RTFlash

Edito : Le défi mondial des plastiques : vers une révolution nécessaire

Résumé de l’édito :

Quatre-vingt-quinze États ont signé l' « appel de Nice » pour un traité contraignant visant à réduire la production de plastiques primaires, une approche révolutionnaire qui s'attaque enfin à la source du problème. La production mondiale de plastique est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 500 millions en 2025, et pourrait bondir de 66 % d'ici 2040 sans intervention urgente. Les plastiques représentent plus de 80 % des déchets aquatiques et 10 millions de tonnes finissent chaque année dans les océans, menaçant de contaminer 750 millions de tonnes d'eau marine d'ici 2050.

Le recyclage actuel ne suffit pas : seuls 30 % des plastiques sont recyclés en France, loin de l'objectif de 55 % pour 2029. Les recherches se tournent vers des alternatives prometteuses comme les bioplastiques PLA résistant à 500°C, des plastiques auto-destructibles  ou des matériaux se dégradant dans l'eau de mer sans créer de microplastiques. L'industrie développe le recyclage enzymatique avec des entreprises comme Carbios, et des innovations permettent même de transformer les déchets plastiques en médicaments comme le paracétamol.

Des technologies de dépollution émergent avec des robots collecteurs autonomes comme le Waste Shark ou le Jellyfishbot, capables de nettoyer océans et cours d'eau. Face à ce défi planétaire, une stratégie à trois piliers s'impose : établir un traité mondial contraignant, intensifier la recherche sur le recyclage écologique, et déployer massivement des robots de nettoyage intelligent. Seule une révolution vers des matériaux entièrement biodégradables permettra de sortir de cette impasse environnementale majeure.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Editorial :

Le défi mondial des plastiques : vers une révolution nécessaire

L'urgence d'un traité international contraignant

Le 10 juin dernier marquait un tournant potentiel dans la lutte contre la pollution plastique. Quatre-vingt-quinze États ont signé l'« appel de Nice » pour un traité ambitieux sur le plastique, une initiative française lancée lors de la troisième édition de l'UNOC. Cette déclaration vise à faire pression sur les États-Unis et la Chine, les deux plus gros consommateurs mondiaux de plastiques, qui demeurent réticents à tout accord contraignant.

L'innovation majeure de ce projet réside dans son approche : pour la première fois, un traité international envisage « l'adoption d'un objectif mondial visant à réduire la production et la consommation de polymères plastiques primaires à des niveaux durables ». Cet objectif, régulièrement révisable, reconnaît enfin que s'attaquer uniquement aux déchets ne suffit plus – il faut agir à la source.

Des chiffres qui donnent le vertige

L'ampleur du défi se mesure aux statistiques alarmantes de notre époque. La production mondiale de plastique a explosé, passant de 2 millions de tonnes en 1950 à 500 millions de tonnes en 2025. Sans intervention urgente, cette production pourrait encore bondir de 66 % d'ici 2040, selon les projections actuelles.

Les conséquences sont déjà dramatiques : le plastique représente plus de 80 % des déchets aquatiques, et environ 10 millions de tonnes de déchets plastiques finissent chaque année dans les océans. L'OCDE prévoit que, sans cadre contraignant international, la production devrait atteindre le milliard de tonnes avant 2050. Quant aux déchets plastiques, ils pourraient presque doubler entre 2020 et 2040, dépassant 600 millions de tonnes. À ce rythme insoutenable, 750 millions de tonnes de plastiques pourraient contaminer nos océans d'ici 2050 – une masse équivalente à celle de tous les poissons du globe.

Un enjeu climatique majeur

Cette pollution massive n'affecte pas seulement notre santé et notre environnement : elle constitue une menace climatique de premier plan. Les émissions liées à la seule production de plastique pourraient quadrupler d'ici 2050, représentant 15 % des émissions globales de gaz à effet de serre – plus de 10 gigatonnes par an, soit l'équivalent des émissions cumulées de l'UE et des États-Unis.

Face à cette perspective, l'« appel de Nice » réclame « des obligations contraignantes » pour les États. Les pays signataires seraient tenus de rendre compte de leur production, de leurs importations et exportations de polymères plastiques primaires. Le traité prévoit également « l'élimination progressive des produits plastiques les plus problématiques », avec l'établissement d'une liste mondiale régulièrement mise à jour selon les études scientifiques.

Les limites du recyclage

Même la France, pourtant à l'initiative de cette démarche, peine à respecter ses propres objectifs. Le taux de recyclage du plastique n'atteint aujourd'hui que 30 %, bien loin de l'objectif officiel de 55 % fixé pour 2029. Dans la réalité, 90 % du plastique produit annuellement ne sont pas correctement recyclés.

Le recyclage des plastiques se heurte à des contraintes physiques et chimiques importantes. Au fil des cycles, la matière première recyclée se dégrade, altérant les propriétés des plastiques recyclés et limitant leurs utilisations. Seuls les thermoplastiques sont économiquement recyclables, tandis que les plastiques thermodurcissables et les élastomères restent difficiles à refondre.

Deux approches de recyclage coexistent : le recyclage en "boucle fermée", où les matières recyclées retrouvent leur utilisation d'origine après mélange avec des matières vierges, et le recyclage en "boucle ouverte" ou décyclage, produisant des plastiques de moindre qualité. Malheureusement, seule une proportion limitée suit la première voie – principalement les bouteilles PET – tandis que la plupart des autres matériaux sont "décyclés".

Les projections révèlent l'insuffisance structurelle du recyclage. Même dans un scénario optimiste où 55 % des déchets plastiques seraient recyclés d'ici 2030 (objectif du Pacte vert européen), l'augmentation de la production de plastique vierge ne serait retardée que de vingt ans. Même avec un taux de recyclage de 90 %, on ne gagnerait que soixante-dix ans, sans empêcher la progression continue de cette production.

L'efficacité prouvée des interdictions

Des études récentes démontrent l'impact positif des mesures d'interdiction. Une recherche menée par des chercheurs de l'université Columbia et Kimberly Oremus de l'université du Delaware a analysé les campagnes de ramassage de l'ONG Ocean Conservancy entre janvier 2016 et décembre 2023 aux États-Unis (voir Popular Science). Les résultats montrent qu'interdire les sacs plastiques à usage unique ou les faire payer dans les supermarchés réduit significativement leur nombre : entre 25 % et 47 % selon les cas étudiés.

Les innovations prometteuses

- Les bioplastiques de nouvelle génération

Pour relever simultanément les défis climatique, sanitaire et environnemental, la recherche mondiale s'intensifie autour de matériaux durables, recyclables et non issus des énergies fossiles.

L'acide polylactique (PLA) représente une alternative biosourcée prometteuse, notamment pour l'emballage. Cependant, sa fragilité thermique limite encore son usage. Des chercheurs français de l'Institut de recherche de chimie Paris (CNRS/Chimie ParisTech – PSL) ont récemment développé un procédé révolutionnaire utilisant un catalyseur à base de fer. Cette approche "tandem" permet d'enchaîner deux réactions de polymérisation en une seule opération, produisant des copolymères PSE-PLA à partir de matières premières renouvelables comme le lactide et l'isosorbide. Ces nouveaux matériaux résistent à plus de 500°C avant dégradation (voir Wiley).

- Des plastiques auto-destructibles

Une équipe associant des chimistes du Laboratoire hydrazines et composés énergétiques polyazotés et du laboratoire Catalyse, polymérisation, procédés et matériaux, a présenté un procédé révolutionnaire basé sur le tétraméthyltétrazène (TMTZ). Cette technique simple permet de déclencher par simple chauffage la dépolymérisation contrôlée des chaînes moléculaires, ouvrant la voie à des polymères biodégradables sur commande.

- Le plastique qui se dégrade dans l'océan

Fin 2024, l'équipe de Takuzo Aida du Centre RIKEN au Japon a créé un plastique supramoléculaire biodégradable révolutionnaire. Ce matériau se comporte comme un plastique traditionnel à l'air libre, mais se décompose dans l'eau de mer sans produire de microplastiques. La clé réside dans l'association ingénieuse de deux monomères ioniques : l'hexamétaphosphate de sodium et un monomère à base de guanidinium, permettant une dégradation par les bactéries océaniques en moins d'une journée. Les produits de dégradation, riches en azote et phosphore, servent même de nutriments aux micro-organismes marins (voir Science).

- L'alternative cellulosique transparente

L'équipe de Noriyuki Isobe à l'Agence japonaise pour les sciences marines et terrestres (JAMSTEC) a développé le tPB (transparent Paper Board), un matériau entièrement constitué de cellulose vierge. Grâce à un traitement au bromure de lithium, ils ont éliminé le besoin de coagulants chimiques habituels. Un gobelet en tPB résiste à l'eau bouillante pendant plus de trois heures et un simple enduit végétal le rend totalement étanche, offrant une alternative crédible aux gobelets plastiques (voir Science Advances).

Les innovations industrielles

- Le recyclage enzymatique à l'échelle industrielle

L'industrie cosmétique, grande consommatrice de plastiques, commence sa mutation. L'Oréal, qui utilise plus de 10 000 tonnes de plastique par an, vise 100 % d'emballages recyclés ou biosourcés d'ici 2030. Le géant a signé un contrat avec Carbios, entreprise auvergnate pionnière du recyclage enzymatique. Contrairement aux procédés thermomécaniques énergivores, Carbios utilise des enzymes spécifiques pour décomposer le PET en monomères de départ, permettant un recyclage infini. La première usine industrielle mondiale de ce type ouvrira en 2027 à Longlaville, en Lorraine.

- Du déchet au médicament

L'université d'Édimbourg a récemment réalisé une prouesse remarquable : synthétiser du paracétamol à partir de déchets plastiques grâce à des bactéries E. Coli génétiquement modifiées. Ce processus hybride chimio-biologique transforme les composants de bouteilles PET usagées en molécules PABA, puis en paracétamol. Cette avancée ouvre la voie à une valorisation haute valeur ajoutée des déchets plastiques, potentiellement extensible à de nombreux types de plastiques (voir The University of Edinburg).

Les technologies de dépollution marine

- Les robots collecteurs autonomes

Londres déploie dans la Tamise le Waste Shark, un navire autonome électrique développé par Ran Marine Technology (Rotterdam). Ce robot détecte et "avale" les déchets flottants, fonctionnant huit heures sur une charge et collectant jusqu'à 500 kg de déchets par jour (équivalent à 21 000 bouteilles plastiques). Équipé de capteurs et caméras, il prélève aussi des échantillons d'eau et collecte des données environnementales. Il est déjà déployé à Dubaï, Rotterdam, Paris, Singapour, Afrique du Sud et États-Unis (voir Ran Marine).

La Méditerranée bénéficie du Jellyfishbot, créé par Nicolas Carlési (IADYS, 2016). Ce robot collecte de manière autonome déchets, microplastiques et hydrocarbures tout en évaluant la qualité de l'eau. Plus d'une centaine d'unités sont déployées mondialement, notamment dans les ports français de Paris, Cannes et Saint-Tropez (voir Made In Marseille).

- Les micro-robots en essaims

L'université de Brno (République tchèque) a conçu des essaims de microsystèmes sphériques de 2,8 micromètres, inspirés des bancs de poissons. Ces minuscules robots combinent des polymères chargés positivement (qui attirent plastiques et microbes) à des microparticules magnétiques contrôlables. Réutilisables et récupérables par aimant, ils illustrent « le formidable potentiel des essaims de microrobots coordonnés pour résoudre les problèmes complexes de pollution marine », selon Martin Pumera qui dirige ces recherches (voir ACS Publications).

Une stratégie à trois piliers

Face à ce défi planétaire, trois leviers complémentaires doivent être actionnés simultanément :

Premièrement, et c'est le plus crucial : établir un traité mondial contraignant interdisant à terme toute production de plastiques non entièrement biosourcés et biodégradables, particulièrement dans les environnements marins.

Deuxièmement, intensifier les recherches visant à dégrader et recycler les plastiques actuels par des procédés peu énergivores et écologiques.

Troisièmement, déployer massivement, dans le cadre de coopérations internationales, des flottilles de robots de différentes tailles capables, grâce à l'intelligence artificielle, de nettoyer océans et cours d'eau en extrayant les micro-déchets plastiques qui menacent écosystèmes et santé humaine.

Si nous voulons léguer un monde vivable à nos enfants, le moment est venu d'intégrer ce défi du plastique à la lutte globale contre le changement climatique et pour la protection environnementale. Le recyclage ne suffira pas – seule une révolution vers des matériaux entièrement biodégradables nous permettra de sortir de cette impasse planétaire.

René Trégouët

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Rédacteur en Chef de RT Flash

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

  • Recycler le CO2 en le piégeant dans du béton

    Recycler le CO2 en le piégeant dans du béton

    Près de Haguenau (Bas-Rhin), au centre de méthanisation de Wittersheim, la première unité de liquéfaction de dioxyde de carbone (CO2) permettant de capturer 4.200 tonnes de CO2 par an a été ...

  • Le changement climatique entraînera une augmentation des séismes

    Le changement climatique entraînera une augmentation des séismes

    Chaque année à travers le monde, plusieurs dizaines de séismes majeurs se produisent. Ces événements peuvent causer la mort de centaines de milliers de personnes, comme récemment en 2010 (226 000 ...

  • Des microalgues pour capter le carbone

    Des microalgues pour capter le carbone

    Une équipe de scientifiques dirigée par le BIAM (CEA/CNRS/Aix-Marseille Université) a découvert que deux processus clés de la photosynthèse – le mécanisme de concentration du CO2 et la ...

Recommander cet article :

back-to-top