RTFlash

Edito : Cancer : le grand tournant thérapeutique

C'est un véritable vent d'optimisme qui a soufflé à l'occasion du grand congrès annuel de la société américaine d'oncologie clinique, qui a réuni à Chicago le gratin mondial de la cancérologie.

A l'occasion de ce colloque, des avancées dans le traitement de deux cancers redoutables ont été présentées. Une équipe américano-espagnole, codirigée par Joseph Llovet (faculté de médecine du Mount Sinaï, New York) et Jordi Bruix (université de Barcelone), a démontré l'efficacité d'un médicament, le sorafenib, dans le traitement du cancer du foie. De leur côté, les chercheurs du centre médical de l'université VU d'Amsterdam ont mis en évidence les bénéfices d'une irradiation prophylactique du crâne pour les patients ayant un cancer avancé du poumon.

Lorsqu'une cellule tumorale est menacée d'étouffement par ses voisines, elle émet un signal de détresse. L'information, issue du génome, est transportée par des centaines de biomessagers. Si elle sort de la cellule, cette information va déclencher la construction de capillaires sanguins qui provoquent un processus de prolifération.

Grâce à certaines molécules, les chercheurs insèrent dans cette cascade signalétique un leurre qui va couper la transmission, soit en bloquant la propagation du signal dans le cytoplasme, soit en interdisant à la cellule de communiquer avec ses voisines. Une centaine de médicaments inhibiteurs de ce transit sont en cours de développement. Selon Jean-Yves Blay, cancérologue au centre Léon-Bérard de Lyon, les thérapies ciblées vont devenir le protocole de soin standard dans les cinq ans qui viennent.

Dans le traitement du cancer du côlon, le professeur Bernard Nordlinger, chef du service de chirurgie digestive et oncologique de l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt, a présenté lors du congrès de cancérologie de Chicago, les résultats d'une étude internationale. Celle-ci montre que la chimiothérapie, donnée avant et après la chirurgie, permet de réduire significativement le risque de récidive d'un cancer du côlon et du rectum chez les malades opérés de métastases hépatiques. Cette nouvelle approche thérapeutique devrait constituer désormais un traitement de référence pour ces patients.

Dans le cancer du sein, le trastazumab -Herceptin- est un anticorps monoclonal qui se fixe sur les cellules tumorales ayant des récepteurs de surface HER2 - celles qui gouvernent la formation de métastases. En association à la chimiothérapie après chirurgie, « il a augmenté de plus de 50 % le délai sans rechute de la maladie » explique le Professeur Xavier Pivot du CHU de Besançon. Des résultats durables selon une étude du National Cancer Institute américain.

Autre percée remarquable contre le cancer du sein : une étude de phase III réalisée avec l'ixabepilone. Ce nouveau cytotoxique - un médicament chargé de tuer les cellules cancéreuses - « contourne les mécanismes de résistances » aux chimiothérapies actuellement considérées les plus efficaces, telles le taxotère Avec 752 patientes ; c'est la plus large étude jamais réalisée chez des femmes atteintes d'un cancer du sein métastatique en échec thérapeutique. Dans le groupe traité par une association de capecitabine (Xeloda) et d'ixabepilone, le taux de réponse au traitement a été multiplié par 2,5 en regard du groupe témoin (capecitabine seule). Et le taux de survie sans progression de la maladie a augmenté de 40 %. Les auteurs considèrent ces résultats comme « extrêmement prometteurs ».

Contre le cancer du rein, les malades pourront bientôt disposer d'un médicament révolutionnaire, l'Avastin, commercialisé aux Etats-Unis. Celui-ci agit en privant la tumeur de l'apport de sang nécessaire pour se développer et se disséminer dans l'organisme. L'essai clinique a montré que les sujets du groupe traité avec de l'Avastin en plus de leur chimiothérapie standard, ont vécu 10,2 mois après le diagnostic, comparativement à 5,4 mois pour ceux n'ayant pas pris ce médicament.

Le groupe pharmaceutique français Sanofi-Aventis, a, pour sa part, présenté le traitement Aflibercept qui freine la progression d'un cancer avancé de l'ovaire. Sanofi a indiqué que des essais cliniques de phase 3 sont en cours pour étudier les effets de l'Afilbercept en combinaison avec de la chimiothérapie traditionnelle sur cinq des cancers avancés du colon, du poumon, de la prostate, du pancréas et de l'estomac. Une démarche en vue de la mise sur le marché d'Aflibercept devrait être faite en 2011.

Une autre avancée majeure concerne le redoutable cancer du pancréas, presque toujours mortel et résistant aux thérapies habituelles. Au Centre de Recherche en Cancérologie de Montpellier (CRCM), l'équipe d'André Pèlegrin, Directeur de l'Unité Inserm 860 « Immunociblage et radiobiologie en oncologie », vient de démontrer l'efficacité de l'association d'anticorps monoclonaux dirigés contre des récepteurs membranaires dans le traitement des cancers du pancréas. Cette thérapie innovante permet d'inhiber la prolifération des tumeurs et d'induire une rémission complète. Ces anticorps monoclonaux sont actuellement utilisés dans le traitement de différents cancers. (Voir notre article détaillé dans la rubrique « Sciences du vivant »).

Mais les nouvelles armes contre le cancer ne se limitent pas à ces nouveaux médicaments et traitements. De nouveaux outils technologiques permettent également des avancées décisives dans cette lutte sans merci. Après plusieurs années de travail, des chercheurs du CNRS viennent ainsi de finaliser la gama caméra miniaturisée POCI utilisable en bloc opératoire. Dédié au traitement chirurgical du cancer, ce nouveau dispositif d'imagerie médicale permet de cibler les lésions tumorales préalablement marquées de manière radioactive (Voir article dans notre lettre 434). En matière d'imagerie, l'arrivée des Pet-Scan, qui associe scanner et RMN, et leur utilisation en association avec des marqueurs spécifiques, permet de détecter très précocement de minuscules tumeurs qui échappaient jusqu'alors aux autres moyens d'investigations. Mais dans ce domaine de l'imagerie médicale de pointe, il est essentiel que notre pays rattrape son retard inadmissible et se dote d'un nombre d'appareils suffisants par rapport aux besoins médicaux.

Mais il y a encore plus extraordinaire : une étude publiée récemment dans la revue Nature Biotechnology, montre qu'en observant les images dynamiques de tumeurs obtenues par Tomographie Informatisée (CT) il est possible, après analyse, modélisation et reconstruction informatique, de discerner la plupart de l'activité génique de certaines tumeurs. Les chercheurs ont ainsi été capables de reconstituer près de 80 % des profils d'expression génique à partir de seulement 28 images non invasives, révélant la prolifération cellulaire, la fonction altérée du foie, et l'évolution de la maladie chez le patient.

Ainsi, l'activité génique des tumeurs du foie peut être décodée par imagerie non-invasive, ce qui ouvre la voie vers la réalisation de profils moléculaires en série sur les patients, et pourrait permettre, dans un proche avenir, un diagnostic et un traitement personnalisés du patient, en fonction des caractéristiques uniques de sa maladie.

Fait révélateur, pour la première fois depuis 1930, le nombre de morts par cancers est en recul, en valeur absolue, aux Etats-Unis depuis deux années consécutives, ce qui constitue, de l'avis des spécialistes, un tournant historique dans la lutte contre cette maladie. En France, la barre des 50 % de guérisons vient d'être franchie et il ne fait à présent plus aucun doute que, grâce à ces nouvelles générations de médicaments ciblés qui arrivent enfin sur la marché, le cancer sera vaincu et ramené au rang de maladie chronique non mortelle dans une génération.

Mais pour parvenir à cet objectif, nous devons redoubler d'efforts et intensifier la recherche fondamentale et clinique tout en développant de manière considérable la prévention active qui, rappelons le inlassablement, permet d'éviter deux cancers sur trois.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top