine, menée par une équipe de chercheurs de l’Université de Columbia, a analysé les habitudes de vie de 6500 participants et a confirmé que ceux qui suivaient ces huit habitudes saines ont sensiblement ralenti le vieillissement de leur corps et avaient un âge "phénotypique" (l’âge du corps) inférieur de plus de six ans à leur âge "chronologique" (l’âge réel). A contrario, ceux qui ne respectaient pas ces habitudes de vie avaient un âge biologique moyen plus élevé que leur âge réel.
Ces récentes études et découvertes nous montrent que le processus de vieillissement qui se dévoile à mesure que la recherche avance est bien plus varié et complexe qu’on ne l’imagine et que nous sommes encore loin de l’appréhender dans son ensemble. Attention donc aux annonces sensationnelles et parfois simplistes de certains médias qui prétendent régulièrement que la science aurait trouvé la panacée, la clé qui permettrait à la fois d’expliquer et de vaincre le vieillissement. Pour atteindre, voire repousser les limites, sans doute inscrites dans notre espèce, de notre longévité maximale – probablement autour de 120 ans selon une majorité de scientifiques – et pouvoir de surcroît vivre en bonne santé pendant toute cette longue vie, nous devrons apprendre à actionner simultanément, mais de manière subtile, fine et propre à chaque individu, de nombreux leviers biologiques, génétique et métaboliques, à la fois en choisissant un mode de vie approprié et en bénéficiant de traitements chimiques et de thérapies géniques combinées et personnalisées. Il ne fait nul doute que l’homme y parviendra mais ce ne sera pas sans difficultés, car la complexité du vivant est telle que nous devrons nous assurer, à chaque nouvelle avancée scientifique et médicale, que les traitements mis en œuvre contre le vieillissement ne risquent pas de produire, à terme, des effets graves ou indésirables qui n’auraient pas été prévus et maîtrisés…
Dans un contexte de réduction massive, bien plus importante que prévue, de la population mondiale au cours de la seconde moitié de ce siècle, la perspective probable d’une espérance de vie en bonne santé de plus d’un siècle pour les enfants qui naîtront en 2050 est encore plus vertigineuse car elle risque de provoquer une rupture radicale de notre espèce et de la civilisation humaine, avec une population mondiale, à l’aube du XXIIème siècle, qui pourrait bien revenir à son niveau actuel, mais dont la part des plus de 65 ans passerait de 10 à 30 % et dont le nombre de centenaires sera vingt fois plus important qu’aujourd’hui, dépassant les 10 millions de terriens…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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