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Edito : Lutte contre le Sida : et si c'était rentable de dépenser beaucoup d'argent pour sauver les plus pauvres

On se souvient qu'à l'issue de la déclaration de Doha, fin 2001, les grandes firmes pharmaceutiques mondiales avaient accepté, sous la pression de l'opinion publique internationale, la mise en place d'un nouveau cadre juridique et commercial permettant aux pays les plus pauvres de fabriquer et de distribuer, à un prix beaucoup plus abordable, les nouvelles générations de médicaments contre le SIDA. Mais en dépit de cette avancée, et comme l'a montré de manière éclairante le Professeur Moatti à l'occasion de la Conférence internationale sur le SIDA, il subsiste un blocage persistant des Etats Unis au niveau de l'OMC pour empêcher les exportations de génériques par les pays incapables de les produire eux-mêmes. Pour lever cet obstacle très dommageable, il est donc essentiel, comme le souligne le Professeur Moatti, que parallèlement à des pris différenciés entre le nord et le sud, la compétition du marché soit étendue à tous les fabricants de médicaments satisfaisant aux normes de qualité. Mais au delà de cette mesure indispensable, il faut souligner la pertinence et l'originalité de l'approche économique défendue par le Professeur Moatti en matière d'évaluation du coût humain global du SIDA. Le Professeur Moatti souligne en effet que le recours massif à des médicaments antirétroviraux s'avère tout à fait rentable à terme dans les pays les plus pauvres. L'utilisation généralisée de ces médicaments antirétroviraux est d'un rapport coût-efficacité remarquable dans ces PVD, surtout si l'on considère le coût, en années de vie sauvées, soit des adultes touchés par le VIH, soit des enfants qui vont être protégés à la naissance de la contamination maternelle. Il existe en effet un nouveau traitement préventif associant deux molécules qui permet de faire tomber le taux de contamination des nouveaux nés de 30 % à 6 %. Le Professeur Moatti souligne avec force que les études économiques "orthodoxes" qui tentent d'évaluer l'impact du SIDA sur la croissance économique des pays pauvres ont presque toujours ignoré ou sous-estimé un facteur pourtant capital : la perte catastrophique du capital culturel, éducatif et humain que constitue pour ces pays le décès prématuré d'adultes qui en sont les forces vives. Cette destruction du capital humain est si désastreuse qu'elle pourrait entraîner une division par deux du PIB de pays comme la Côte d'Ivoire ou l'Afrique du Sud dans seulement trois générations, si l'épidémie de SIDA n'est pas rapidement stoppée dans ces pays. Nous voyons donc, grâce à ce nouvel éclairage économique global, que le SIDA n'est pas seulement un fléau médical et social mais aussi une catastrophe culturelle et humaine d'une ampleur sans précédent pour bon nombre de pays pauvres d'Afrique notamment. Les états, les organisations internationales et surtout les grandes firmes pharmaceutiques, doivent intégrer cette nouvelle dimension humaine pour définir et mettre ne oeuvre, au niveau planétaire des politiques d'action plus volontaires et plus globales de lutte et de prévention contre le SIDA. Tel a été le sens du message de Jacques Chirac, le 16 juillet à l'occasion du Congrès international sur le SIDA qui se tenait à Paris. Le Président de la République a une nouvelle fois rappelé la nécessité de parvenir rapidement à un accord sur l'accès des pays pauvres aux médicaments au sein de l'OMC, avant la réunion ministérielle de Cancun en septembre. Selon l'Organisation mondiale de la santé, six millions de personnes ont besoin aujourd'hui dans le monde d'un traitement contre le VIH. "J'en appelle particulièrement à l'industrie pharmaceutique, qui est par excellence l'industrie de l'espoir. Pour elle, la confiance et le respect de l'opinion mondiale sont en jeu", a dit le président français. Cette position est aussi celle du nouveau Directeur général élu de l'OMS, Jong Wook Lee, qui fait de la lutte contre le SIDA une priorité absolue. S'il est aujourd'hui un but qui vaille à ses yeux, c'est de pouvoir se dire dans 5 ans qu'il est « l'un de ceux qui auront permis à des millions et des millions de personnes privées de soins, dans le monde, de recevoir un traitement pleinement efficace contre le VIH-SIDA. Alors que le SIDA est aujourd'hui perçu comme un problème ancien en comparaison du SRAS, alors que des solutions existent, elles restent inaccessibles à plus de 29 millions de patients en Afrique et en Asie. » Quarante cinq millions de personnes vivent aujourd'hui dans le monde avec le sida, une maladie qui cause 10.000 décès par jour, selon l'OMS. Au delà du devoir moral et humanitaire, nous devons par ailleurs comprendre qu'un effondrement économique provoqué par le SIDA dans de nombreux pays en voie de développement aurait à terme des conséquence économiques et politiques graves et durables pour nos pays développés. Ce combat international pour l'accès généralisé dans les pays pauvres aux antirétroviraux sous forme générique est donc scientifiquement, économiquement et moralement pleinement justifié et la France se doit d'être en pointe dans cette action qui sert l'intérêt de l'Humanité toute entière.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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