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Edito : La sédentarité : un fléau de société méconnu
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Depuis une soixantaine d’années, nos sociétés industrielles ont été traversées par un phénomène de grande ampleur : la réduction massive et continue de la durée globale du temps de travail. De 2200 heures en moyenne par an en 1960, le temps annuel moyen travaillé a diminué de 25 %, passant en 2015 à 1 646 heures. Quant au temps de « loisirs réels », selon le CREDOC, il atteint à présent sept heures et demie par jour, c’est-à-dire, pour beaucoup de salariés, un temps équivalent à celui consacré au travail.
Il a fallu attendre le début de ce siècle pour que la communauté scientifique et médicale et les responsables politiques commencent réellement à étudier et à reconnaître l’ampleur des effets désastreux entraînés, non plus par un travail excessif mais par une inactivité physique croissante. C’est en 2002 que l’OMS a tiré la sonnette d’alarme en révélant que la sédentarité augmentait l’ensemble des causes de mortalité, doublant notamment le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète, d’obésité et augmentant également les risques de cancer, sans oublier les risques accrus de déclin cognitif et de démence. Cette organisation internationale souligne que les deux tiers de la population des pays développés, y compris les enfants, ont un mode de vie sédentaire. L’OMS estime par ailleurs que seuls un quart des jeunes de moins de 15 ans pratiquent au moins une heure d’exercice physique par jour. Le résultat de cette progression constante de la sédentarité dans nos sociétés est que, toujours selon l’OMS, environ 3,2 millions de décès chaque année sont attribuables au manque d’exercice.
En juillet 2016, une vaste étude internationale publiée dans la prestigieuse revue « The Lancet » a même réévalué ce triste bilan et estimé que la sédentarité, si l’on considère toutes les pathologies qu’elle provoque ou aggrave, serait en réalité associée à plus de cinq millions de décès dans le monde chaque année (soit autant que les morts provoqués par le SIDA, la maladie d’Alzheimer et les accidents de la route), ce qui en ferait l’une des principales causes de mortalité au niveau mondial, derrière le cancer (8,5 millions de morts par an) et les maladies cardiovasculaires (8 millions de morts par an).
Selon cette étude, la sédentarité coûterait au total (dépenses de santé et pertes économiques) au moins 67,5 milliards de dollars chaque année. Une autre étude, de type méta-analyse, (Voir Eurekalert) portant sur plus d’un million de personnes suivies pendant 18 ans, a montré que les individus qui avaient le moins d’activités physiques voyaient leurs risques de décès, indépendamment des autres facteurs de risque, augmenter de 58 % …Ces mêmes recherches soulignent toutefois qu’il est possible d’ annuler le risque accru de décès lié à une sédentarité excessive (une position assise huit heures par jour), en faisant au moins une heure d'exercice quotidien.
Selon le Docteur I-Min Lee (Harvard Medical School de Boston), ce ne sont pas moins de 6 % des maladies cardio-vasculaires, 7 % des malades atteints de diabète de type 2 qui sont causées par l'inactivité physique.
En 2014, une nouvelle étude américaine dirigée par le Docteur Deborah Rohm Young a montré que le fait de rester assis plus de 5 heures par jour en dehors des heures de bureau augmente de 34 % le risque d'insuffisance cardiaque par rapport à ceux qui ne sont assis chez eux que deux heures par jour. Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont suivi pendant plus de dix ans les habitudes de vie de 84 000 hommes, âgés de 45 à 69 ans et vivant en Californie.
Mais si le manque d’activité physique a été associé avec le diabète, l'obésité et les maladies cardiovasculaires, on sait moins qu’elle augmente également sensiblement les risques de développer certains cancers, comme l’a montré en 2014 une vaste étude publiée par le Journal de l’Institut du Cancer (Voir JNCI).
Ces travaux, dirigés par Daniela Schmid Michael F. Leitzmann, s’appuient sur une méta-analyse compilant plus de quatre millions de patients et analysant 70 000 cas de cancers diagnostiqués. Ces travaux montrent qu’un mode de vie sédentaire augmente de 24 % les risques de développer un cancer du côlon, de 32 % un cancer de l'endomètre, et de 21 % un cancer du poumon. Pour les volontaires les plus inactifs, ceux passant les plus de temps devant les écrans, les risques d’avoir un cancer du côlon augmentaient même de 54 %... Autre enseignement de cette étude : chaque heure supplémentaire passée assis durant la journée augmente le risque de cancer du côlon de 4 % et de cancer de l'endomètre de 5 %.
Une autre information, peu reprise dans les médias, car tombée fin août, devrait nous faire réfléchir : les capacités physiques de nos enfants sont en moyenne sensiblement moins bonnes que ne l’étaient celles de leurs parents et de leurs grands-parents.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont utilisé un test d’endurance mis au point au début des années 1980 par Luc Léger, professeur de physiologie de l’exercice à l’Université de Montréal. Ce test consiste à courir sur une piste étalonnée tous les 20 mètres. Les volontaires doivent accomplir le plus grand nombre d’allers-retours en essayant de suivre un rythme de course qui s’accélère toutes les minutes, à chaque signal sonore.
En comparant ensuite une énorme quantité de données provenant d’un demi-million d’enfants et adolescents de 9 à 17 ans, ces scientifiques ont pu calculer de manière fiable que la capacité aérobie, c’est-à-dire l’aptitude à maintenir une certaine intensité d’exercice sur une période de temps prolongée, avait régressé, en moyenne, de 0,35 % par an.
Cette étude confirme pleinement les recherches réalisées en 2003 par le chercheur australien Grant Tomkinson (Université d’Australie-Méridionale, à Adélaïde). Celui-ci avait pu calculer, en mesurant la distance que des enfants de 9 à 17 ans pouvaient courir en un temps donné, que ceux-ci mettaient une minute et demi de plus pour courir une distance de 1 600 mètres, par rapport à leurs ainés de 1973. Selon cette étude, la cause principale de cette baisse de performances serait liée à l’augmentation de la sédentarité (Etude de l'IJBNPA).
Cette évolution tendancielle très préoccupante a d’ailleurs été récemment confirmée par une étude que l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anses) a publiée en février 2016, un rapport dans lequel elle constate que la pratique d’activités physiques est insuffisante. La baisse des performances sportives des enfants s’explique en premier lieu par la progression du surpoids et de l’obésité, mais plus encore par l’augmentation de la sédentarité.
Selon l’Anses, 71 % des adolescents de 15 à 17 ans sont considérés comme sédentaires, c’est-à-dire qu’ils passent plus de quatre heures quotidiennes assis ou couchés pendant la journée, hors temps scolaire. Or, prévient l’Anses, les enfants en bonne santé ont tendance à devenir des adultes en bonne santé. Le sport dans l’enfance et l’adolescence prévient des maladies et agit positivement sur le métabolisme. Quant aux jeunes enfants, 80 % d’entre eux font moins d’une heure d’activité physique par jour, alors qu’ils devraient faire au moins trois heures de sport quotidien, selon la communauté scientifique et médicale.
Mais les ravages de l’inactivité physique ne touchent pas seulement le corps mais affectent également le cerveau. En 2014, une étude menée par le Docteur J. Carson Smith, chercheur en kinésiologie à la School of Public Health (University of Maryland) a ainsi pu montrer qu’une activité physique, même modérée, pouvait ralentir le rétrécissement de l'hippocampe, une aire cérébrale fortement impliquée dans la mémoire et l'orientation spatiale, qui est la cible de la maladie d'Alzheimer.
Ces chercheurs ont réparti les volontaires de l’étude en quatre cohortes composées d'adultes âgés de 65-89 ans, qui avaient des capacités cognitives normales. Ces groupes ont été constitués en tenant compte à la fois du risque génétique de développer la maladie d’Alzheimer et du niveau d'activité physique des participants. Au cours des 18 mois qu’a duré l’étude, ces scientifiques ont mesuré régulièrement, par IRM, le volume de l’hippocampe des volontaires.
Le résultat est édifiant : seul le groupe composé de sujets à haut risque génétique pour la maladie d'Alzheimer, et qui n'avaient pas d'activité physique, a connu une baisse en volume de l’hippocampe (3 %). En revanche, aucune diminution du volume de l’hippocampe n’a été observée chez les trois autres groupes, y compris celui composé de sujets à risque génétique pour la maladie d'Alzheimer mais qui pratiquaient un exercice physique régulier…
Le Professeur Kirk Erickson, psychologue à l'Université de Pittsburgh, et coauteur de ces travaux, souligne que « Compte tenu du fait qu’il n’existe aujourd’hui pas de traitements indiqués pour préserver le volume de l'hippocampe chez ces patients, nos travaux montrent qu’il est possible d’agir de manière préventive pour retarder sensiblement l’apparition de symptômes de démence, chez les personnes âgées qui ont un risque génétique accru ».
Cette étude remarquable confirme donc pleinement d’autres travaux qui avaient déjà montré qu’une l'activité physique modérée chez les seniors atteints d'un déclin cognitif léger améliorait leur fonctions cognitives et notamment leur mémoire. Une autre étude finlandaise, publiée par l'Université de Jyväskylä en mars 2015, a par exemple montré, en analysant le données provenant de dix paires de jumeaux masculins adultes, âgés de 32 à 36 ans, que les jumeaux qui avaient pratiqué le plus d'activités physiques durant les trois années précédentes possédaient un plus large volume de matière grise au niveau du striatum et du cortex préfrontal, deux aires cérébrales particulièrement importantes pour les fonctions cognitives. Citons enfin une étude réalisée en 2013 par l'Université de Dundee en Écosse qui a suivi 4755 adolescents et a établi une corrélation entre la pratique d’une activité physique et le niveau en anglais, mathématiques et sciences.
Reste à comprendre par quels mécanismes l’activité physique peut à ce point avoir un effet bénéfique sur le bon fonctionnement de notre cerveau et la prévention de pathologies aussi lourdes que la maladie d’Alzheimer. Il semble, selon d’autres travaux réalisés par des chercheurs de l’Université Western Australia de Perth et de l’Institut de recherche Baker sur le diabète et le coeur de Melbourne, qu’une sédentarité excessive entraîne une dérégulation du taux de glucose dans l’organisme, ce qui finit par endommager les cellules nerveuses et accroître les risques de démence.
Il y a quelques semaines, des chercheurs allemands de l’Université Goethe de Francfort ont exploré pour la première fois de façon très précise comment l’exercice affecte le métabolisme cérébral et ont examiné les effets de l’exercice régulier pendant trois mois sur le métabolisme cérébral et la mémoire de 60 participants âgés de 65 à 85 ans. Au terme de cette étude, ces scientifiques ont pu observer que l’exercice physique régulier empêchait une augmentation des taux de choline, un composé de la vitamine B dont la teneur augmente chez les malades d’Alzheimer.
A la lumière de ces études et découvertes récentes, la communauté scientifique souligne à quel point il est important de mieux distinguer l’activité physique et la sédentarité. Comme le souligne le Docteur Graham Colditz, de l'École de médecine de l'Université de Washington, « D’après ces résultats, il ne suffit pas d'être simplement actif, il est également important de s'asseoir moins ». Selon ce spécialiste reconnu, il faut multiplier les occasions, tout au long de la journée, de bouger et de pratiquer de l’exercice. Concrètement, cela veut dire se lever au moins une fois par heure pour parcourir quelques dizaines de mètres à pied, marcher au moins 15 minutes de manière intensive pendant sa pause-déjeuner ou encore prendre systématiquement l’escalier au lieu de l’ascenseur et stationner volontairement sa voiture loin de son bureau…
Il est frappant de voir à quel point, pendant plus d’un demi-siècle, le rôle central de la sédentarité comme facteur intrinsèque de risque dans l’apparition de nos grandes maladies de société, cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète et pathologies neurodégénératives, a été sous-estimée, voire tout simplement ignorée par nos responsables économiques et politiques. A cet égard, il faut rappeler qu’il a fallu attendre 2015 en France pour qu’enfin un médecin puisse prescrire une activité physique par ordonnance.
Afin de lutter enfin efficacement contre ce fléau humain que représente la sédentarité, il est urgent de modifier radicalement la place faite à l’activité physique, dans son ensemble, au sein de notre société. Il faut notamment admettre que la notion d’activité physique va bien au-delà de la simple pratique d’un sport et englobe toute forme de « non-sédentarité », c’est-à-dire de mouvement. Encore largement considérée comme subsidiaire à l’école, comme au Collège, au Lycée et à l’Université, l’activité physique, sous toutes ses formes, doit être placée au cœur du cursus scolaire.
Mais le monde du travail et de l’entreprise doit également accomplir sa révolution en la matière et modifier en profondeur son organisation et ses valeurs en intégrant pleinement la pratique de l’exercice physique au bureau et dans l’entreprise. Enfin, l’Etat et les collectivités locales doivent également repenser leurs politiques publiques, notamment en matière de déplacements et d’urbanisme, de manière à favoriser la pratique généralisée d’une l’activité physique adaptée à tous les âges.
Ayons bien conscience que le coût budgétaire et financier d’un telle politique globale de lutte contre la sédentarité, à tous les niveaux, sera ridiculement faible au regard des immenses bénéfices médicaux, sanitaires, sociaux et humains qui pourront rapidement en résulter !
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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