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Edito : Les déchets plastiques : un nouveau défi planétaire

Selon une étude américaine publiée en juillet 2017, de 1950 à 2015, sur une production totale de 8,3 milliards de tonnes, 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été accumulés. Environ le cinquième de cette gigantesque masse a été incinérée ou recyclée (21 %) mais la grande majorité a été stockée dans les décharges, ou rejetée tout simplement dans la nature et les océans, comme le montre une récente étude menée par Jenna Jambeck (Voir Science Advances).

Ces travaux prévoient qu’au rythme actuel, la quantité de déchets plastiques va doubler d’ici 2050, ce qui pose un problème redoutable car la plupart des matières plastiques ne sont pas ou peu biodégradables, et peuvent persister des centaines voire des milliers d'années dans l'environnement, avant d’être totalement éliminées. De récentes recherches ont évalué la surface de la partie émergée du 7e continent à 3,5 millions de km2, soit 150 millions de tonnes de déchets. A ce rythme, et si aucune mesure sérieuse n’est prise au niveau international, il pourrait y avoir, en masse, 750 millions de tonnes de plastiques dans les océans, une quantité plus importante que la masse de tous les poissons vivant dans l’ensemble des mers du globe….

Aucune production humaine de nouveaux matériaux n’a augmenté aussi fortement et aussi vite que celles des plastiques : d’à peine un million de tonnes en 1950, la production mondiale est passée à 320 millions de tonnes en 2017 (dont 60 millions de tonnes en Europe), et ce matériau, sous ses différentes formes, est devenu le plus fabriqué, derrière le ciment (4,8 milliards de tonnes en 2017) et l’acier (1,7 milliards de tonnes en 2017).

Comme le montrent régulièrement les medias, une partie de ces déchets s’amoncellent dans les des océans, où ils causent des ravages sur les animaux marins et les écosystèmes. On estime qu’au moins 8 millions de tonnes de déchets plastiques sont aujourd’hui rejetés chaque année en mer par les pays côtiers. Parmi ces vortex de déchets, on trouve la « grande zone d'ordures du Pacifique » (Great pacific garbage patch, GPGP), située mi-chemin entre Hawaï et la Californie, qui vient de faire l’objet d’une étude scientifique (Voir Nature). Les chercheurs évaluent sa taille à environ 1,6 million de km2, soit trois fois la France continentale et, en se basant sur la récolte de 1,2 million d'échantillons et sur l’analyse d’images prises d’avions, ces chercheurs estiment que cette zone de pollution regroupe au moins 80.000 tonnes de matières plastiques. Au total, plus des trois quarts (en masse) des plastiques usagés terminent dans nos décharges, nos fleuves et nos océans. Le quart restant est réparti entre recyclage et incinération. Au final, à peine 2 % des plastiques sont véritablement recyclés en circuit fermé, pour produire un matériau utilisable comme un plastique neuf.

Toutefois, un événement économique et politique majeur va nous obliger à prendre enfin ce défi du recyclage des matières plastiques à bras le corps : Jusqu’en 2017, la Chine traitait 7,5 millions de tonnes de plastiques par an, soit plus de la moitié du plastique recyclé de la planète. Mais depuis le début de l’année, la Chine a décidé de fermer ses portes à 24 catégories de déchets solides, notamment certains plastiques, ce qui est en train de bouleverser le marché planétaire des déchets. Comme le souligne Arnaud Brunet, directeur du Bureau international du recyclage (BIR) basé à Bruxelles, « C'est un séisme pour toute notre industrie, car la Chine est tout simplement le premier marché mondial pour l'exportation de matières recyclables ».

On comprend mieux les immenses conséquences de cette décision chinoise quand on sait que l'Union européenne (UE), exporte plus de la moitié de ses plastiques collectés et triés, dont 85 % vers la Chine. Il va donc falloir que l’Europe se tourne rapidement vers de nouveaux pays asiatiques, potentiellement en capacité de se substituer à la Chine, comme l'Inde, le Pakistan et le Cambodge. Mais il faudra plusieurs années à ces États, avant qu’ils ne soient en capacité industrielle et technologique de traiter cette nouvelle masse supplémentaire considérable de déchets plastiques, sans compter les réticences croissantes des populations locales, de plus en plus conscientes des dommages de ce retraitement massif pour la santé et l’environnement…

Dans ce nouveau contexte économique, plusieurs avancées scientifiques et techniques pourraient changer la donne et permettre enfin le recyclage massif et rentable des matières plastiques. Des scientifiques allemands ont par exemple développé un nouveau processus de recyclage pour les déchets, qui s’applique aussi aux plastiques souillés ou mélangés. Jusque-là, il était nécessaire de les trier en amont du processus de recyclage, afin de séparer les cinq grandes familles de plastiques, le polychlorure de vinyle (PVC), le polyéthylène (PE), le polystyrène (PS), le polyéthylène téréphtalate (PET) et le polypropylène (PP) (Voir BMBF).

Le polyéthylène téréphtalate (PET) est un matériau très répandu, que l’on retrouve dans de nombreux objets du quotidien, comme par exemple les bouteilles en plastique, les jouets et emballages divers. Mais son recyclage n’est possible que s’il ne présente pas de grosses impuretés, ce qui suppose un tri sévère en amont. Pour lever cet obstacle, le projet solvoPET vise à permettre un large recyclage des PET, souillés ou non, sans avoir à les trier en amont. Pour atteindre cet objectif, les chercheurs décomposent les éléments chimiques du PET (l’éthylène glycol et l’acide téréphtalique) qui, séparés, sont réutilisables dans le cadre d’un processus de transformation nouveau.

En France, Renaud Nicolaÿ et Ludwik Leibler du laboratoire Matière Molle et Chimie (ESPCI Paris / CNRS) ont mis au point en 2011 un nouveau matériau à base de plastique recyclé : le vitrimère. Celui-ci possède une structure moléculaire souple : lorsque certaines liaisons intramoléculaires se rompent, d'autres se forment ailleurs. Ces propriétés permettent au vitrimère de se présenter sous plusieurs formes : il peut être souple, mais également rigide et avoir des propriétés proches de celles du verre.

Le vitrimère est donc le matériau idéal pour constituer de nombreux revêtements protecteurs, canalisations, cuves, robots électroménagers, vitres organiques, pièces automobiles, etc. L’année dernière, les mêmes chercheurs ont découvert une réaction chimique inédite de métathèse, qui transforme en vitrimère tout polymère ayant un squelette carboné, soit 75 % des plastiques. Cette réaction fait d’une pierre deux coups : elle permet de réutiliser les plastiques sans avoir besoin de les trier et ouvre la voie à la production d’alliages vitrimères aux propriétés améliorées.

Signalons également qu’il y a quelques semaines, Carbios, une société basée à Clermont-Ferrand, pionnière dans le domaine de la bioplasturgie, a annoncé une avancée majeure dans l’optimisation de son procédé de biorecyclage de bouteilles usagées en PET. Le PET (polytéréphtalate d'éthylène) est l'un des plastiques les plus communs, puisqu'il représente plus de 20 % de la production mondiale de plastiques. CARBIOS avait déjà découvert une enzyme particulièrement efficace pour dégrader les plastiques PET. Mais cette fois, cette société s’est associée avec des chercheurs du Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Biologiques et des Procédés (LISBP) pour améliorer la structure tridimensionnelle de cette enzyme et son efficacité.

Ces travaux ont permis de diviser par trois la durée de l’hydrolyse et d’atteindre le taux record de 97 % de conversion après 24 heures de réaction. Une telle performance ouvre la voie vers un retraitement industriel rentable des flux de déchets PET pouvant être traités par voie enzymatique. S’appuyant sur cette rupture technologique, Carbios compte entrer en phase de démonstration industrielle dès 2019 avec la mise en place d’une unité de production recyclée de 10 000 tonnes de PET. Comme le souligne Alain MARTY, Directeur Scientifique de CARBIOS, « Nos travaux constituent une avancée majeure qui permettra à toute l’industrie plastique d’engager une transition responsable vers un véritable modèle d’économie circulaire ».

Mais la chimie fine n’est pas la seule à apporter sa contribution dans ce défi majeur du recyclage des plastiques. La robotique fait également assaut d’imagination dans ce domaine. Pour trier ses déchets, la ville de Denver, au Colorado, a choisi un étonnant robot. Baptisé Clarke, celui-ci est piloté par un programme d’intelligence artificielle, qui lui permet d’apprendre à trier de mieux en mieux les déchets. Avec ses caméras et ses capteurs, placés au-dessus d’un tapis roulant, Clarke détecte par exemple les emballages ayant contenu des aliments et qui peuvent être recyclés plutôt qu’incinérés. Avec son bras muni de ventouses, Clarke les récupère et les envoie au recyclage, au rythme de 60 emballages à la minute, soit un par seconde.

De son côté, la société Green Creative, créée par trois anciens élèves de l’Ecole d’ingénieurs des Arts et Métiers, a mis au point le R3D3 (cousin du sympathique petit robot R2D2 du film «  Star Wars »). Haut de 1,10 m et pesant 60 kilos, ce robot-poubelle intelligent et connecté est capable de reconnaître, de compresser et de trier automatiquement les canettes, les gobelets et bouteilles en plastique pour ensuite les diriger vers les bons bacs de recyclage. Prévu pour être utilisé dans des endroits de forte consommation (cafétérias, entreprises, centres commerciaux, halls de gare…), R3D3, avec ses 3 bacs de 40 litres avale sans broncher goulûment une grande quantité de déchets (100 bouteilles, 300 canettes et 400 gobelets). Lorsqu’il est plein, ce robot envoie un mail ou un SMS ; il peut aussi donner l’alerte en cas d’incident et transmet toutes les données pour permettre une traçabilité efficace des déchets. Il dispose également d’une batterie auxiliaire, assurant le fonctionnement en cas de coupure d’alimentation.

En Suisse, Genève va ouvrir l’année prochaine, à Satigny, son premier centre de tri totalement automatisé et robotisé. Développé par Sortera, celui-ci pourra traiter, par an, plus de 70 000 tonnes de déchets de toute nature. Ce centre sera équipé de robots fournis par ZenRobotics, qui utilisent des logiciels d’intelligence artificielle et des capteurs haptiques, commandant les bras robotisés qui trient les déchets.

S’agissant du problème mondial que constitue la pollution des mers par les déchets en plastiques, plusieurs solutions sont à l’étude. En 2012, Boyan Slat, étudiant à l’Université de Technologie de Delft, a présenté une remarquable innovation, baptisée Ocean Cleanup. Le principe est simple : un système de longs bras flottants placés sous l'eau à des endroits stratégiques contre lesquels se colleront les plastiques. Ces derniers sont ensuite piégés, stockés dans une tour flottante et récupérés par camion-citerne quelques semaines après pour être recyclés. Cette "tour centrale" pourra contenir jusqu'à 3000 mètres cubes de plastiques. A l'issue de 5 années de recherche supplémentaires, cette équipe a en outre pu montrer qu’une multitude de petits systèmes libres serait plus efficace compte tenu des courants océaniques. Dès 2019, Boyan Slat, qui a déjà récolté plus de deux millions de dollars avec sa fondation, va mettre en œuvre une trentaine d’écrans d’un à deux kilomètres de long qui, attachés non plus au fond mais à une ancre flottante, vont ainsi être déployés. Boyan Slat espère nettoyer 50 % de la grande plaque de déchets du Pacifique d’ici cinq ans.

Un autre projet complémentaire d’Ocean Cleanup mérite d’être signalé. Imaginé et développé par le navigateur franco-suisse Yvan Bourgnon, ce projet repose sur l’utilisation d’un nouveau type de voilier quadrimaran collecteur de déchets. La maquette de ce navire, baptisé « Manta » a été présentée il y a quelques semaines. Ce bateau, qui devrait être opérationnel en 2022, fera 49 mètres de large et 70 de long. Il est équipé de tapis roulants situés entre les coques du navire ; ceux-ci vont aspirer les déchets à environ un mètre de profondeur. Ces derniers seront ensuite compactés et stockés. Le plastique ainsi récupéré sera donc réutilisé comme carburant du navire, qui fonctionnera également grâce aux voiles et à quatre moteurs alimentés par énergie éolienne et solaire.

Il faut également évoquer le projet de Nicolas Carlesi, doctorant en robotique et intelligence artificielle, qui vise plus spécifiquement à nettoyer les ports pollués. Celui-ci a conçu un étonnant robot marin, le "Jellyfishbot". Cet engin mesure 70 centimètres et pèse environ 17 kilos. En rodage dans le port de Cassis (Bouches-du-Rhône), il récupère avec une efficacité bien meilleure que des agents humains les différents types de détritus présents dans l’eau.

Mais la bataille contre la pollution par les déchets plastiques se joue également sur le terrain législatif et politique. En France, seul un quart des 3,4 millions de tonnes de plastiques produits est aujourd’hui recyclé, contre plus de la moitié en Allemagne et un tiers au niveau européen. Mais le gouvernement s’est engagé à atteindre les 100 % de plastique recyclé en 2025. Au niveau européen, le « paquet » de directives sur l'économie circulaire, qui vient d’être approuvé par les états-membres, prévoit 50 % des plastiques recyclés en 2025. Bruxelles a par ailleurs annoncé le 28 mai dernier un projet de directive visant tout simplement à bannir les objets en plastiques jetables. Une dizaine d'objets du quotidien sont placés dans le viseur de Bruxelles tels que les cotons-tiges, les pailles, les couverts ou encore les assiettes en plastique et ballons de baudruche.

Cette directive vise à terme l'interdiction sur le marché des objets en plastique facilement remplaçables par des objets constitués de matériaux plus durables. Les pays membres de l'Union européenne devront également réduire l'utilisation des récipients alimentaires et gobelets pour boissons en plastique. Les industriels concernés devront également mettre en place des systèmes de consignes, avec un objectif de collecte de 90 % pour les “bouteilles pour boissons à usage unique en plastique d'ici à 2025”. Enfin, et ce n’est pas le moins important, les pays de l'UE devront également informer leurs citoyens sur le recyclage et la gestion des déchets plastique et sur leur impact néfaste pour la santé et l’environnement.

L’objectif européen final est de faire en sorte qu’à l’horizon 2030, l’industrie du plastique soit devenue entièrement circulaire, avec un recyclage ou une valorisation énergétique de tous les déchets plastique. L’enjeu est considérable, puisque cet objectif, s’il est atteint, permettra une économie globale d’au moins 220 milliards d’euros en matière de santé et d’environnement.

Mais l’ensemble de ces mesures ne suffiront pas et c’est bien à la production et à l’utilisation de matières plastiques « à la source » qu’il faut résolument s’attaquer. Nous devons, d’ici 10 ans, au niveau national et européen, soit remplacer l’ensemble des produits en plastiques que nous utilisons au quotidien par d’autres matériaux plus respectueux pour l’environnement, soit substituer aux grands familles de plastiques actuelles de nouveaux types de plastiques biodégradables, ce qui est à présent envisageable, grâce aux extraordinaires progrès en cours en matière d’ingénierie chimique et de conception de nouveaux matériaux et de nouvelles molécules par modélisation informatique.

Ce gigantesque défi du recyclage complet des matières plastiques s’inscrit dans la problématique plus vaste de la mutation mondiale vers une économie totalement circulaire, dans laquelle la production de tous les produits et matériaux utilisés par l’homme devra, d’ici 20 ans , être intégralement conçue de manière à pouvoir, en fin de cycle, être éliminée, recyclée ou valorisée sans porter atteinte à notre santé et en préservant notre planète pour les générations futures.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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