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Edito : Microbiote, immunité et cerveau : les trois dimensions d’un fascinant système biologique

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René Trégouët 

Créateur, il y a 27 ans de RT Flash

EDITORIAL :

Microbiote, immunité et cerveau : les trois dimensions d’un fascinant système biologique

Depuis plus d’un siècle, on connaît l’existence du système nerveux entérique, parfois appelé "deuxième cerveau". Ce réseau, composé d’environ 500 millions de neurones tapissant les parois intestinales, se distingue par sa remarquable résistance : ses neurones supportent sans dommage des pressions mécaniques dix fois supérieures à celles que subissent les neurones du cerveau.

Ce système nerveux entérique entretient une communication permanente avec le système nerveux central grâce au nerf pneumogastrique, plus connu sous le nom de nerf vague. Par cette voie, nos intestins dialoguent directement avec le système limbique, siège des émotions. Ce lien explique qu’environ 90 % de la sérotonine, hormone essentielle à la régulation de l’humeur, soit produite dans l’intestin.

Depuis quelques années, plusieurs découvertes majeures ont révélé que cet axe intestin-cerveau constitue un véritable système biologique intégré, dont la complexité et l’importance dépassent toutes les attentes initiales.

Microbiote et troubles de l’humeur : des liens démontrés

En 2020, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS ont démontré qu’un déséquilibre du microbiote intestinal pouvait perturber certains métabolites et entraîner un état dépressif. Ils ont observé qu’un stress chronique modifie la composition du microbiote, provoquant un effondrement des métabolites lipidiques dans le sang et le cerveau.

Fait remarquable : le transfert du microbiote d’un animal dépressif à un animal sain suffit à induire chez ce dernier des modifications biochimiques et des comportements similaires à la dépression. Cette étude, dirigée par Pierre-Marie Lledo (CNRS/Institut Pasteur), démontre ainsi que le microbiote intestinal contribue directement au fonctionnement normal du cerveau (Nature Communications, 2020).

Le microbiote au cœur des maladies neurodégénératives

Toujours en 2020, une équipe italo-helvétique a suivi 89 patients âgés de 65 à 85 ans, atteints ou non de la maladie d’Alzheimer. Grâce à l’imagerie PET Scan, les chercheurs ont mis en évidence un déséquilibre du microbiote intestinal favorisant la formation de plaques amyloïdes dans le cerveau.

Selon Moira Marizzoni, principale auteure de l’étude, certaines protéines bactériennes détectées dans le sang pourraient perturber l’équilibre entre le système immunitaire et le système nerveux, contribuant ainsi au développement de la maladie. Ces travaux ouvrent la voie à des stratégies préventives fondées sur la modulation du microbiote, notamment via des traitements à base de probiotique. En 2022, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS ont révélé que certains neurones de l’hypothalamus détectent directement l’activité bactérienne, ajustant en réponse l’appétit et la température corporelle.

Ils ont montré que les neurones pouvaient percevoir les muropeptides bactériens – des marqueurs de prolifération microbienne – une fonction que l’on pensait réservée aux cellules immunitaires.

Comme le souligne Pierre-Marie Lledo :

« Nos recherches montrent que des fragments bactériens peuvent agir directement sur un centre nerveux aussi stratégique que l’hypothalamus ».
Ces résultats confirment l’existence d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau (Science, 2022).

Un microbiote cérébral ?

En 2023, une étude écossaise a révélé que les cerveaux de personnes atteintes d’Alzheimer contiennent davantage de bactéries que ceux de sujets sains. Plus surprenant encore : le microbiote cérébral partage près de 20 % de ses espèces bactériennes avec celui de l’intestin, suggérant qu’il en serait un sous-ensemble (bioRxiv, 2023version complète).

Le nerf vague, trait d’union entre intestin et émotions

Toujours en 2023, une étude conjointe de l’Inserm, de l’Institut Pasteur et du CNRS, a mis en évidence le rôle clé du nerf vague. Chez des souris, la vagotomie (section du nerf) empêchait l’apparition d’un état dépressif après transfert d’un microbiote déséquilibré.

« La vagotomie a suffi à découpler l’intestin du cerveau et à protéger les sujets », précisent les auteurs.

Ces travaux confirment que la stimulation du nerf vague – par la méditation ou par stimulation électrique – pourrait renforcer l’efficacité des traitements antidépresseurs (Nature, 2023).

Le microbiote intervient aussi dans la production du tryptophane, acide aminé nécessaire à la synthèse de la sérotonine ; un microbiote déséquilibré réduit cette absorption, favorisant ainsi la dépression.

Prébiotiques et probiotiques : vers de nouvelles thérapies cognitives

En 2024, des chercheurs du King’s College de Londres ont mené la première étude sur l’effet des prébiotiques sur la cognition chez des jumeaux de plus de 60 ans. Pendant trois mois, l’un des jumeaux recevait un supplément prébiotique, l’autre un placebo. Les résultats sont sans appel : les sujets ayant reçu les prébiotiques ont obtenu de meilleurs scores de mémoire visuelle et d’apprentissage.

« Observer de tels changements en seulement 12 semaines est très prometteur », souligne la docteure Mary Ni Lochlainn (Nature Communications, 2024).

La même année, une équipe australienne a montré que la prise de probiotiques pouvait améliorer la mémoire de travail, fonction cognitive essentielle. Parmi quatre groupes d’étude, seul le groupe recevant les probiotiques a significativement amélioré ses performances.

Le cerveau peut « piloter » le microbiote

En avril 2025, des chercheurs de l’UC Louvain, associés à des équipes espagnoles, ont prouvé que le cerveau peut modifier la composition du microbiote intestinal en moins de deux heures pour provoquer la satiété. Cette découverte montre un système adaptatif bidirectionnel : le cerveau influence directement la flore intestinale (UCLouvain, 2025).

Microbiote et troubles psychiatriques

En juin 2025, une vaste étude chinoise portant sur 14 000 participants a établi des liens de causalité entre le microbiote intestinal et plusieurs troubles psychiatriques : autisme, schizophrénie et troubles bipolaires. Ces résultats ouvrent la voie à des thérapies ciblées fondées sur la modification du microbiote (NeuroImage, 2025).

Quand le cerveau anticipe l’infection

Enfin, une étude suisse publiée en 2025 dans Nature (Université de Genève et CHUV) a montré que le cerveau peut déclencher une réponse immunitaire préventive face à un risque d’infection, simplement par exposition visuelle à des avatars malades en réalité virtuelle.

Les participants exposés à ces stimuli ont activé leurs lymphocytes innés, avec une réponse équivalente à celle d’une vaccination contre la grippe. « Nous avons démontré qu’une simple stimulation visuelle pouvait provoquer une véritable réaction biologique mesurable », souligne Andrea Serino (Université de Genève, 2025).

Une coopération évolutive et thérapeutique

Ces découvertes confirment les liens profonds entre cerveau, immunité et microbiote. Le stress, par la production de cortisol, peut affaiblir nos défenses, tandis que des expériences positives les renforcent.

L’équipe d’Asya Rolls, à Tel-Aviv, a montré que l’activation du système de récompense accroît la production de cellules immunitaires, tandis que les travaux de Sophie Ugolini, à Marseille, ont révélé que certains neurones sensoriels peuvent détecter des produits microbiens et moduler directement la réponse immunitaire.

Considérée dans sa dimension évolutive, cette coopération systémique étroite et fascinante entre le cerveau, le microbiote et l’immunité, est finalement tout à fait logique, car elle permet au système immunitaire d’utiliser, pour son plus grand profit, une des fonctions majeures du cerveau, la capacité prédictive. Dans cette perspective sur le temps long, cette association se serait donc progressivement développée et enrichie pour permettre à notre organisme de réagir le plus rapidement et le plus efficacement possible, face une menace inconnue, allant jusqu'à pouvoir prédire l'attaque d'un agent pathogène, avant même que ce dernier ne pénètre dans notre organisme...

On voit évidemment l’avantage compétitif décisif qu'une telle association a pu conférer à notre espèce, lorsque celle-ci, au cours de sa longue histoire, s'est retrouvée confrontée, à de nombreuses reprises, à des changements brutaux de son environnement et à l’arrivée de nouveaux agents pathogènes.

Sur le plan thérapeutique, cette meilleure compréhension du système cerveau-immunité-microbiote devrait déboucher sur de nouveaux traitements, qui seront conçus de manière personnalisée pour rétablir le bon équilibre bactérien du microbiote des malades souffrant de maladies neurodégénératives ou de troubles psychiatriques et qui pourront agir seuls en synergie avec les traitements médicamenteux disponibles. On peut enfin imaginer que l'on puisse également agir de manière puissante et ciblée, via le microbiote, de manière à augmenter l'efficacité des immunothérapies contre le cancer...

René TRÉGOUÊT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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