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Edito : Le génome n'a pas fini de dévoiler son étonnante complexité

Au-delà des gènes eux-mêmes, d'autres éléments de l'ADN jouent un rôle important, selon des travaux scientifiques qui soulignent la complexité des interactions et remettent en cause certains dogmes. La communauté scientifique va devoir réviser sa vision "de ce que sont les gènes et de ce qu'ils font" avec de possibles conséquences sur l'identification "des séquences d'ADN impliquées dans de nombreuses maladies humaines", résume le Docteur Francis Collins, directeur de l'Institut américain de recherche sur le génome humain (NHGRI).

Réhabilitant ainsi une grande partie de l'ADN, hâtivement qualifiée par le passé "d'ADN "poubelle", c'est-à-dire inutile, parce que sa fonction n'avait pas été identifiée, ces travaux conduisent à détrôner le gène, jusque là mis au premier plan. Ces découvertes remettent en question la vision d'un génome "consistant en un petit ensemble de gènes définis, à côté d'une grande quantité d'ADN +poubelle+ non biologiquement actif", souligne le consortium ENCODE (the ENCyclopedia Of DNA Elements) qui publie ces travaux dans les revues scientifiques Nature et Genome Research.

Ce projet ENCODE doit permettre d'établir une "encyclopédie des éléments de l'ADN". "L'objectif est d'identifier et de cataloguer tous les éléments qui jouent un rôle dans le génome humain", a expliqué le professeur Stylianos Antonarakis, de l'UNIGE. Les scientifiques ont déjà réussi à séquencer entièrement le génome humain en 2003. Mais il reste à découvrir quelles en sont les régions fonctionnelles. ENCODE, auquel s'associent 80 institutions dans 11 pays, a débuté par une phase-pilote consistant en l'analyse fonctionnelle de 1 % du génome.

Les recherches ont permis d'attribuer une fonction à la grande majorité des parties du génome qui n'avaient pas ou peu changé au cours de l'évolution. Les résultats sont décrits dans un article collectif de 20 pages publié dans "Nature".

Fruit de quatre années de recherches auxquelles ont participé 35 groupes de chercheurs de 80 organismes dans le monde, ces résultats "promettent de transformer notre compréhension du fonctionnement du génome humain" : "l'image traditionnelle" de notre génome, comme une "collection bien ordonnée de gènes indépendants" est remise en cause, ajoute le consortium.

Ces résultats laissent entrevoir "un réseau complexe dans lequel les gènes, des éléments régulant leur activité et d'autres types de séquences d'ADN" interagissent, résume le consortium ENCODE dans un communiqué. Le génome humain (ADN) compte quelque 3 milliards de paires de bases programmant, "directement ou indirectement, les instructions pour synthétiser presque toutes les molécules qui forment chaque cellule, tissu ou organe humains", rappellent les chercheurs.

Les gènes codant pour des protéines, c'est-à-dire programmant la formation de ces briques élémentaires de l'organisme, ne constituent qu'une très faible fraction du génome humain.

Le séquençage de celui-ci dans le cadre du Human Genome Project en 2003 a permis d'identifier quelque 22.000 gènes et les séquences régulant leur activité, soit environ 3 à 5 % du génome, note le Wellcome Trust Sanger Institute associé à ces travaux. Remettant en cause l'épithète d'ADN "poubelle", les nouvelles données montrent "que le génome contient très peu de séquences inutilisées, les gènes sont juste un des nombreux types de séquences d'ADN ayant un impact fonctionnel", selon le consortium et le Laboratoire européen de biologie moléculaire et de bioinfomatique (EMBL-EBI) qui a piloté l'analyse.

Selon ces travaux ayant porté sur près de 30 millions de paires de bases, soit 1 % du génome humain, les séquences d'ADN situées hors des gènes "ont un rôle de régulation essentiel", commente un expert dans Nature. La majorité de l'ADN (acide désoxyribonucléique) humain est transcrit sous forme d'ARN (acide ribonucléique), mais cet ARN ne sert pas toujours à fabriquer des protéines. Des études avaient déjà montré qu'à partir d'un même gène, différentes protéines pouvaient être produites, et non pas une seule comme on l'avait longtemps pensé.

L'ADN humain est composé de 3,3 milliards de paires de bases mais seul 1,5% de ce potentiel serait utilisé pour la synthèse des protéines de l'organisme tout entier. Le reste du génome, soit 3,25 milliards de paires de bases, était considéré jusqu'alors comme de "l'ADN poubelle", sans fonction significative. Mais ces recherches viennent de montrer, sur une partie représentative du génome, que même les ADN non-codants sont presque tous transcrits en ARN. En outre, ces ARN non-codants régulent de manière spécifique et très fine l'expression des protéines : si ce mécanisme de régulation se dérègle, entraînant une production insuffisante ou excessive de telle ou telle protéine dans une cellule, la conséquence sera l'apparition de pathologies. La découverte de ce mécanisme génétique global complexe de régulation ouvre évidemment de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques et va accélérer l'avènement d'une médecine prédictive capable de détecter très précocement l'apparition de la plupart des grandes maladies.

Au cours des cinq dernières années, l'étude du génome humain a ainsi permis d'identifier des milliers de nouveaux biomarqueurs, ces molécules circulant dans le sang qui témoignent de la présence d'un cancer, d'une maladie cardiaque, ou d'un diabète par exemple. Ces biomarqueurs, dont le plus connu est l'antigène spécifique de la prostate (PSA), aident à détecter précocement une pathologie et ainsi à réduire les ravages qu'elle aurait pu entraîner.

Pour mettre en évidence ces variations génétiques présentes entre les humains et découvrir leur rôle, il faut donc analyser le génome de milliers de personnes. Jusqu'à présent, cette analyse comparative se heurtait à des obstacles technologiques et financiers insurmontables. Mais la firme californienne Illimina a mis au point depuis un an des outils d'analyse génomique d'une telle puissance qu'il est à présent possible de multiplier par cent la vitesse de séquençage, tout en réduisant d'autant les coûts. «Il y a un an, alors qu'on programmait la conférence actuelle, il en coûtait 10 millions de dollars pour séquencer le génome d'un être humain. Cela freinait énormément l'accessibilité de ces informations pourtant cruciales aux patients», a rappelé David Bentley, chercheur chez Illumina Inc. «Aujourd'hui, on peut déchiffrer le génome d'un humain pour 100 000 $.»

La puissance de ces nouveaux séquenceurs a donc accéléré de façon fulgurante la découverte des mutations responsables de diverses maladies. Depuis janvier dernier, l'existence de cinq nouveaux gènes associés au diabète adulte a été dévoilée et la présence de ces gènes a été confirmée chez des dizaines de milliers de personnes. Il y a deux semaines, les bases génétiques de sept maladies très répandues (hypertension artérielle, infarctus du myocarde, polyarthrite rhumatoïde, diabètes de types I et II, maladie de Crohn et troubles bipolaires) ont été identifiées grâce à une étude de grande envergure menée par un consortium créé par le Wellcome Trust, un organisme privé britannique de recherche médicale.

L'analyse du génome humain permet aussi de personnaliser le traitement pharmacologique à prescrire aux patients. Les chercheurs ont déjà réussi à identifier dans le génome humain 200 gènes synthétisant des enzymes qui sont responsables du métabolisme des médicaments.

On voit donc, à la lumière de ces nouvelles découvertes, que la cartographie complète du génome humain, terminée en 2003, n'était qu'une première étape, et sans doute pas la plus ardue, vers la compréhension intime de cet océan de complexité que dissimulent nos gènes. Ce sont sans doute des décennies de recherche qui seront nécessaires pour comprendre l'ensemble des interactions et du fonctionnement de nos gènes et pouvoir évaluer les prédispositions génétiques de chacun d'entre nous à développer telles ou telles maladies.

A présent la communauté scientifique est confrontée à tout un travail de reconstruction théorique mais aussi à un défi en terme de modélisation et de puissance informatiques pour mettre au point des outils et méthodes encore plus puissantes qui soient à la hauteur de cette nouvelle complexité biologique. Souhaitons que, face aux USA et au Japon, l'Europe sache mobiliser les moyens nécessaires à cette quête exaltante.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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