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Edito : Vers l'Homme reconstruit

La science ne s'arrête jamais et c'est en pleine torpeur estivale que la presse anglo-saxonne a fait un large écho à deux informations qui confirment l'accélération extraordinaire des sciences de la vie et marquent le début d'une nouvelle ère de la biologie et de la médecine. La première de ces informations concerne la maîtrise de l'ensemble du processus de production de clones médicaux. C'est dans la très sérieuse revue «Current Biology,» que l'équipe du Professeur Alan Trounson (Monash Institute of Development and Reproduction) à Melbourne publie les résultats d'une expérience chez la souris. Ces résultats confirment qu'il est possible de cultiver les propres cellules souches d'un individu humain, grâce au clonage. L'intérêt thérapeutique d'une telle culture est immense car, à terme, il sera possible de créer sur mesure un double de chaque individu dont les cellules seront capables de se transformer en muscle, en coeur, en foie ou en cerveau. Injectées dans le corps, ces cellules ne provoqueront aucun rejet, puisque le donneur et le receveur seront une seule et même personne. En 1998, des biologistes américains avaient démontré qu'il est possible de maintenir en culture et de faire se différencier à volonté des cellules souches humaines. Les chercheurs avaient obtenu ces cellules à partir d'embryons humains de quelques jours. Mais cette fois les chercheurs Australiens ont franchi une nouvelle étape décisive vers la maîtrise du clonage médical. Ils ont transféré dans un ovule de souris préalablement débarrassé de son noyau le contenu du programme génétique complet d'un noyau de cellule de souris adulte. Le produit de ce transfert est un embryon dont les cellules souches de souris prélevées sur cet embryon sont bien capables de se différencier en trois catégories de tissus embryonnaires (endoderme, mésoderme et ectoderme), qui correspondent aux organes du corps à l'âge adulte. Ces cellules-souches de souris sont, comme les cellules souches humaines, capables de se transformer en cellules nerveuses ou musculaires. Les chercheurs australiens ont finalement injecté les cellules aux souris donneuses sans provoquer de rejet. Ces expérimentations ouvrent des perspectives considérables, si on les extrapole à l'homme, dans la mesure où toutes les étapes du clonage thérapeutique ont été franchies. Quelques jours seulement après la publication de ces expériences, et cela n'est évidemment pas un hasard, le gouvernement britannique a annoncé le 16 août avoir donné son feu vert au clonage d'embryons humains à des fins de recherche thérapeutique, en donnant son aval à un rapport officiel en ce sens. L'étude dirigée par le directeur de la santé publique, Liam Donaldson (publiée le 16-08-2000, http://www.doh.gov.uk/cegc/stemcellreport.htm), a conclu que ce clonage ouvrira la voie à de nouveaux traitements particulièrement prometteurs. L'objectif est, en utilisant des cellules très jeunes, de cultiver différents types de tissus qui pourraient servir d' «organes de rechange» pour traiter des maladies actuellement incurables. Ces recherches visent à fabriquer, pour chaque individu, plusieurs embryons qui partageraient le même patrimoine génétique et deviendraient une source idéale et inépuisable de cellules souches embryonnaires et d'organes, et cela sans aucun risque de rejet. Le gouvernement anglais a cependant souligné avec force que le projet de loi permettant le clonage d'embryons à des fins de recherche médicale, qui sera discuté au Parlement britannique à la fin de l'année, interdirait de manière absolue le clonage à but reproductif. La loi anglaise actuellement en vigueur, appelée Human Fertilization and Embryology Act, autorise la recherche sur les embryons jusqu'au quatorzième jour mais ne prévoit pas le clonage, même dans la forme limitée au clonage thérapeutique. Enfin le 23 août, la presse américaine annonçait que le gouvernement américain avait décidé d'autoriser les scientifiques à mener des recherches sur les embryons humains, dans le cadre de programmes financés par des fonds publics fédéraux. Ces recherches fédérales ne pourront être conduites que sur des embryons conçus par fécondation in vitro dans un but procréatif, et non utilisés. Il reste que la légalisation même encadrée du clonage thérapeutique pose des questions morales fondamentales que la société ne peut éluder. Comment, par exemple, régler le problème de la pénurie d'ovocytes, indispensables à la fabrication d'embryons à but thérapeutique. Est-il possible de se limiter aux seuls embryons dits "surnuméraires" pour réaliser ces expériences ? Qui doit définir les indications thérapeutiques qui peuvent faire l'objet de ces recherches ? On voit bien que la généralisation, bien plus rapide que prévue, du clonage médical ouvre un débat éthique et moral très profond qui dépasse largement le cadre politique et législatif. Chacun sent bien, en effet, que derrière ces extraordinaires perspectives médicales qui s'annoncent, c'est bien la conception de l'être humain, de sa dignité et de sa singularité qui est en jeu. Entre le scientifiquement possible et le moralement souhaitable, où devons nous fixer la frontière ? Telle est la question fondamentale et redoutable que va affronter notre société au cours du prochain siècle.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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