RTFlash

Vivant

Edito : Thérapies cellulaires : le grand tournant des cellules souches...

Lorsque, en 1961, les chercheurs Canadiens James Till et Ernest McCulloch découvrirent, par hasard, les cellules-souches, en étudiant les effets de la radiothérapie sur les tumeurs et les cellules sanguines, ils étaient bien loin de se douter qu’ils allaient être à l‘origine d’une des plus importantes révolutions scientifique et médicale de notre siècle.

Il faudra cependant attendre 2011 pour que l'équipe du professeur Luc Douay réussisse la première autotransfusion d'un culot de globules rouges obtenu par culture et différenciation de cellules souches. En 2006, le célèbre Professeur Yamanaka (Université de Kyoto) fut le premier à réussir à produire des cellules IPS, à partir de cellules adultes, en utilisant la reprogrammation génétique. Cet exploit lui vaudra le Nobel de Médecine en 2012. Depuis, le Professeur Yamanaka a mis au point le fameux cocktail de jouvence qui porte son nom et qui consiste en une association de quatre protéines appelées facteurs de transcription. Plusieurs équipes de recherche (notamment une équipe de Cambridge et des chercheurs du Salk Institute for Biological Studies) ont ensuite repris les travaux de cet éminent chercheur et ont montré récemment que ces facteurs de transcription étaient capables, chez l’animal, de bloquer les effets du vieillissement, mais aussi d’inverser l’horloge biologique, et de régénérer les muscles et les tissus cellulaires. J'aurai l’occasion de revenir dans un prochain éditorial qui abordera notamment les remarquables travaux du Professeur Jean-Marc Lemaitre, sur cette révolution du rajeunissement biologique que j’ai déjà abordée récemment, mais je souhaiterais, cette semaine, montrer que l’immense potentiel thérapeutique de ces cellules souches va également s’étendre à l’ensemble des pathologies graves et de la médecine.

En 2014, une équipe japonaise dirigée par le Professeur Masayo Takahashi, effectua la première transplantation de cellules de la rétine sur une patiente de 70 ans atteinte de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), en utilisant des cellules souches pluripotentes induites, ou CSPi, c’est-à-dire des cellules souches obtenues à partir de cellules adultes différenciées, qui subissent une reprogrammation génétique leur permettant de produire à volonté différents types cellulaires.

En début d’année, des chercheurs japonais de l'hôpital universitaire de Keio ont commencé un nouvel essai clinique, sur la moelle épinière. Ils ont transplanté un premier patient en lui injectant 2 millions de cellules neurales IPS. Cette approche, pour l’instant réservée à des patients dont les lésions de la moelle épinière ont moins d’un mois, a déjà été expérimentée avec succès sur des animaux et doit permettre de confirmer son efficacité thérapeutique sur la durée.

Un autre essai très prometteur de thérapie cellulaire est en cours au sein du prestigieux Cedars-Sinai Medical Center (Los Angeles). Il concerne un ensemble de graves maladies génétiques, la dystrophie musculaire, caractérisée par des mutations génétiques qui provoque une dégradation des muscles squelettiques. Ces pathologies, dont la myopathie de Duchenne, sont causées par des mutations sur un gène du chromosome X qui bloque la production de la protéine dystrophine, nécessaire au bon fonctionnement des muscles.

La thérapie cellulaire a permis de freiner la progression de la maladie et de stabiliser la perte de force musculaire, notamment du muscle cardiaque, chez les patients atteints de myopathie de Duchenne. S’appuyant sur les bons résultats de l’essai Hope 2, cette thérapie va faire l’objet d’un essai clinique plus large, en double aveugle, contre placebo et, en cas de succès, elle pourrait devenir le premier traitement du genre, approuvé par l’Autorité de Santé Américaine (FDA), dans la prise en charge de la myopathie de Duchenne. L’essai Hope 2, qui a porté sur 20 garçons, âgés de 10 ans et plus, a permis de constater, à l’issue d’un an de traitement, les effets spectaculaires de cette thérapie cellulaire qui ralentit considérablement la perte de la fonction des membres et préserve également la fonction cardiaque des patients atteints de myopathie de Duchenne.

Autre avantage considérable de cette nouvelle thérapie cellulaire, elle est effectuée par voie intraveineuse, avec seulement quatre injections par an. En outre, contrairement aux autres thérapies expérimentales, elle utilise des cellules progénitrices issues du tissu cardiaque humain, pour améliorer la fonction du muscle squelettique et du cœur. Grâce à cette nouvelle approche, les chercheurs ont bon espoir que cette thérapie s’avère efficace dans toutes les formes de dystrophies musculaires, quelle que soit la mutation génétique en cause.

Les thérapies cellulaires sont également en train de révolutionner la prise en charge des malades du foie (cirrhoses, foie gras, cancer), qui toucheraient chaque année plus de 900 millions de personnes dans le Monde et nécessitent souvent des traitements lourds et risqués, comme la transplantation. La jeune société de biotechnologies GoLiver Therapeutics, fondée en 2017 et basée à Nantes, mise sur l’utilisation de cellules souches pluripotentes pour révolutionner la prise en charge de ces pathologies. « Les cellules souches ont cette capacité extraordinaire de se multiplier à l’infini. On peut les cultiver en laboratoire, les congeler, les stocker. Une fois injectées, elles ont, dans le cas du foie, l’extraordinaire capacité de pouvoir régénérer les tissus sains en seulement quelques jours », explique Tuan Huy Nguyen, président-fondateur de GoLiver Therapeutics. Il espère pouvoir commencer cette année ses premiers essais cliniques sur dix patients de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne) et vise une mise sur le marché de son médicament avant 2030.

Chez des patients atteints de lésions cérébrales traumatiques (LCT), des injections de cellules souches dans la zone lésée du cerveau ont permis une récupération de la fonction motrice, sans effets indésirables notables, selon une étude américaine de phase 2, dont les résultats ont été présentés lors du congrès annuel de l’American Academy of Neurology (AAN 2022). Les patients avaient des lésions cérébrales depuis huit ans en moyenne (Voir Neurology Today).

Cette étude, en double aveugle contre placebo, a porté sur 61 patients présentant des lésions après un traumatisme crânien et âgés en moyenne de 34 ans. Au total, 46 participants ont reçu un traitement par cellules souches à des doses variables. Le traitement cellulaire administré a été mis au point par la société SanBio et se composait de cellules souches mésenchymateuses extraites de la moelle osseuse d’un donneur masculin et injectées directement dans la zone de la lésion cérébrale à l’aide une aiguille guidée par IRM.

L’effet bénéfique de ce traitement sur la fonction motrice a été observé moins de deux semaines après le traitement. Les patients ont vu une nette amélioration de leur mobilité et certains ont même récupéré l’usage de leurs membres. « Pour la première fois, nous avons pu apporter la preuve qu’il est possible, en utilisant des cellules souches, d’améliorer l’état de patients atteints de LCT avec handicap », souligne le Professeur Peter McAllister (Yale University School of Medicine) qui dirige ces travaux. L’étude souligne l’impact concret de cette thérapie cellulaire sur l’autonomie et la qualité de vie des patients, dont certains pouvaient à nouveau faire leur toilette ou le ménage.

Autre exemple prometteur des formidables potentialités des cellules-souches, celui de Leah Stavenhagen, une étudiante américaine de 26 ans, qui a été diagnostiquée porteuse d’une maladie de Charcot (SLA). Cette pathologie dégénérative, fatale à terme, est celle qui a touché le physicien Stephen Hawking. Ses causes restent inconnues à ce jour et elle se traduit par une dégénérescence des motoneurones, des cellules nerveuses qui commandent les muscles volontaires, entraînant une paralysie progressive de la marche, de la parole, et de la respiration. Après avoir vu une dégradation rapide de son état, cette jeune femme a commencé il y a deux ans un traitement expérimental aux Etats-Unis, qui consiste à injecter chaque mois des cellules TReg (lymphocytes T régulateurs) issues du sang de cordon ombilical. Depuis, elle a constaté une nette diminution dans la progression des symptômes. « Mon corps ne se paralyse plus de façon aussi rapide depuis le début du traitement mais, comme je suis la première au monde à avoir reçu ce traitement, on ne sait pas encore si les améliorations constatées viennent des cellules souches ou correspondent à l'évolution normale de ma maladie ».

Le Docteur Shammaa a décidé de lancer une étude sur 23 de ses patients. Comme Annissa Jobb satisfaisait aux critères d’inclusion, il lui a proposé de participer tout en la prévenant qu’il n’y avait aucune garantie de succès. La technique utiliserait des cellules de sa propre moelle osseuse, et ne présentait aucun danger. La patiente a accepté.

L’Université de Montpellier, en France, et la clinique Mayo, aux États-Unis, sont deux institutions parmi d’autres qui pratiquent ce genre d’intervention consistant à prélever un échantillon de tissu de la moelle osseuse du patient et d’en concentrer les cellules souches, ou cellules mésenchymateuses. Ce concentré d’aspiration de moelle osseuse (BMAC) est ensuite injecté dans la hernie discale du patient pour stimuler la régénérescence et la guérison des tissus endommagés.

Au Canada, le Docteur Shammaa, du Centre de Médecine Régénérative de Toronto a montré récemment le potentiel de la thérapie cellulaire pour mieux prendre en charge la maladie articulaire dégénérative de la colonne vertébrale, associée à des douleurs lombaires résultant de la dégénérescence des disques intervertébraux. L’une de ses patientes, qui présentait de graves lésions sur cinq disques et devait faire face à des douleurs intenses et continues, a subi une intervention chirurgicale qui consiste à insérer une aiguille dans la colonne vertébrale de la patiente pour instiller le BMAC (Concentré d'aspiration de moelle osseuse) dans les disques abimés. Un mois après l’opération, cette patiente, qui avait toujours évalué sa douleur à 10, l’établissait désormais à deux (Voir Frontiers in Medicine). Dans son étude, le Docteur Shammaa précise que 90 % de ses patients ont gagné deux ou trois millimètres de taille que la compression discale leur avait fait perdre. En outre, les trois-quarts d’entre eux n’ont plus besoin de prendre des opioïdes.

Enfin, il y a quelques jours, la société américaine bit.bio et Charles River Laboratories, qui collaborent depuis deux ans, ont annoncé une plate-forme évolutive et reproductible pour les cellules humaines reprogrammables, dérivées d'iPSC humaines (Voir Nature).

Lorsque Shinya Yamanaka a découvert qu'il pouvait reprogrammer des cellules somatiques en cellules souches pluripotentes en 2006, il a ouvert la voie à une nouvelle ère dans l’histoire de la médecine, mais l'impact des CSPi sur la découverte de médicaments est resté modeste. « Tout le monde pensait que les cellules souches allaient nous donner les modèles de cellules humaines dont nous avions besoin pour fabriquer de meilleurs médicaments, mais ça n’a pas été le cas », explique Mark Kotter, fondateur et PDG de bit.bio, une société de biologie cellulaire. 

Les chercheurs ont encore du mal à différencier de manière cohérente les CSPi humaines en types de cellules différenciées en phase terminale, telles que les neurones et les cellules musculaires. « C'est long, laborieux, coûteux et peu reproductible », déclare Farah Patell-Socha, vice-présidente des produits de recherche chez bit.bio. Il faut en effet comprendre que les méthodes actuelles obligent à faire passer les cellules souches à chaque étape du développement précoce pour atteindre le type de cellule final. Le processus peut prendre jusqu’à huit semaines, et la différenciation des oligodendrocytes peut s'étendre sur six mois. Par ailleurs, seule une petite fraction des cellules pluripotentes initiales se développe dans le type de cellule souhaité. Autre obstacle de taille, les chercheurs manquent toujours de modèles cellulaires pertinents qui sont spécifiques aux types de cellules associés à la maladie visée. Par exemple, les chercheurs étudient la maladie d'Alzheimer chez les souris, mais les souris ne présentent jamais le spectre complet des symptômes de la maladie d'Alzheimer, ce qui limite fortement la pertinence du modèle.

Pour surmonter ces obstacles, Bit.bio a développé une plate-forme technologique évolutive capable de produire rapidement des lots cohérents de cellules humaines sur la base de la reprogrammation cellulaire. Au lieu de suivre des protocoles traditionnels en plusieurs étapes pilotés par des signaux chimiques, cette technique de reprogrammation peut différencier les cellules par activation directe des facteurs de transcription. « Nous avons trouvé un moyen de tromper les cellules souches pour qu'elles acceptent un nouveau programme », précise Mark Kotter, co-fondateur de Bit.bio.

Lors de la reprogrammation des cellules souches, les chercheurs utilisent en général des facteurs de transcription qui dirigent la différenciation cellulaire. Mais cette technique peut interférer avec la fonction des cellules et le processus de silençage génique, dans lequel une cellule supprime l'expression d'un certain gène, ce qui a pour effet de bloquer tout le processus. Kotter et ses collègues ont découvert qu'il était possible de contourner le mécanisme de silençage génique, avec une stratégie de ciblage génique appelée opti-ox (surexpression inductible optimisée). L’idée consiste à insérer des gènes de facteurs de transcription dans les bonnes régions du génome des cellules souches ; ce qui a pour effet de protéger la fonction cellulaire. L’utilisation de cette nouvelle technologie opti-ox, appliquée à la reprogrammation cellulaire, a fait sauter un verrou majeur, en permettant la différenciation précise de cultures entières de cellules souches en n'importe quel type de cellule à grande échelle. « Nous avons été stupéfaits d’atteindre pratiquement 100 % de pureté cellulaire en quelques jours, ce qui était 10 fois plus rapide que tout ce que nous avions vu auparavant », souligne Mark Kotter.

L'objectif de Bit.bio est de pouvoir programmer des cellules pour produire des lots cohérents de chaque type de cellule de l’organisme, afin de concevoir, à terme, une multitude de nouveaux médicaments contre de nombreuses maladies aujourd'hui sans solutions thérapeutiques. Avec leur nouvelle méthode, ces chercheurs peuvent par exemple produire des neurones glutamatergiques et des neurones GABAergiques, dérivés d'iPSC humains, qui peuvent être utilisés pour étudier des maladies neurologiques et psychiatriques, telles que l'autisme et la schizophrénie ; ils peuvent également obtenir des myocytes squelettiques dérivés d'iPSC humains, qui sont indispensables dans l'étude de la dystrophie musculaire ou des troubles métaboliques

Les scientifiques de bit.bio ont également conçu des cellules destinée à s’attaquer à la terrible maladie de Huntington, qui se caractérise par la dégénérescence progressive des cellules nerveuses dans le cerveau. Selon ces scientifiques, il est envisageable d’appliquer ce nouvel outil à n’importe quelle maladie, dès lors qu’un phénotype pertinent peut être modélisé in vitro, y compris la SLA et la maladie d'Alzheimer. « De meilleurs modèles de culture de cellules humaines in vitro vont nous permettre de concevoir et d’améliorer bien plus rapidement les nombreux nouveaux médicaments dont nos patients ont besoin », souligne le Professeur David Fischer, responsable des recherches au Charles River Laboratories

Enfin, signalons qu’il y a quelques jours, une équipe sino-américaine (Université Xi’an et Université Rutgers) a annoncé une avancée majeur dans la régénération du cartilage humain. Ces chercheurs ont en effet mis au point un nano-assemblage en 3D, à base de cellules souches, à délivrer par injection unique, qui permet de stopper la dégénérescence du cartilage et contribue à sa régénération, dans la maladie arthritique. Cette technique ouvre la voie à toute une variété d'applications en ingénierie tissulaire (Voir NSR). Notre pays est également en pointe mondiale dans ce domaine, grâce à de nombreux travaux, notamment ceux menés depuis plus de 10 ans en nanomédecine régénérative sous la direction du professeur Nadia Benkirane-Jessel, au sein de l’Université et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Cette équipe a développé un remarquable implant ostéo-articulaire qui se compose de deux éléments. Le premier est une membrane nanofibreuse, à base de collagène, dotée de nanoréservoirs de facteurs de croissance osseux qui vont permettre la réparation à long terme de l’os. Le second compartiment est une couche d’hydrogel renfermant de l’acide hyaluronique et des cellules souches dérivées de la moelle osseuse du patient qui ont été prélevées, et mises en culture, et favorise la régénération naturelle du cartilage. Cette technique agit comme un sandwich qui permet la régénération totale de l’os et du cartilage de façon naturelle. S’appuyant sur ces travaux, la société Lamina Therapeutics, fondée en 2020, devrait bientôt proposer aux patients ce traitement révolutionnaire pour traiter des lésions du genou. A terme, cette régénération osseuse et cartilagineuse par cellules-souches pourra également être étendue à des lésions de la hanche, et à des indications orthopédiques, maxillo-faciales et parodontales… »

On le voit, après bien des années de tâtonnements et d’expérimentations, la médecine régénérative par cellules-souches est enfin sortie des laboratoires et commence à transformer radicalement le pronostic médical pour de graves maladies. Dans dix ans, cette nouvelle médecine sera largement utilisée pour la régénération de multiples tissus et organes et la restauration de fonctions défaillantes, y compris dans notre cerveau. Notre pays, qui a su se hisser à un niveau d’excellence dans ce domaine de recherche stratégique pour notre avenir, doit évidemment maintenir ses efforts à long terme pour s’imposer dans la vive compétition scientifique mondiale qui se déroule dans ce domaine, porteur d’immenses espoirs pour les malades et d’enjeux industriels et technologiques considérables.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top