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Edito : Le microbiote : notre « second cerveau », acteur central de notre santé

Le système nerveux entérique (SNE), est une des trois composantes du système nerveux autonome (avec le système nerveux sympathique et le parasympathique) qui se situe tout au long du tube digestif et contrôle directement et indirectement de nombreuses fonctions et activités métaboliques, endocriniennes, musculaires et neurologiques. De récentes découvertes ont montré qu’il s’agit d’un véritable cerveau en réduction, qui compte plus de 200 millions de cellules nerveuses (et autant de cellules gliales) réparties tout au long du tube digestif, et qui entretient, grâce au rôle central d’intermédiaire du microbiote, des relations permanentes avec le cerveau (qui contient environ 100 milliards de neurones).

Découvert progressivement à partir de la fin du XIXème siècle, notamment grâce aux travaux de deux célèbres scientifiques anglais d’Oxford, Henry Langley et John Gaskell, ce système nerveux entérique n’a cessé de dévoiler sa richesse et sa complexité, jusqu’à être rebaptisé "Second cerveau" en 1999, dans le célèbre essai du neuro-gastro-entérologue Michael Gershon. Celui-ci explique qu’en comparaison avec le nombre de cellules nerveuses dans notre système digestif, le nombre de neurones moteurs qui connectent les deux cerveaux est minuscule. Il est donc impossible que ce SNE dépende complètement du cerveau, car, si c’était le cas, il faudrait une quantité de neurones bien plus importante pour échanger toute l’information qui circule entre le SNE et notre cerveau. Selon cet éminent scientifique, le SNE, loin d’être totalement assujetti au système nerveux central, doit donc être vu comme un auxiliaire doté d’une grande capacité d’autonomie et pouvant même, dans certaines situations, aller contre une décision de notre cerveau.

On sait à présent que le SNE contrôle l’ensemble des fonctions digestives. Il est en lien étroit avec le système immunitaire (les trois quarts des cellules immunitaires sont concentrées dans le système digestif) et joue un rôle important sur notre humeur et nos émotions. En 2020, une découverte majeure réalisée par des chercheurs de l’Université Rockefeller de New-York, a montré que le microbiote peut moduler la sécrétion d'une famille de neuropeptides (CART) par certains neurones du système nerveux entérique, qui innervent indirectement le foie et le pancréas. Ce mécanisme étonnant et subtil participe activement à une régulation autonome du glucose et de l’insuline, sans l'intervention du système nerveux central (Voir Science).

En avril dernier, des scientifiques de l’Institut Pasteur (organisme de recherche partenaire d’Université Paris Cité), de l’Inserm et du CNRS, ont découvert dans un modèle animal que des neurones de l’hypothalamus détectent directement les variations de l’activité bactérienne et adaptent l’appétit et la température corporelle en conséquence (Voir Science). Ces chercheurs se sont focalisés sur le récepteur NOD2 (Nucleotide Oligomerization Domain) qui est présent à l’intérieur des cellules, en particulier des cellules immunitaires. Ce récepteur a la particularité de détecter la présence de muropeptides, des composés des parois bactériennes, qui dérivent du microbiote intestinal. En utilisant de nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, les scientifiques ont découvert que le récepteur NOD2 est exprimé par des neurones essentiellement situés dans l’hypothalamus. Ils ont ensuite découvert que l’activité électrique de ces neurones est réprimée lorsqu’ils rencontrent des muropeptides bactériens issus de l’intestin. Mais a contrario, lorsque le récepteur NOD2 est inactif, ces neurones ne sont plus inhibés par les muropeptides.

Dans cette situation, le cerveau ne parvient plus à contrôler la prise alimentaire et la température corporelle, ce qui provoque une prise de poids des souris qui augmentent sensiblement leurs risques de développer un diabète de type 2. Mais la découverte de loin la plus étonnante de cette étude, c’est que ces neurones sont capables de détecter directement les muropeptides bactériens, alors que cette fonction revient normalement aux cellules du système immunitaire. « Il est stupéfiant de découvrir que des fragments bactériens agissent directement sur un centre nerveux aussi stratégique que l’hypothalamus, connu pour gérer des fonctions vitales comme la température corporelle, la reproduction, la faim, ou la soif » commente Pierre-Marie Lledo, chercheur CNRS et responsable de l’unité Perception et mémoire à l’Institut Pasteur. Ces résultats montrent l’existence d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau : une découverte qui pourrait être exploitée pour de nouvelles approches thérapeutiques contre les troubles métaboliques, tels que le diabète ou l’obésité.

Une autre étude réalisée par des chercheurs du Brigham and Women’s Hospital à Harvard Medical School (Boston, USA), a révélé une nouvelle voie anti-inflammatoire régulée par les bactéries résidant dans l’intestin. Ces scientifiques ont identifié un nouveau sous-ensemble d’astrocytes situé près des méninges (les membranes enveloppant le système nerveux central) et exprimant des protéines particulières, LAMP1 et TRAIL. Ces astrocytes sont capables de limiter l’inflammation dans le cerveau en induisant la mort des lymphocytes T, des cellules qui participent à la réponse immunitaire et favorisent l’inflammation. Le mécanisme impliqué pour contrôler ces astrocytes implique une molécule de signalisation appelée interféron-gamma. De façon remarquable, les chercheurs ont constaté que c’est le microbiote intestinal qui commande l’expression de cette molécule. La découverte de ce nouveau mécanisme par lequel l’intestin régule l’inflammation du cerveau ouvre la voie vers le développement de nouvelles approches thérapeutiques pour lutter contre les pathologies du cerveau, et notamment les maladies neuro-inflammatoires comme la sclérose en plaques…

Une étude menée à l’Université de Virginie a révélé une relation surprenante entre la santé intestinale et le cancer du sein : ces recherches confirment qu’un microbiote déséquilibré augment les risque d’apparition et de propagation du cancer du sein (Voir AACR). Ces travaux ont également permis de mieux comprendre les interactions complexes entre le microbiote et les mastocytes du sein, des cellules sanguines qui participent à la régulation de la réponse immunitaire. Un microbiote déséquilibré provoque l'accumulation de mastocytes dans le sein, ce qui favorise la propagation du cancer du sein à d'autres parties du corps. Ces découvertes sont très importantes, car elles ouvrent la voie à de nouveaux traitements capables de bloquer les métastases du cancer du sein, souligne l’auteur principal de l’étude, le Docteur Melanie R. Rutkowski, de l’UVA Cancer Center.

Une autre équipe de l’Université de Chicago a mis en évidence des différences dans le microbiome intestinal liées au risque de décès chez les patients COVID-19 souffrant d'insuffisance respiratoire. Cette étude montre que les malades du Covid ayant un microbiote composé de bonnes bactéries et de bons métabolites auront, en cas de soins intensifs, un risque de complications et de décès sensiblement diminué (Voir Nature Communications). L’étude a analysé la composition du microbiote de 71 patients traités en service de soins intensifs. Elle montre que la composition du microbiote intestinal permet de prédire la trajectoire de la fonction respiratoire et le risque de complications et décès chez ces patients COVID-19 hospitalisés.  Ces résultats montrent que le microbiome intestinal impacte fortement la santé pulmonaire et constitue un bon marqueur pour prédire les risques de dégradation de la fonction pulmonaire chez les patients Covid. L’étude ouvre aussi la voie vers des traitements probiotiques susceptibles de prévenir cette dégradation pouvant être fatale au malade.

Une récente étude de l’Université de Montréal, a montré que, de manière étonnante, une bactérie probiotique spécifique pouvait sensiblement ralentir la neurodégénération due à la sclérose latérale amyotrophique (SLA), chez le ver C. elegans (Voir Communications Biology). La SLA, plus connue sous le nom de "maladie de Charcot", se traduit par une dégénérescence des neurones moteurs, puis une paralysie progressive, finissant par entraîner en quelques années la mort du malade. Cette pathologie incurable reste encore mal comprise mais on sait que la mutation d’un gène appelé FUS est responsable des cas les plus graves. Chez les malades souffrant de SLA, on observe une production continue de FUS, qui provoque une dégénérescence irréversible des motoneurones. Ces chercheurs ont exploré une nouvelle stratégie thérapeutique impliquant le microbiote intestinal. Ils ont sélectionné la bactérie Lacticaseibacillus rhamnosus HA-114, pour son efficacité unique à ralentir l’évolution de cette terrible maladie. « La particularité de HA-114 réside dans sa teneur en acides gras. Lorsque nous l’ajoutons au régime alimentaire de notre modèle animal, nous remarquons qu’il supprime la progression de la dégénérescence des motoneurones », précise le Professeur Alex Parker, qui a dirigé ces travaux.

L’implantation de cette bactérie HA-114 dans le microbiote des animaux utilisés pour l’étude a permis de réduire considérablement les troubles moteurs liés à la SLA, mais également les troubles liés à la maladie de Huntington, une autre maladie neurodégénérative grave et incurable. Ces recherches ont également permis d’élucider les mécanismes génétiques qui seraient à l’origine de ces effets neuroprotecteurs. Cette équipe a en effet identifié deux gènes clés (acdh-1 et acs-20), existant sous des formes similaires chez l’homme, qui sont fortement impliqués dans le contrôle du métabolisme des lipides et de la transformation par oxydation des acides gras en énergie dans les mitochondries. L’hypothèse de ces chercheurs, c’est que les acides gras fournis par la bactérie pénètrent les mitochondries par une voie indépendante, rétablissent l’équilibre du métabolisme énergétique, et entraînent une forte diminution de la neurodégénérescence.

Fin 2020, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS ont publié une autre étude qui montre qu’un déséquilibre de la communauté bactérienne intestinale peut provoquer un effondrement de certains métabolites qui est responsable de l’état dépressif (Voir Nature Communications). Ces chercheurs ont découvert que certaines altérations du microbiote intestinal, engendrées par un stress chronique, pouvaient déclencher un état dépressif, en provoquant un effondrement d’une famille de métabolites lipidiques - Les endocannabinoïdes - dans le sang et le cerveau. Ces recherches ont montré que lorsque les endocannabinoïdes étaient absentes dans l’hippocampe, une aire du cerveau qui participe à la formation de nos souvenirs et des émotions, un état dépressif survenait. Comme l’explique Pierre-Marie Lledo, responsable de l’unité Perception et mémoire à l’Institut Pasteur (CNRS/Institut Pasteur) et co-dernier auteur de l’étude : « de façon surprenante, le simple transfert du microbiote d’un animal présentant des troubles d’humeur à un animal en bonne santé suffit à induire des modifications biochimiques, et conférer des comportements synonymes d’un état dépressif chez ce dernier ». Cette étude a enfin montré qu’un traitement oral avec certaines bactéries pouvait rétablir le niveau normal de ces endocannabinoïdes et avoir une action thérapeutique contre la dépression. « Cette découverte démontre comment le microbiote intestinal contribue au fonctionnement normal du cerveau » précise Gérard Eberl (Institut Pasteur/Inserm) et co-auteur de l’étude.

On savait déjà que le microbiome intestinal des patients atteints par la maladie d'Alzheimer était différent de celui des personnes en bonne santé. Dernièrement, des chercheurs de l’Université du Missouri ont élucidé en partie ce mécanisme de causalité. Les chercheurs ont modifié les microbiotes de souris prédisposées à développer des lésions cérébrales et des troubles cognitifs de type Alzheimer. Ces souris ont par ailleurs été génétiquement modifiées pour exprimer une forme mutante de la protéine tau du cerveau humain qui s'accumule et cause des dommages aux neurones (Voir Science). « Nous avons administré des antibiotiques aux jeunes souris pendant une semaine seulement, et nous avons constaté un changement permanent dans leurs microbiomes intestinaux, leurs réponses immunitaires et la quantité de neurodégénérescences liée à une protéine tau qu'elles ont subie avec l'âge », explique le Professeur David Holtzman, qui a dirigé ces travaux. Selon les chercheurs, trois acides gras spécifiques à chaîne semblent déclencher une neurodégénérescence. Elles activent les cellules immunitaires dans le sang, qui à leur tour activent les cellules immunitaires du cerveau qui vont alors pour endommager les tissus cérébraux. Cette découverte pourrait permettre de développer des traitements utilisant une approche tout à fait nouvelle contre la maladie d’Alzheimer. « Ce qui est excitant, c'est que la manipulation du microbiote intestinal pourrait être un moyen d'avoir un effet sur le cerveau sans rien mettre directement dans le cerveau », se réjouit le Professeur David Holtzman.

Une récente étude française (Inserm/CNRS/Université Paris Cité) a montré que la consommation, largement rependue, de certains agents émulsifiants, utilisés à grande échelle par l’industrie agroalimentaire, entraînait l’altération du microbiote intestinal1 et son interaction avec l’appareil digestif (Voir BMJ). Ces altérations du microbiote finissent par provoquer une inflammation intestinale chronique. Mais, selon cette étude, il serait possible, en utilisant judicieusement certaines bactéries, de contrecarrer les effets délétères induits par la consommation d’émulsifiants en fortifiant l’épithélium intestinal. Ces travaux ont notamment permis de montrer que la bactérie Akkermansia muciniphila possédait un puissant effet protecteur contre le pouvoir inflammatoire de ces substances. Les chercheurs ont observé que, chez les souris dont le microbiote est dépourvu de cette bactérie, la consommation d’agents émulsifiants alimentaires entraînait à la longue une inflammation chronique et une hyperglycémie. En revanche, les souris ayant reçu la bactérie Akkermansia muciniphila étaient totalement protégées contre ces effets néfastes. L’utilisation d’Akkermansia muciniphila en tant que probiotique pourrait être une approche pour maintenir la santé métabolique et intestinale et contrecarrer les effets néfastes de ces agents émulsifiants qui provoquent une inflammation intestinale chronique.

Evoquons enfin des recherches récentes de l’Institut médical de Baylor (Texas) qui viennent de déboucher sur un protocole permettant d’identifier et d’évaluer précisément les métabolites synthétisés par chaque micro-organisme du microbiote. Ce nouvel outil constituerait le meilleur moyen à ce jour pour comprendre les processus complexes qui régissent la communication entre le cerveau et les intestins. Cet outil novateur ouvre la voie vers des stratégies thérapeutiques révolutionnaires (Voir Nature Protocols). Ces chercheurs comptent étendre leur protocole à une communauté microbienne spécifique, de façon à étudier leur synergie. « Notre protocole offre un moyen d’identifier des solutions potentielles lorsqu’une mauvaise communication entre l’intestin et le cerveau entraîne une maladie », conclut Horvath.

On le voit, toutes ces récentes études et découvertes ne cessent de dévoiler l’incroyable complexité de notre microbiote et de notre "second cerveau" intestinal et leur importance capitale pour notre santé physique et psychique. Demain, les nouvelles thérapies qui permettront de mieux soigner et, espérons-le de guérir des pathologies graves et très invalidantes, cancer, Alzheimer, SLA, Diabète, troubles psychiatriques, intégreront toutes une action ciblée sur notre microbiote qui viendra amplifier l’efficacité des traitements mis en œuvre et pourra même, dans certains cas, constituer un traitement à part entière contre certaines maladies. Il est important de souligner que, pour pouvoir utiliser le plus tôt possible tout le potentiel thérapeutique immense de cette nouvelle médecine du microbiote, nous aurons plus que jamais besoin d’une énorme puissance de calcul, associée à de nouveaux outils d’intelligence artificielle, pour analyser, répertorier et comparer les gigantesques masses de données biologiques, génétiques et chimiques qui constituent ce microbiote et, de manière plus large, ce "second cerveau". L’arrivée récente de machines exaflopiques (capables d’une vitesse de calcul d’un milliard de milliards d’opérations par seconde) et la mise au point, d’ici une dizaine d’années, de calculateurs quantiques opérationnels, devraient nous permettre d’accomplir de nouveaux sauts décisifs dans la compréhension de ces structures biologiques qui sont encore loin d’avoir révélé tous leurs mystères…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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