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Edito : La génétique va améliorer la productivité agricole de la planète

On l'ignore souvent mais 20 % seulement de la surface de la Terre sont cultivables et cette surface diminue de 10 millions d'hectares chaque année. En 1960, quand la population mondiale n'atteignait qu'environ 3 milliards d'individus, on disposait approximativement d'un demi-hectare de terres cultivables par personne, la surface minimum considérée comme essentielle pour la production d'une alimentation variée, saine et nutritive, composée de produits animaux et végétaux, comme celle consommée aux États-Unis ou en Europe. Mais à mesure que la population humaine continue d'augmenter et d'étendre son activité économique, la surface cultivable vitale se trouve recouverte et perdue pour la production. Au niveau mondial, la surface cultivable disponible par personne est maintenant d'environ 0,23 hectare.

Selon les dernières projections de l'ONU, la population mondiale devrait se stabiliser autour de 9 milliards d'habitants vers 2050 mais cette évolution démographique, conjuguée à la diminution des terres cultivables, forme les termes d'une redoutable équation alimentaire. Les experts estiment aujourd'hui que les rendements devront augmenter de 1 % par an pour faire face à l'expansion démographique des pays en voie de développement et assurer les besoins du reste du monde à l'horizon 2025. C'est pourquoi, partout dans le monde, des chercheurs tentent d'améliorer la productivité des terres cultivables disponibles en utilisant les nouvelles possibilités de la génétique et de la génomique.

C'est ainsi que des chercheurs de l'Institut de l'Evolution de l'Université de Haïfa vont rendre possible la culture de plantes, y compris les céréales, dans les terres salines. En effet, trop de sel dans le sol ou l'eau d'irrigation inhibe la croissance des céréales voire tue les plantes. Les chercheurs israéliens se sont donc tournés vers la plus fameuse source saline : la Mer Morte. Ils ont découvert plusieurs espèces de champignons filamenteux dont Eurotium herbariorum vivant dans ces eaux et se sont donc intéressés à ses ressources génétiques.

Après isolation et séquençage, le gène HOG, responsable de la capacité du champignon à se protéger de la salinité de la Mer Morte, a été cloné dans la bactérie Saccharomyces cerevisae. Cette bactérie génétiquement modifiée a montré une tolérance accrue à la salinité ainsi qu'une résistance à de larges modifications de température. Le gène régule le taux de sel intracellulaire par la production de glycérol. Ceci empêche la cellule de se dessécher et aide à la défense contre la salinité. Le but de l'équipe du Professeur Nevo est de développer une gamme de gènes de résistance pour améliorer la production de céréales. Ces ressources génétiques de résistance au sel présentes dans la Mer Morte pourraient, en effet, permettre une amélioration sensible de l'agriculture en milieu salin à travers le monde.

Une autre équipe de chercheurs dirigée par Xenong Xu (département de pathologie des plantes, université de Californie) et David Mackill (International Rice Research Institute, Manille, Philippines) tente, quant à elle, de permettre la culture de céréales, et notamment de riz, en zones inondées.

Il faut en effet savoir que la surface des terres cultivables diminue, et l'amélioration des rendements du riz cultivé en zone irriguée (75 % de la récolte mondiale) ne suffit plus à satisfaire les besoins. Et ce alors même que le développement de plants hybrides en Chine a permis de doubler la production de cette riziculture en trente ans. De leur côté, la riziculture pluviale (4 % de la production) et la riziculture à submersion profonde dans les deltas (3 %) ne peuvent contribuer non plus à combler des besoins qui vont croissant.

Aussi les spécialistes s'orientent-ils vers un quatrième type de riziculture, dite inondée ou de bas-fonds, dont les surfaces pourraient être étendues. Mais cette technique souffre trop souvent des aléas de la météo. S'il aime l'eau, le riz supporte mal d'être complètement submergé plus de quatre jours. Or, en cas d'inondation, il peut rester immergé pendant deux semaines, ce qui entraîne la destruction d'environ 10 % des récoltes.

Mais ces chercheurs américains et philippins ont identifié le gène (Sub1A) qui gouverne la tolérance du riz à l'inondation dans une variété de riz de type indica - une sous-espèce d'Oryza sativa - qui est la plus cultivée sur la planète. Grâce à cette découverte majeure, publiée dans la revue Nature du 10 août, il devrait être possible de transférer très rapidement cette propriété dans plusieurs variétés de riz.

Expérimentée en Inde, cette opération, qui a été effectuée selon des méthodes classiques de croisement, et non par transformation génétique, a rendu le plant résistant à des inondations d'une quinzaine de jours. De plus, ses rendements ont été accrus. Le développement d'autres variétés tolérantes à la submersion est en cours au Laos, au Bangladesh et en Inde. Ces travaux devraient permettre de développer la culture du riz inondé, qui est principalement pratiquée en Asie du Sud et du Sud-Est. Ce type de culture couvre 54 millions d'hectares (soit un tiers des rizières) et assure 17 % de la récolte mondiale.

Enfin, rappelons qu'en mars 2005, des chercheurs du centre de recherche de Syngenta à Jealott's Hill en Grande-Bretagne, ont réussi à augmenter nettement la teneur du riz en provitamine A. Ce riz doré de seconde génération contient 37 microgrammes/g de caroténoïdes, soit une quantité 23 fois supérieure à celle du "riz doré initial". La teneur en provitamine A du "riz doré 2" est maintenant suffisamment élevée pour couvrir une grande partie du besoin journalier des populations concernées.

Ces quelques exemples montrent que, sans prétendre constituer une panacée au problème gigantesque de la malnutrition dans le monde, les récentes découvertes dans le domaine de la génétique agricole devraient permettre une augmentation sensible de la productivité agricole mondiale sans avoir recours à des engrais ou pesticides dangereux et coûteux. Ces recherches remarquables montrent également à quel point la connaissance intime des mécanismes fondamentaux communs à l'ensemble du vivant est devenue un enjeu technologique économique et politique essentiel.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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