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Edito : L'immunothérapie confirme son formidable potentiel contre les cancers

L’édition 2025 de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology), qui s'est tenue du 30 mai au 3 juin dernier à Chicago, a été particulièrement riche, avec 6 500 communications, dont 340 issues de la recherche française. Cette année, l'ASCO a consacré le triomphe des immunothérapies et vaccins thérapeutiques anti-cancer personnalisés et a également mis à l'honneur les biopsies liquides (par analyse de l'ADN tumoral circulant) comme nouvel outil incomparable de suivi des cancers et d'évaluation des traitements. Au niveau mondial, comme le rappelle l'OMS, le cancer reste l'un des principaux défis médical et sanitaire, avec 20 millions de nouveaux cas par an, et près de la moitié de ces malades qui décèdent. Environ un individu sur cinq développera un cancer au cours de sa vie ; un homme sur neuf et une femme sur 12 en mourront. Le coût économique et social du cancer, qui reste la deuxième cause de mortalité dans le monde et en France, ne cesse de croître et avoisinerait les 2000 milliards de dollars par an au niveau mondial (en comptant les pertes de production économique) et les 28 milliards d'euros en France, soit une augmentation de 50 % en 15 ans.

Au cours de la fameuse "conférence plénière", moment fort de cette rencontre, trois présentations majeures ont confirmé les promesses des immunothérapies pour prévenir les rechutes dans trois types de cancers non métastasés, respectivement localisés dans la tête et le cou, le côlon et l’estomac. « Nous avons maintenant la preuve que les immunothérapies ne font pas qu’augmenter la survie pour des patients atteints de cancers métastatiques, mais qu’elles offrent aussi l’espoir de guérir plus de patients atteints de formes localisées de tumeurs », relève Benjamin Besse, directeur de la recherche clinique de l’Institut Gustave-Roussy. Bien que ces immunothérapies ne soient apparues qu'il y a une quinzaine d'années, elles ont déjà bouleversé la cancérologie en permettant des rémissions de longue durée pour certains cancers, comme le mélanome, ou certaines tumeurs du poumon, au pronostic jusque-là défavorable. Au fil des années, ces immunothérapies, toujours plus ciblées et personnalisées, n'ont cessé d'étendre leur champ d'action, non seulement pour traiter les cancers métastatiques, mais également pour soigner des cancers localisés. « Certaines immunothérapies sont déjà des standards de traitement pour la plupart des cancers localisés du poumon, par exemple, où elles sont administrées avant la chirurgie », observe Benjamin Besse.

Présentée à l'ASCO 2025, une vaste étude internationale dirigée par le Docteur Jean Bourhis, du centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne (Suisse), a recruté 666 patients (âge médian 59 ans) atteints de cancers de la bouche, du pharynx ou du larynx, à fort risque de rechute. Après chirurgie, les patients ont reçu, en double-aveugle, soit le standard de soins actuel, une radiochimiothérapie (334 patients), soit une immunothérapie de la famille des anti-PD1, le nivolumab, associée au traitement standard (332 patients). Résultat, après un suivi de deux ans et demi, 252 des 666 patients participant à l’essai ont présenté une récidive ou sont décédés (158 patients). Les chances de survie sans récidive étaient 24 % plus élevées chez ceux ayant reçu du nivolumab. « C’est une avancée majeure qui va changer les pratiques », souligne pour sa part le Docteur Yungan Tao, onco-radiothérapeute à Gustave-Roussy et coauteur de l’étude (Voir ASCO).

Une autre étude réalisée par le Mayo Clinic Comprehensive Cancer Center a montré, pour sa part, que l'ajout d'immunothérapie à la chimiothérapie après une intervention chirurgicale, pour les patients atteints de cancer du côlon de stade 3 et porteurs d'une signature génétique spécifique appelée réparation déficiente de l'ADN (DMMR), était associée à une réduction de 50 % de la récidive de ce cancer par rapport à la chimiothérapie seule. Environ 15 % des personnes diagnostiquées avec un cancer du côlon présentent cette DMMR qui rend ces cancers moins sensibles à la chimiothérapie. S'appuyant sur ces résultats, le Docteur Sinicrope recommande que cette combinaison de traitement d'immunothérapie et de chimiothérapie soit le nouveau traitement standard pour le cancer du côlon de réparation inadéquat de stade 3 (Voir Mayo Clinic).

Une autre recherche d'envergure montre que l’immunothérapie administrée avant la chirurgie augmente sensiblement la survie des patients atteints de cancer du poumon, un cancer responsable de plus de 30.000 morts par an en France. Il faut savoir que les cancers dits "non à petites cellules", les plus fréquents, restent difficiles à traiter car souvent diagnostiqués à un stade avancé et non opérable. Cette étude internationale, coordonnée en France par le Professeur Girard, démontre clairement que l’ajout d’une immunothérapie (Nivolumab, Opdivo, laboratoires BMS) avant l’intervention chirurgicale permet de réduire les rechutes et de guérir environ 25 % des patients (Voir NEJM).

De manière très intéressante, ce grand congrès a mis en lumière deux points surprenants. Premièrement, il semble que l'on puisse envisager, pour certains cancers, de réduire les doses de ces traitements sans en réduire l’efficacité. Deuxièmement, les immunothérapies semblent plus efficaces quand elles sont administrées tôt le matin, ce qui confirme l’intérêt des recherches visant à bien connaître la chronobiologie des patients, de manière à toujours choisir le moment le plus opportun pour leur donner leur traitement.

Une autre étude marquante a révélé la place grandissante des biopsies liquides pour mieux définir et orienter la stratégie thérapeutique. L'idée est de détecter précocement les signes précurseurs d’une possible rechute, encore non détectables à l’imagerie, en analysant régulièrement l’ADN circulant dans le sang, issu des cellules malignes. L'étude Serena-6, lancée par AstraZeneca, a notamment été menée à l’Institut Curie sous la responsabilité du Professeur Clément Bidard. Elle concerne des patientes atteintes de cancers du sein hormonodépendants, qui représentent les deux tiers de l’ensemble de ces cancers, à un stade métastatique, soit 10 000 patientes par an en France. Leurs cellules tumorales portent, en surface, un nombre accru de récepteurs aux œstrogènes ou à la progestérone. Dans ces cas, le traitement standard repose sur une hormonothérapie. Mais, chez près de 40 % des patientes, on observe des mutations de résistance liées au traitement. Heureusement, ces mutations peuvent être détectées dans l’ADN tumoral circulant, plusieurs mois avant que la récidive soit visible à l’imagerie. Cet outil permet donc d'ouvrir "une fenêtre de tir" pour cibler ces mutations par des médicaments spécifiques, si elles sont détectées (Voir NEJM).

Dans l’étude internationale Serena-6, 3 300 patientes ont participé à ce dépistage régulier des mutations dans le sang, tous les trois mois. Parmi elles, 315 femmes (dont 31 en France) chez qui une telle mutation a été détectée, sans signe visible de récidive à l’imagerie, ont accepté de poursuivre l’étude. Elles ont été réparties en deux groupes par tirage au sort : le premier a continué le traitement standard en cours (groupe témoin) ; le second a pris un médicament oral en cours de développement, le camizestrant (AstraZeneca), associé à un anti-CDK4/6. Le camizestrant appartient à une nouvelle famille d’hormonothérapie orale, les SERD, qui agissent en détruisant les récepteurs aux œstrogènes. Alors que, dans le groupe témoin, la moitié des femmes ont fait une rechute dans un délai de neuf mois, dans le groupe traité par le camizestrant, ce délai a été allongé à seize mois. Comme le souligne le Docteur Étienne Brain, de l’Institut Curie, « Cette stratégie de traitement accéléré permet de contrôler plus durablement la maladie métastatique ».

Une autre avancée marquante présentée à l'ASCO concerne le cancer du sein triple négatif (TNB7C) qui représente environ 15 % des cancers du sein. Actuellement, le protocole standard de première ligne repose sur une combinaison de pembrolizumab, un inhibiteur de point de contrôle immunitaire, avec une chimiothérapie. Pour la docteure Sara M. Tolaney, oncologue au Dana-Farber Cancer Institute : « Une proportion importante de patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif métastatique ne reçoit pas de traitement au-delà de la première ligne, pour diverses raisons, notamment une dégradation de leur état de santé, ce qui témoigne d’un besoin non satisfait en traitements de première ligne ». Trodelvy (sacituzumab govitecan) est un anticorps conjugué qui cible la protéine TROP2, fortement exprimée à la surface des cellules tumorales dans le TNBC. Il permet de délivrer directement une molécule chimiothérapeutique dans la cellule cancéreuse, limitant ainsi les effets indésirables. Lors du congrès ASCO 2025, les résultats de l’étude de phase 3 KEYNOTE-D19 / ASCENT-04 ont été présentés. Cet essai a comparé deux traitements de première ligne chez 443 patientes : d’un côté, la référence actuelle, une combinaison pembrolizumab + chimiothérapie, de l’autre, le nouveau traitement, une association du pembrolizumab et du Trodelvy. Les résultats sont clairs : la combinaison Trodelvy et pembrolizumab réduit de 35 % le risque de progression ou de décès par rapport au schéma classique. La durée de réponse est également nettement plus longue (16,5 mois contre 9,2 mois). Enfin, ce traitement a été mieux toléré. Selon Sara M. Tolaney : « En combinant le sacituzumab govitecan au pembrolizumab, nous observons des gains significatifs en survie sans progression et une tendance prometteuse en survie globale ». Ces résultats devraient déboucher sur un nouveau standard de traitement de première ligne pour cette maladie agressive (Voir ASCO Daily News).

Cet ASCO 2025 a également vu la consécration de la puissance thérapeutique des vaccins anti-cancer. C'est le cas notamment pour le vaccin thérapeutique, développé conjointement par Curie et la société de biotechnologies française Transgene. Au cours d’un essai de phase 1, 33 patients ont été recrutés entre janvier 2021 et avril 2023, tous atteints d’un carcinome épidermoïde de la tête et du cou localement avancé, mais opérable. Tous avaient obtenu une rémission complète de leur tumeur après chirurgie, suivie d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie. Mais il faut savoir qu’en moyenne un tiers de ces patients récidivent. Dans l’essai, conduit par Christophe Le Tourneau, responsable du département développement et innovation du médicament de l’Institut Curie, à Paris, l’ADN des cellules tumorales de chaque patient, prélevées lors de la chirurgie, a été séquencé par la société japonaise NEC. Un outil d'IA a ensuite permis d'identifier, pour chaque patient, les 30 mutations les plus importantes. Enfin, dernière phase, Transgene a développé le vaccin personnalisé à base d'un virus atténué, de chaque patient en seulement trois mois. Ce vaccin "sur mesure" contient dans son génome les 30 séquences d’ADN mutées de chaque patient. L'idée est que ces ADN mutés, au contact du système immunitaire des patients, iront stimuler leurs défenses dirigées spécifiquement contre leurs cellules tumorales. Dans cet essai en double-aveugle, les 33 patients ont été tirés au sort pour recevoir soit des doses hebdomadaires de ce vaccin pendant six semaines, suivies d’une dose toutes les trois semaines jusqu’à 20 doses, soit aucun vaccin (Voir Institut Curie).

Au terme de cet essai clinique, le vaccin est apparu sûr et bien toléré. De manière remarquable, après un suivi médian de deux ans et demi, aucune rechute n’a été observée chez les 17 patients recevant le vaccin, contre trois chez les 16 patients du groupe témoin, comme l'a souligné Christophe Le Tourneau, à Chicago. Celui-ci insiste également sur le fait que TG4050 est bien plus qu’un vaccin expérimental : c’est une immunothérapie unique, produite spécifiquement pour chaque malade. Grâce à la plate-forme myvac, les chercheurs analysent les cellules tumorales du patient pour identifier les mutations les plus immunogènes. Celles-ci sont ensuite codées dans un vecteur viral, capable de stimuler une réponse ciblée du système immunitaire. Transgene travaille également sur d'autres vaccins thérapeutiques utilisant la même approche, pour lutter contre certains cancers qui restent difficiles à traiter, comme les mélanomes, cancers du poumon, de la vessie, du rein, du pancréas.

Il faut aussi que j’évoque l'étude de Phase III NAPOLI 3 concernant un nouveau traitement contre le terrible cancer du pancréas. Ces résultats ont révélé une survie globale médiane de 19,5 mois chez les patients survivants à long terme atteints d'un adénocarcinome pancréatique métastatique (mPDAC) traités en première ligne par Onivyde (injection d'irinotécan liposomal) en association avec l'oxaliplatine, le fluorouracile et la leucovorine (Nalirifox). L'adénocarcinome pancréatique (PDAC) est la forme la plus courante de cancer du pancréas. Chaque année, environ 60.000 personnes sont diagnostiquées aux États-Unis et près de 500.000 personnes dans le monde. Quand on sait qu'à peine 20 % des personnes diagnostiquées d'un adénocarcinome pancréatique métastatique (mPDAC) survivent plus d'un an, on mesure l'avancée que représente ce nouveau protocole. S'agissant du cancer du pancréas, véritable défi scientifique, soulignons également l'essai clinique de phase 2 randomisée PRODIGE TEDOPaM, promu par le groupe coopérateur académique GERCOR, qui a évalué l’efficacité et la tolérance du vaccin thérapeutique OSE2101 développé par OSE Immunotherapeutics en combinaison avec une chimiothérapie de maintenance chez des patients atteints d'un cancer du pancréas en première ligne métastatique. Il s’agit d’un vaccin ciblant cinq antigènes associés à la tumeur, une immunothérapie différentiée qui permet l’activation des lymphocytes T spécifiques de la tumeur. Les résultats encourageants de cette étude ont été présentés par la Professeure Cindy Neuzillet, gastroentérologue, cheffe de service d’oncologie digestive à l’Institut Curie, qui a inclus 106 patients et a atteint ses premiers objectifs préliminaires (Voir OSE immunotherapeutics).

Les bienfaits de l’exercice physique, trop longtemps sous-estimés, en matière de prévention et de lutte contre le cancer ont également été évoqués, avec un essai clinique mené sur 889 patients atteints de cancers du côlon avancés, principalement au Canada et en Australie. Recrutés entre 2009 et 2023, ces patients ont été opérés, puis ont reçu une chimiothérapie. Ensuite, ils ont été répartis au hasard en deux groupes. L’un participait à un programme d’exercices physiques structuré, avec des séances de coaching une ou deux fois par mois et une prescription d’exercices. L’autre, le groupe témoin, recevait un matériel éducatif encourageant l’activité physique et une alimentation saine. Après un suivi médian de 7,9 ans, 93 patients du programme d’exercices structuré ont présenté une rechute de leur cancer, contre 131 patients du groupe témoin. A cinq ans, le taux de survie sans récidive était de 80 % dans le premier groupe, de 74 % dans le second. « Cette étude « démontre que l’exercice physique après le traitement est à la fois réalisable et efficace pour améliorer la survie sans récidive », estime Pamela Kunz, de la faculté de médecine de Yale.

Enfin, évoquons cette étude présentée à l’ASCO, qui a impliqué 105 pathologistes de 10 pays d’Asie et d’Amérique du Sud qui ont évalué 20 cas de cancer du sein numériques à l’aide de la plate-forme d'IA ComPath Academy. Les pathologistes ont effectué 1 940 lectures qui ont été effectuées au cours de trois examens distincts, l’aide de l’IA n’étant fournie que lors du troisième examen. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que les résultats sont spectaculaires : le taux d’accord avec le score de référence est passé de 66,7 % à 88,5 % ; La sensibilité du score HER2 est passée de 76 % à 90 % ; Les erreurs de classification des HER2-ultralow en HER2-négatifs sont tombées de 29,5 % à seulement 4 %... Ce travail démontre donc de manière solide que l’IA, utilisée judicieusement, permet d’éviter de priver une patiente d’un traitement ciblé, simplement à cause d’une lecture humaine trop subjective. Ces résultats mettent en lumière le rôle prometteur de l’IA en oncologie, non comme un substitut au médecin, comme on l'entend parfois, mais comme un outil irremplaçable qui va permettre aux oncologues de travailler plus vite et mieux et de toujours proposer à leurs patients les meilleures stratégies thérapeutiques personnalisées possibles, en fonction de leur maladie spécifique (Voir Oncology Central).

A l'issue de cet ASCO 2025, on ne peut qu'être enthousiasmé par cette moisson d'avancées et de découvertes encourageantes qui laisse espérer que le cancer, sans disparaître, car il s'agit d'un processus biologique inhérent à l'évolution de la vie elle-même, est une maladie qui peut être traitée et contrôlée, de manière à ce qu'elle n’entraîne plus, comme c'est malheureusement encore trop souvent le cas, le décès des malades.

Chacun d'entre nous a dans sa famille, ou ses proches, une personne frappée par cette maladie et je ne voudrais pas soulever d'espoirs inconsidérés en me montrant trop optimiste. Je suis néanmoins persuadé, si l'on prend en compte cette accélération incontestable des découvertes et traitements efficaces contre un nombre croissant de cancers, que le contrôle de cette maladie multiforme, complexe et redoutablement adaptative, deviendra une réalité avant la seconde moitié de ce siècle, à condition néanmoins que nous poursuivions avec constance, au niveau national, comme au niveau mondial, les efforts de recherche (fondamentale et clinique) et de prévention (concernant les facteurs majeurs liés au mode de vie) indispensables pour libérer enfin l'humanité de ce fléau...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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