RTFlash

Edito : Interdiction totale du tabac dans tous les lieux publics: le moment est venu de voter une loi

Le député alsacien Yves Bur a déposé devant l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à interdire le tabac dans les lieux publics. La loi Evin, applicable depuis 1992, réglemente la consommation de tabac dans les lieux publics en France, mais la séparation entre zones fumeurs et non-fumeurs dans les bars et les restaurants est peu respectée. La plupart des autres pays européens ont pris des dispositions antitabac en réglementant la consommation dans les lieux publics ou les entreprises, ou en interdisant la publicité et la vente de cigarettes aux mineurs.

L'Irlande a été la première à imposer une interdiction de fumer dans tous les lieux publics le 29 mars 2004, rejointe par l'Italie le 10 janvier 2005 et la Suède en juin. En Irlande, la loi sanctionne d'une amende pouvant aller jusqu'à 3 000 euros toute personne y contrevenant, et vise aussi les patrons de pubs, qui risquent de perdre leur licence s'ils ne l'appliquent pas. Aux Etats-Unis, plusieurs états, dont New York, interdisent également l'usage du tabac dans tous les lieux publics. En France, 70 % des Français se disent favorables à une telle interdiction et il suffit d'entrer dans un bar ou un pub enfumé pour comprendre à quel point la fumée de cigarette est insupportable pour les non-fumeurs, particulièrement dans des endroits confinés et mal aérés.

Alors que la convention internationale contre le tabac, signée en mai 2003 par les 192 Etats membres de l'Organisation mondiale de la santé, vient enfin d'entrer en vigueur début 2005, et au moment où nos voisins européens interdisent les uns après les autres le tabac dans tous les lieux publics, il est capital que notre pays ait la volonté de se replacer à l'avant-garde de la lutte contre ce fléau, lutte qui s'inscrit en outre pleinement dans le cadre du vaste plan anti-cancer lancé à l'initiative du Président de la République.

En matière de cancer présisemment, une nouvelle étude publiée dans le British Medical Journal en juillet 2005 révèle que le nombre de décès par cancer du poumon est en train de baisser en Europe. Mais pas en France, et pas chez les femmes. Le tabac tue chaque année 650000 personnes en Europe, dont 65000 personnes en France (l'équivalent d'une ville comme Tarbes, Valence ou Colmar), par cancer, maladies cardio-vasculaires et maladies respiratoires. Quatre pays européens font encore figure d'exception : l'Espagne, la Grèce, le Portugal et... la France. Dans ces pays, la chute du nombre de décès par cancer du poumon n'a en effet pas encore été amorcée.

Rappelons qu'en France, le cancer du poumon est de loin le responsable du plus grand nombre de décès par cancer, avec près de 27000 décès par an. Les tendances sont toutefois différentes selon le sexe: chez les hommes où l'incidence et la mortalité sont six fois plus élevées que chez les femmes, ces deux indicateurs présentent une augmentation modérée mais continue depuis 1980, de l'ordre de + 0,6 % par an. En revanche, dans la population féminine, l'incidence et la mortalité présentent une augmentation très importante, respectivement + 4,5 % et + 2,9 % par an.

Pour les femmes, l'augmentation de l'incidence est continue et s'accélère pour les cohortes les plus jeunes. L'analyse de la mortalité fait apparaître une inflexion très brutale pour celles nées après la seconde guerre mondiale. En France, une femme née dans les années 1950 a trois fois plus de risque de décéder d'un cancer du poumon qu'une femme née dans les années 1930. Parmi les facteurs de risque, le tabac a un rôle prépondérant: il est responsable d'environ 85 % des cancers du poumon.

Une autre récente étude montre qu'entre 2000 et 2019 l' accroissement du taux de mortalité par cancer du poumon en France chez les femmes sera de 103 %, soit un doublement ! Le nombre de décès par cancer du poumon, chez les femmes françaises en 2015-2019, devrait, selon cette étude, approcher les 11800 décès annuels. Face à une telle situation, l'Etat a le devoir de tout mettre en oeuvre pour réduire cette hécatombe à laquelle s'ajoute les 3000 morts par an provoquées par le tabagisme passif dans notre pays. Soulignons également, parmi les multiples effets néfastes du tabagisme passif, qu'une étude américaine (voir article dans notre rubrique « Santé ») vient de révéler que les adolescents exposés au tabagisme passif augmentaient sensiblement leurs risques de devenir obèses, de souffrir de diabète ou d'hypertension.

Quant aux arguments invoquant la liberté du fumeur, ils ne résistent pas à une analyse sérieuse. Si, selon la célèbre définition républicaine, "La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", il est à présent formellement démontré scientifiquement que le fumeur qui fume dans un lieu public nuit à ses voisins et que sa fumée augmente de manière significative les risques de cancers, d'allergies ou de problèmes respiratoires pour toutes les personnes qui y sont exposées, sans que celles-ci puissent se soustraire à ces nuisances. Il n'y a donc plus aucune raison de continuer à tolérer le tabac dans les lieux publics fermés et une large majorité de nos concitoyens se prononcent d'ailleurs pour cette interdiction totale du tabac dans tous les endroits publics.

Enfin le risque, invoqué par les propriétaires de bars, restaurants ou boîtes de nuit, de voir la fréquentation et le chiffre d'affaires de leurs établissements diminués, en cas d'interdiction totale du tabac dans les lieux publics, ne semble pas fondé puisqu'au contraire il semble que cette fréquentation ait augmenté dans les pays qui ont pris cette mesure courageuse.

Notre classe politique et notre Parlement s'honoreraient d'adopter rapidement et à l'unanimité cette Proposition de loi qui représente une avancée décisive en matière de santé publique et de prévention contre le cancer. Souhaitons que cette volonté politique, soutenue par un large consensus démocratique, perdure et permette l'adoption rapide de cette loi historique et, au-delà, la mise en place d'une vaste et ambitieuse politique de prévention visant à inciter dès le plus jeune âge nos concitoyens à adopter des comportements et une hygiène de vie susceptibles de les protéger du cancer et des grandes pathologies tueuses de ce siècle.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top