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Edito : Où en sera la science en 2055 ?

A quelles percées scientifiques et techniques doit-on s'attendre dans les 50 ans à venir ? Pour répondre à cette question, l'Institut pour le futur et la revue IEEE Spectrum ont interrogé 700 membres de l'IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers), dans le cadre d'une grande “Enquête sur l'avenir de la science et de la technolgie”.

Parmi les prévisions les plus consensuelles, on trouve des objets et capteurs intelligents, des nanomachines et nanorobots pour réparer et soigner le corps humain, des réseaux optiques "térabits" et des accès internet à un gigabit, des systèmes de traduction automatique universelle, des microprocesseurs de taille nanométrique ou encore le remplacement de nos lampes à incandescence par des diodes.

Autres prévisions considérées comme probables à 15 ans, la possibilité de disposer de notre profil génétique personnel et la faculté de prévoir les catastrophes naturelles. Dans le domaine spatial les spécialistes interrogés pensent également qu'on aura découvert, d'ici 20 ans, des planètes semblables à notre terre et peut-être des traces de vie extraterrestre.

En revanche, les experts de l'IEEE (majoritairement américains) ne croient guère au développement massif de robots humanoïdes chargés d'assister les futures personnes très âgées. L'ordinateur quantique n'est pas non plus considéré comme probable, même d'ici 2050. On mesure ici tout le poids du facteur culturel (les mêmes prévisions sont considérées comme tout à fait probables dans des pays comme le Japon ou la Corée) mais aussi des champs disciplinaires auxquels appartiennent les experts interrogés car la perspective de l'ordinateur quantique est admise sans problème par les scientifiques du New Scientist, plus ouverts et moins frileux dans leurs prévisions que leurs collègues de l'IEEE.

En matière énergétique, l'IEEE croit aux piles à combustibles dans les voitures d'ici 20 ans mais pas au basculement dans l'économie de l'hydrogène ni au développement massif de l'énergie solaire. Là encore, on constate un conservatisme nettement plus marqué chez les experts de l'IEEE.

En conclusion, les experts de l'IEEE articulent leurs prévisions autour de cinq grands axes thématiques :

Des capacités illimitées de traitement et de transmission, gérées par une économie de l'abondance ;

Les réseaux de capteurs et les objets "intelligents"

Des infrastructures légères, standards, rapides à déployer, à mettre à niveau et à démanteler ;

L'intégration des nanotechnologies, des systèmes micro-électromécaniques (MEMs) et des biosystèmes ;

La “biologie étendue”, ou la convergence des biotechnologies et de l'électronique pour intervenir sur la vie elle-même.

Il est intéressant de comparer ces prévisions de l'IEEE avec celles, nettement plus audacieuses, publiées par le New Scientist qui a demandé pour son 50e anniversaire à 70 des “plus brillants scientifiques” du monde (principalement anglo-saxons) de prévoir l'évolution des sciences et des techniques à l'horizon 2055.

En matière de cosmologie et de physique théorique, le Prix Nobel Steven Weinberg pense que, d'ici 2055, les physiciens auront élucidé la nature et l'origine de la matière noire et de l'énergie répulsive "sombre" (qui s'oppose à la "gravitation") et auront construit un nouveau cadre théorique qui intègre de manière cohérente la relativité générale et la mécanique quantique.

Plusieurs prévisions ressortent fortement des contributions : tout d'abord, la conviction (c'est notamment l'avis de Paul Davis et de Freeman Dyson) qu'on aura détecté un grand nombre de planètes semblables à la terre dans l'univers, et des traces de vie extraterrestre qui montrent que l'apparition de la vie n'est pas un phénomène unique et limité à la Terre. Steeve Squyres est du même avis et pense « qu'en tenant simplement compte du nombre de planètes similaires à notre terre qui doivent exister dans notre galaxie on peut raisonnablement penser que la vie est apparue et s'est développée ailleurs »

Ensuite, et contrairement à ce que pensent les experts de l'IEEE, les scientifiques interrogés par le New Scientist (Anton Zeilinger notamment) pensent que, d'ici 20 ans, nous saurons produire et faire communiquer des ordinateurs quantiques, ce qui ouvrira des possibilités de calcul sans précédent, utiles notamment pour comprendre les mécanismes physiques et biologiques complexes, pour réaliser des simulations à grande échelle, pour manipuler d'énormes volumes de données ou encore, pour sécuriser les communications. Ces experts pensent qu'il sera également possible de modéliser de façon fine le fonctionnement du cerveau et de reproduire ou manipuler les comportements, perceptions et souvenirs.

Ray Kurzweil et Igor Aleksander imaginent même, dès 2029, des ordinateurs capables de reproduire le fonctionnement du cerveau humain et disposant d'une conscience d'eux-mêmes. D'une manière générale, les scientifiques interrogés pensent que les processus informatiques devraient devenir moins étroitement mécaniques et déterministes pour se rapprocher de la manière dont notre cerveau traite les perceptions, par approximations, évaluations et inférences, ce qui permettrait par exemple aux robots de reconnaître un objet sans l'avoir jamais rencontré auparavant, une condition indispensable pour qu'ils puissent jouer un grand rôle dans nos vies quotidiennes.

En matière de réseaux, Bruno Latour imagine que l'on saura visualiser les connexions entre les organisations humaines et les objets techniques, et comprendre la dimension humaine des systèmes techniques. La communication émotionnelle directe grâce aux interfaces neuroniques est également envisagée et Daniel Pauly imagine même un appareil capable de détecter et de nous communiquer les émotions et les “pensées” des animaux.

Comme les experts de l'IEEE, les scientifiques interrogés par l'American Scientist sont persuadés que, d'ici 20 ans, on pourra faire séquencer son propre génome pour moins de 1000 dollars, ce qui permettra de détecter nos prédispositions à certaines maladies et d'appliquer des traitements personnalisés et préventifs. Devant la perspective de devenir tous centenaires, nous ne nous demanderons plus “combien de temps pouvons-nous vivre ?” mais, comme le pense Francis Collins, "combien de temps voulons-nous vivre" ?

Edward Wilson, pour sa part, pense que la combinaison de la systémique, de la biologie et de l'informatique permettra d'établir une carte globale de la

biodiversité et des espèces, dont beaucoup sont encore inconnues.

En s'appuyant sur la possibilité pour chacun d'entre nous de visualiser sur le Net l'ensemble de notre planète, Jane Goodal prévoit pour sa part l'émergence d'une véritable conscience écologique planétaire qui deviendra un puissant contre-pouvoir économique et politique oeuvrant en faveur du développement durable.

La prospective est un art redoutable et il est frappant de constater à quel point, à l'exception de quelques génies visionnaires, comme Jules Verne, Von Neumann ou Feynman, les scientifiques ont pu se tromper sur l'avènement ou le destin des grandes inventions. De grands esprits ont affirmé très sérieusement en leur temps que le train tuerait tous ses passagers au delà de 40 Km/heure ou qu'un engin plus lourd que l'air ne pourrait jamais voler.

Au moment de leur invention, le téléphone, l'automobile et la radio ont été considérés par beaucoup d'esprits brillants de l'époque comme des gadgets inutiles et sans avenir ! Plus près de nous, il y a trente ans, on imaginait volontiers des voitures volantes propulsées par des piles nucléaires, des vacances sur la Lune ou des repas concentrés sous forme de pilules mais personne ou presque n'a prévu l'extraordinaire révolution numérique de l'informatique personnelle, de l'Internet et du mobile.

On peut cependant se risquer à prévoir que, d'ici 2055, la convergence conceptuelle mais aussi opérationnelle entre les sciences de la matière (physique et chimie notamment), les technologies de l'information et les sciences du vivant va s'accélérer et redéfinir de manière radicale les frontières séculaires entre l'esprit et la matière, le vivant et l'inanimé, le naturel et l'artificiel. Pour la première fois depuis l'aube des temps, l'homme va sortir de son enveloppe corporelle et s'affranchir de ses limites spatio-temporelles pour explorer de nouvelles dimensions et expérimenter de nouveaux modes de communication avec tous les autres systèmes, vivants ou non, qui composent son environnement.

Doté de ces nouveaux pouvoirs immenses, l'homme va pouvoir développer une intelligence et une conscience collective au niveau planétaire qui ouvrent de grands espoirs mais il aura également un pouvoir de nuisance et de destruction qui doit nous interroger et nous conduire à replacer la sagesse et l'éthique au coeur de notre réflexion, de nos projets scientifiques et de notre redéfinition du progrès.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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