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Edito : La préservation des forêts tropicales est vitale dans la lutte contre le réchauffement climatique

On estime, selon les dernières données disponibles, que la déforestation représente entre 20 et 25 % des émissions mondiales de CO2 liées aux activités humaines (plus de 30 milliards de tonnes par an en 2010). Les émissions de carbone liées à l’exploitation agricole et à la déforestation massive et sans contrôle ont augmenté de presque 50 % depuis 40 ans et il est capital, comme le souligne le GIEC et l'ensemble de la communauté scientifique, de réduire massivement les émissions de CO2 issues de la déforestation pour stabiliser le climat d'ici le milieu de ce siècle.

L'ensemble des forêts tropicales, en zone sèche et humide, couvre environ 17 millions de km2, dont environ la moitié en Amérique du Sud, 30 % en Afrique et 20 % en Asie. Les forêts tropicales stockent près de la moitié des 960 milliards de tonnes de carbone présents dans l'ensemble des massif forestiers et on sait à présent, notamment grâce aux travaux remarquables de Philippe CIAIS, qu'un km2 de forêt tropicale permet en moyenne de stocker 35 000 tonnes de carbone en incluant le carbone stocké dans le sol : 12 000 km2 de forêts tropicales peuvent donc stocker l'équivalent des émissions annuelles de CO2 de la France (400 millions de tonnes de CO2) !

Une étude effectuée par le laboratoire américain réputé Lawrence Livermore (LLNL) en Californie et publiée en 2007 dans le PNAS a montré que la préservation de ces forêts tropicales constitue un facteur tout à fait déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cette étude démontre clairement que seules les forêts tropicales jouent un rôle majeur pour  ralentir le réchauffement global car, d'une part, elles constituent d'énormes "puits de carbone" qui piègent le gaz carbonique et, d'autre part, elles provoquent également la formation abondante de nuages qui participent de manière très active au refroidissement du climat.

Selon une autre étude publiée également dans le PNAS en 2008, il est par ailleurs possible, pour un coût modique à l'échelle de la planète (un milliard de dollars), de réduire de 10 % la déforestation tropicale et d'éviter ainsi l'émission de plus d'un demi-milliard de tonnes de CO2 d'ici 2035. Selon cette étude, le rapport coût/efficacité d’une telle mesure de préservation de la forêt tropicale (seulement deux dollars pour chaque tonne de CO2 évitée) est bien supérieure à celui des technologies propres mises en œuvre par les pays développés pour limiter à grand frais leurs émissions de CO2, qu'il s'agisse du développement des énergies renouvelables ou de la séquestration de carbone.

Cette étude confirme donc les conclusions du très sérieux rapport de McKinsey, publié en janvier 2009, qui montrent que les mesures de préservation des forêts tropicales et de restauration des sols coûteraient en moyenne seulement 3 à 4 euros par tonne de CO2 évitée, bien moins en tout cas que le développement des énergies renouvelables ou la séquestration de carbone (de 20 à 60 euros la tonne). Néanmoins, il convient de ne pas opposer ces différents leviers mais de les utiliser de manière complémentaire en commençant toutefois par actionner ceux qui sont les plus efficaces et les moins coûteux pour nos économies, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Enfin, une vaste étude publiée le 14 juillet 2011 dans la revue "Science" et portant sur la période 1990-2007 (A Large and Persistent Carbon Sink in the World’s Forests) confirme que les forêts du monde entier absorbent en effet un tiers du CO2 émis par les combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz). Cette étude montre que si on arrêtait la déforestation, les forêts existantes absorberaient alors la moitié des émissions de CO2 issues des combustibles fossiles, soit environ 4 milliards de tonnes de carbone par an, ce qui correspond à l’objectif de réduction des émissions humaines de carbone que nous devons atteindre d’ici 2050 si nous voulons éviter un dérèglement majeur et incontrôlable du climat.

Cette étude confirme que les forêts mais également la replantation d'arbres sur des surfaces auparavant dévolues à l'agriculture ne sont pas seulement des réservoirs immenses de carbone mais qu’elles absorbent également très efficacement le CO2 produit par les activités humaines.

Pour étudier le rôle des arbres dans le cycle du carbone, les chercheurs ont étudié des données datant de 1990 à 2007 puis les ont analysées. Ils ont alors pu montrer que les différents types de forêts, boréales, tropicales et tempérées, absorbent 2,4 milliards de tonnes de carbone par an. L'étude souligne que la densité de carbone stockée dans une forêt tropicale et dans une forêt boréale est similaire mais que ce stockage ne se fait pas de la même façon : environ 60 % du CO2 est retenu dans le bois pour les forêts tropicales et 30 % dans le sol alors que ce stockage est inversé dans les forêts boréales (un majorité du carbone est stocké dans le sol et une minorité dans le bois).

Ces études scientifiques récentes montrent que les économies rendues possibles par une meilleure gestion de la forêt, en exploitant notamment les bénéfices de la réduction de la déforestation, sont bien plus importantes qu’on ne l’imaginait et que la préservation des forêts tropicales est bien le moyen le plus efficace et le moins onéreux de lutte contre le réchauffement climatique. Il faut en outre rappeler le rôle essentiel des forêts tropicales, et plus particulièrement des forêts denses humides, dans la préservation de la biodiversité : ces forêts abritent plus de 80 % de la diversité spécifique terrestre. Aujourd’hui, cette richesse est menacée et selon la FAO, le quart de la diversité biologique de la planète risque de disparaître d’ici à 2020.

Dans son fameux rapport de 2006, qui fait toujours référence en la matière, Nicolas Stern avait évalué à moins de 10 milliards d'euros par an à l'échelle de la planète le coût mondial nécessaire pour réduire de moitié la déforestation d’ici à 2030. Enfin le GIEC, dans son dernier rapport, souligne que : « 65 % du potentiel d’atténuation globale du carbone se situe sous les tropiques et 50 % de l’ensemble pourrait être réalisé en réduisant les émissions de déforestation ».

Depuis 5 ans, l’idée d’émettre des REDD (réduction d’émissions issues de la déforestation et de la dégradation tropicale) sur les marchés du carbone fait lentement mais sûrement son chemin. La Bolivie a été la première à présenter des résultats mesurables et certifiés, dans le cadre des MDP (Mécanismes de développement propre du protocole de Kyoto) sur le projet pilote du Parc Noël Kempff.

Depuis le sommet mondial de Bali sur le climat, le principe de la Réduction des Emissions liée à la Déforestation et la Dégradation des forêts tropicales (REDD) a été enfin admis et intégré dans les difficiles négociations sur la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre qui préparent "l'après Kyoto". Ce concept des REDD est très novateur car il permet simultanément, et de manière synergique, de lutter contre le changement climatique, de réduire la pauvreté des populations locales et de sauvegarder la biodiversité tout à fait remarquable de ces écosystèmes très anciens. Il s'agit de persuader les pays concernés, souvent pauvres ou en voie de développement, que les compensations financières qu'ils peuvent espérer, s'ils acceptent de s'engager sur la préservation à long terme de leurs forêts tropicales, peuvent compenser largement le manque à gagner à court et moyen terme lié à l’exploitation de ces précieuses forêts.

On voit donc que, peu à peu, la mise en place de mécanismes internationaux pour fournir une compensation aux pays qui protégeraient leurs forêts devient une réalité. Mais un long chemin reste à parcourir pour que ce principe "gagnant-gagnant" de préservation des forêts tropicales devienne prioritaire au niveau mondial et soit, au même titre que le développement des énergies renouvelables et des technologies propres, un des axes majeurs de la politique européenne en matière d’environnement et d’aide au développement.

Corrélativement à la mise en œuvre de cette nouvelle vision stratégique mondiale globale qui lie la lutte contre le réchauffement climatique et le développement local, Il est également nécessaire de poursuivre le travail d’évaluation de la valeur économique de la nature, en stock et en flux, pour intégrer dans l’ensemble des documents comptables et budgétaires publics et privés, les valeurs financières correspondant aux biens et services économiques et écologiques irremplaçables rendus par la nature.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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