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Le monde en 2,7 dimensions

Qu'y a-t-il de commun entre nos poumons, le béton high-tech et certains murs antibruit sur le bord de l'autoroute ? Réponse: «l'éponge de Menger». Il s'agit d'un concept mathématique tout droit sorti de l'imagination féconde d'un certain Karl Menger (1902-1985), un mathématicien américain d'origine autrichienne. Sa forme n'est pas sans rappeler celle de son homonyme ménager : un cube percé d'une multitude de pores, tous connectés les uns aux autres. Une curiosité née au début du siècle, qui inspire aujourd'hui pneumologues, constructeurs d'automobiles ou encore compagnies de travaux publics. A l'origine de ce pavé poreux, une recherche de l'impossible. Peut-on obtenir une surface infinie dans un volume fini ? Oui, a répondu le mathématicien viennois.

Si l'on considère un cube, la superficie qui lui est associée est celle des six côtés qui le composent. A volume plus grand, surface plus étendue, l'argument semble entendu. Comment augmenter l'une sans toucher à l'autre ? Karl Menger propose une recette infaillible : si l'on partage chacune des arêtes en trois parties égales, chaque face sera formée d'un damier de neuf carrés. Commençons par vider celui du milieu. En ajoutant les parois de cette partie évidée, la superficie de la structure est plus grande que celle du cube d'origine. De ce fait, nous augmentons la surface, sans faire varier le volume... Continuons l'opération : chacun des huit carrés restants est divisé en un minuscule damier de neuf, dont la figure centrale est à nouveau évidée... et ainsi de suite, jusqu'à atteindre des portions microscopiques.

A force de creuser dans le volume de départ, la surface ne cesse d'augmenter, certes d'une quantité de plus en plus petite, mais... sans aucune limite. Au final, c'est une dentelle tridimensionnelle qui ne déborde pas du cube d'origine. La dimension d'un tel objet ne peut pas être un nombre entier (1, 2 ou 3), elle est comprise entre 2 et 3... De la même manière, la trouvaille de Menger, scrutée sous toutes les coutures, accuse une dimension de 2,7. Au début des années 1970, Benoît Mandelbrot, mathématicien français d'origine polonaise, donne une dimension nouvelle à ces différentes démarches en les intégrant dans une théorie globale, dite des «fractales» (du latin fractus, brisé). Celles-ci foisonnent dans la nature, depuis la structure en double hélice des brins d'ADN jusqu'aux montagnes ou encore la côte naturelle de Bretagne, une ligne de faille, un nuage, un fleuve ou la répartition des galaxies. En outre, ces objets présentent une autre particularité : leur autosimilarité.

Chaque partie a une structure semblable à celle de l'ensemble, exactement comme si un détail représentait, à une plus petite échelle, la totalité. Le chou-fleur en est une bonne illustration. Les échanges entre deux milieux biologiques séparés par une membrane sont également conditionnés par la surface de contact. Commence alors la deuxième vie des fractales : les physiciens s'en sont emparés pour inventer des objets de la vie quotidienne, améliorer le rendement d'une foule d'autres et comprendre le fonctionnement de certains organes humains comme les poumons. Les alvéoles pulmonaires sont l'exemple type de structure fractale. Elles présentent une très grande surface pour un volume limité : en étudiant les lois de la diffusion à travers une surface aussi irrégulière, l'équipe tente de comprendre l'oxygénation du sang.

Autre application étonnante : les gratte-ciel. Des tours de 500 mètres de hauteur pourront être érigées grâce à un ciment de structure fractale, imaginé au sein du laboratoire PMC par Jean-Pierre Korb et développé par le groupe des Ciments Lafarge. «Un béton traditionnel a des grains de différentes tailles et peut supporter 30 MPa, c'est-à-dire le poids de 3 millions de kilos par mètre carré. Un critère qui détermine l'épaisseur d'un pont, par exemple», précise le chercheur. Le béton dit «de poudre réactive» - la toute dernière nouveauté - peut résister à plus de dix fois cette charge... Le secret de ce matériau hyper résistant ? Sa structure fractale : les grains qui le composent ont tous la même taille, ce qui lui octroie la propriété de présenter la même forme à différentes échelles. Avec ce béton high-tech, place aux ouvrages d'art effilés comme des lames d'acier tendues entre deux rives et aux gratte-ciel susceptibles de s'élever à des hauteurs dix fois supérieures à celles de nos bâtiments d'aujourd'hui. Les fractales n'ont pas fini d'enflammer l'imagination des mathématiciens et des physiciens.

Express

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