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Edito : Les produits chimiques sont-ils responsables de la baisse de la fertilité masculine ?

Notre environnement se compose de plus de 100 000 substances chimiques parmi lesquelles très peu (moins de 5000) ont fait l'objet d’évaluations scientifiques, biologiques et toxicologiques approfondies. Quant à la production mondiale de produits chimiques, elle a été multipliée par cent en 60 ans, passant de 5 millions de tonnes vers 1950 à près de 500 millions de tonnes aujourd'hui ! Nos sociétés développés sont donc confrontées à un double défi : celui des conséquences quantitatives et qualitatives pour la santé humaine  de cette "révolution" chimique qui a bouleversé nos modes de vie.

Depuis 2007, une nouvelle réglementation européenne, la directive Reach (enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances Chimiques), est entrée progressivement en vigueur et sera complètement opérationnelle en 2013. Fruit de plusieurs années d'âpres négociations avec l'industrie, ce nouveau cadre prévoit à terme un enregistrement et une évaluation scientifique et médicale complète de toutes les substances chimiques fabriquées, importées et utilisées sur le territoire de l'Union Européenne.

Bien que cette directive représente un pas considérable vers un contrôle plus strict et une connaissance plus approfondie du degré de nocivité des milliers de molécules de synthèse qui composent les multiples produits et objets que nous utilisons quotidiennement, la communauté scientifique se pose de plus en plus de questions sur les effets à très faible dose et à long terme sur l'homme de plusieurs familles de produits chimiques largement répandus dans notre environnement.

Il y a en effet une vingtaine d'années, une étude danoise dirigée par le Professeur Neils Skakkebaek avait fait grand bruit en montrant que le nombre de spermatozoïdes chez les hommes avait diminué de moitié en 50 ans, sans qu'on puisse clairement en identifier les causes. Cette étude a été confirmée par plusieurs autres qui montrent une baisse générale et constante de la fertilité masculine en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Selon le Professeur Jouannet, chef du service de biologie de la reproduction à l’hôpital Cochin à Paris, la concentration spermatique en France aurait diminué de 2 % par an entre 1970 et 1995.

Selon une hypothèse scientifique n'ayant jamais pu être formellement démontrée, ce phénomène inquiétant pourrait être provoqué par la présence accrue dans notre environnement de substances appelées "perturbateurs endocriniens", capables, même à très faible dose, de produire des effets biologiques néfastes chez l'homme.

Or, il y a quelques semaines, une étude publiée par la revue "Endocrine Reviews" (Voir article), a rassemblé la synthèse la plus complète à ce jour sur cette question. Ce travail de Bénédictin réalisé sous la direction de Laura N. Vandenberg de l'Université de Boston, s'est appuyé sur plusieurs centaines d'études réalisées sur l'homme et l'animal. Il a permis de montrer que certaines molécules de la famille des perturbateurs endocriniens ont bien des effets négatifs sur la santé humaine, même lorsqu'elles sont employées à des doses extrêmement faibles, généralement considérées par la communauté scientifique comme inoffensives chez l'homme.

Selon ce travail scientifique de premier plan, il existerait au moins trente molécules dont les effets sur l'homme sont largement sous-estimés. On trouverait notamment parmi ces substances le bisphénol A et les phtalates, des produits présents dans la plupart des matières plastiques.

S'agissant du bisphénol A, plusieurs études ont montré chez l'animal que l'exposition à de faibles doses de bisphénol A peut entraîner une puberté précoce chez la femelle ainsi qu'une augmentation des risques de cancer de la prostate et une diminution de la fertilité. D'autres études récentes mettent par ailleurs en cause le rôle du bisphénol A comme facteur de risque accru dans l'apparition du diabète de type 2, de l'obésité et des maladies cardio-vasculaires.

A la suite de ces publications scientifiques, plusieurs pays ont pris des mesures de restriction et d'interdiction du bisphénol A. En 2008, le Canada a ainsi interdit les biberons en polycarbonate contenant du bisphénol A. En  2010, une étude américaine a montré que les hommes présentant un taux détectable de BPA dans l'urine avaient un risque trois fois plus élevé d'être affectés par une diminution de concentration de leur sperme.

Enfin, en France, des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Toulouse ont pu démontrer que le bisphénol A pouvait pénétrer dans l'organisme non seulement par les aliments mais également par la peau.

Finalement, une loi a été votée fin 2011 pour interdire le bisphénol A (BPA) dans les contenants alimentaires à partir de 2014, cette date limite étant ramenée à 2013 pour les produits destinés aux enfants de moins de 3 ans.

S'agissant des phtalates, une étude française réalisée conjointement  par les équipes de Bernard Jégou (Institut de recherche sur la santé, l'environnement et le travail, Inserm U1085, Rennes), de Daniel Zalko (Institut national de la recherche agronomique, Toulouse) et de Bruno Le Bizec (Laboratoire d'étude des résidus de contaminants dans les aliments, Ecole nationale vétérinaire, Nantes) a montré pour la première fois que l'exposition des testicules de l'homme adulte à ces substances provoque une inhibition de la production de testostérone, l'hormone masculine. Les phtalates sont présents dans de très nombreux produits en PVC mais également dans certains produits cosmétiques et alimentaires.

Selon cette étude, l'exposition aux phtalates pourrait diminuer jusqu'à 30 % la production de testostérone chez l'homme, ce qui aurait notamment pour effet une baisse de la fertilité. Or, des études réalisées dans plusieurs pays européens ont montré une exposition moyenne de la population supérieure à la dose journalière maximale préconisée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

A la lumière de ces récentes études, nous devons tirer, sans céder au catastrophisme ou à la technophobie ambiante, deux enseignements majeurs. Le premier concerne la nécessité d'un cadre réglementaire adapté. A cet égard, l'entrée en vigueur de "Reach" constitue une remarquable avancée parce que ce cadre très novateur inverse la charge de la preuve. Désormais, ce sera aux industriels concernés de prouver, études scientifiques à l'appui, que les nouveaux produits chimiques qu'ils mettent sur le marché sont bien sans danger pour l'homme.

Mais au-delà de cet impact juridique et légal, ces nouvelles découvertes scientifiques vont très probablement provoquer une rupture conceptuelle et méthodologique majeure dans les approches et méthodes d'études et d'évaluations des nouvelles substances chimiques qui viennent s'ajouter à notre environnement. En utilisant toutes les ressources des mathématiques et de la modélisation numérique, les scientifiques vont en effet devoir construire de nouveaux outils théoriques et analytiques qui intègrent ces découvertes et permettent une évaluation de l'impact biologique réel sur la santé humaine des produits chimiques et de leurs interactions complexes.

Il y a là un immense champ de recherche transdisciplinaire qui s'ouvre pour les prochaines décennies mais cette nécessaire révision conceptuelle ne doit pas nous faire oublier les immenses progrès que nous devons, dans tous les domaines d'activités humaines, à la chimie de synthèse sans laquelle nous continuerions à vivre, faut-il le rappeler, comme au Moyen Age !

Nous devons donc reconnaître, affronter et intégrer dans nos champs de connaissance scientifique et dans notre réflexion démocratique cette complexité biochimique qui est la contrepartie inévitable mais maîtrisable du prodigieux bond en avant que l'humanité a effectué depuis deux siècles.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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