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Edito : Ce qu'il a fait, nul robot ne l'aurait fait ...

Ce sont quelques mots prononcés par Philippe Monnet à son arrivée à Brest il y a quelques jours après qu'il ait conquis l' « Everest des marins » en bouclant son tour du monde en solitaire à la voile, contre les vents et les courants dominants, qui m'ont inspirés ces quelques réflexions. En mots très simples : « j'ai toujours été guidé par des passions », cet homme hors du commun nous a montré l'immense réservoir dans lequel il a puisé le courage pour affronter des océans d'une sauvagerie démentielle en cette année folle qui, au niveau des éléments, n'était « pas une bonne année pour un tour du monde ». Quand des montagnes d'eau se dressent et se renouvellent sans cesse devant votre bateau pendant plus de 140 jours sur les 151 jours de navigation, quand des dépressions se creusent à un rythme effréné, quand il vous faut traverser des champs d'icebergs qui vous font jouer votre vie à la roulette russe, quand vous êtes seul à affronter une vision d'apocalypse provoquée par un violent orage combiné avec une éruption volcanique sous-marine, il vous faut atteindre des limites que seul l'Homme peut se permettre de dépasser... avec l'autorisation de Dieu. Paraphrasant la très jolie phrase « Ce que j'ai fait, nulle bête ne l'aurait fait », que Saint-Exupéry attribuait à Guillaumet alors que lui aussi se battait contre les éléments déchaînés dans les Andes, je pense que ce sont ces défis extraordinaires qui exigent passion, courage... mais aussi un peu de folie qui vont permettre à l'Homme de délimiter son « royaume » où le robot ne pourra jamais le suivre. Imaginons qu'un robot, le plus perfectionné soit-il, puisse être mis à la barre du voilier en Kevlar/carbone de 10,5 tonnes à la place de Philippe Monnet avec la mission impérative de ramener à bon port le navire après avoir bouclé un tour du monde contre les vents et les courants. Le robot n'ayant ni la capacité ni la hargne d'aller chercher dans ses tripes et son courage la volonté de tenir le cap, l'automate aurait abandonné car il aurait été inscrit dans son programme qu'il devait impérativement ramener à bon port le navire . Ceci ne veut pas dire que Philippe Monnet n'avait pas la même volonté vitale de sauver sa peau mais c'est bien entre la frontière logique qui dicte au robot l'ordre de faire demi-tour et les dépassements permis par la passion que se trouve dorénavant le véritable champ d'avenir de l'Homme. Cet exploit de Philippe Monnet qui suivait de quelques jours le 40e anniversaire de la conquête de l'Annapurna par Herzog et Lachenal et qui vient prendre place dans l'immense galerie des exploits gratuits de l'Homme qui depuis l'aube des temps lui ont permis de se dépasser est à rapprocher de la très belle question : « Les passions nous empêchent-elles de faire notre devoir » qui a été posée, en philo, il y a quelques heures, à nos Jeunes qui passent leur bac. Cette question qui nous ramène au stoïcisme, à Marc Aurèle, à Kant, à David Hume et même à Rousseau, nous oblige à réfléchir sur l'opposition éventuelle entre les passions et le devoir. Le sage stoïcien qui n'agit que par devoir veut rendre son âme inaccessible à ses passions. Il ignore alors tous les événements extérieurs qui pourraient lui ôter de la détermination. Kant, doutant des capacités de l'Homme à pouvoir maîtriser ses passions, nous invitait plutôt à les abandonner qu'à les dresser. David Hume fut l'un des premiers à affirmer qu'un être qui agit par devoir peut aussi le faire par passion et insiste sur l'idée qu'il n'y a pas de différence entre la raison et la passion. Dans ce monde nouveau qui s'ouvre devant nous, au sein duquel nous allons déléguer de plus en plus des tâches toujours plus complexes à des robots, il est urgent que l'Homme, dans ce monde techno-dévoré, puisse être guidé par de nouvelles lumières qui, portées par la passion, sauront repousser les frontières de l'aventure humaine.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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