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Edito : Antibiotiques : il faut changer de stratégie

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René Trégouët

EDITORIAL

Je reviens cette semaine sur un sujet grave qui fait à nouveau beaucoup parler de lui dans les médias : la présence de plus en plus grande, dans les pays développés, de bactéries résistantes aux antibiotiques. Selon l’OMS, l’antibiorésistance tue 700 000 personnes par an à travers le monde, dont 33 000 en Europe. En 2050, ce phénomène de résistance bactérienne aux antibiotiques pourrait tuer 10 millions de personnes par an dans le monde – plus que le cancer – à moins que les scientifiques ne parviennent à développer de nouvelles classes de médicaments antibactériens et que les Etats changent en profondeur leur stratégie en matière de lutte contre les infections microbiennes.

La France n’est malheureusement pas épargnée par la montée en puissance inquiétante de l’antibiorésistance : on compte chaque année dans notre pays au moins 158.000 cas d'infections liées à des bactéries multirésistantes aux antibiotiques, conduisant à un nombre de décès qui serait de 5 500 à 12 500 par an, selon les études. Une récente étude menée sur 1.200 personnes dans 18 pays d'Europe - et présentée à l'occasion de la Semaine de la gastroentérologie (Barcelone) a montré que la résistance à la clarithromycine, un antibiotique couramment utilisé pour vaincre la bactérie H. pylori, avait doublé depuis 20 ans, passant de 9,9 % en 1998 à 21,6 % en 2018. Rappelons également qu’il y a seulement quelques jours, les autorités japonaises ont révélé que deux bactéries résistantes aux antibiotiques - le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) et la salmonelle résistante aux fluoroquinolones - auraient tué entre 7.400 et 8.100 personnes chaque année dans le pays depuis 2011... (Voir The Japan Times).

Lorsqu’une bactérie pathogène pénètre dans une cellule, elle va immédiatement chercher à s’y répliquer et va reprogrammer sa cellule hôte à son profit. Au cours de cette phase, elle injecte dans la cellule des protéines, appelées « effecteurs », dans le but d’empêcher le suicide de la cellule ce qui entraînerait sa propre destruction. Elle parvient par ce mécanisme à se dissimuler face au système immunitaire et à détourner les nutriments de la cellule pour se nourrir.

Outre-Atlantique, des microbiologistes américains, dirigés par Kim Lewis, professeur à la Northeastern University, ont récemment découvert une nouvelle molécule, la darobactine, dont les propriétés antibiotiques sont très intéressantes. C’est en explorant les propriétés d’une bactérie, baptisée Photorhabdus, qui ne se trouve que dans l’intestin de nématodes, de minuscules vers parasites, que les chercheurs ont découvert que la darobactine avait la précieuse capacité de percer l’enveloppe des redoutables bactéries gram-négatives, en interférant avec la protéine BamA, qui contrôle l’accès à la membrane externe (Voir Northeastern).

Les premiers essais in vitro ont montré que ce nouvel antibiotique pouvait guérir les souris des infections dangereuses d’Escherichia coli et de Klebsiella pneumoniae, sans aucun effet secondaire toxique. Reste à présent un long travail de recherche pour parvenir à adapter la darobactine aux humains.

Autre découverte prometteuse : en Australie, des chercheurs de l’Université de La Trobe, à Melbourne, ont réussi à isoler en 2018 un agent anti-microbien (un peptide) dans les fleurs du tabac. Les scientifiques ont découvert que la plante l’utilise pour se protéger des infections. L’avantage de la fleur de tabac, c’est que, cette fois, l’anti-microbien est utilisable sur l’homme. Ces recherches australiennes ont montré que la plante ornementale Nicotiana alata se protège des infections en produisant des molécules antifongiques. Les scientifiques australiens ont isolé le peptide connu sous le nom de NaD1 qui s’est avéré efficace contre un type de micro-organisme que la plupart des antibiotiques ne peuvent pas tuer : le Candida albicans, un type de levure qui se trouve souvent dans l’intestin et la bouche de l’homme et peut mettre en danger la vie des patients dont le système immunitaire est affaibli. « C’est une découverte passionnante qui débouchera, nous l’espérons, sur une nouvelle classe de thérapie anti-microbienne capable de traiter une gamme de maladies infectieuses, comme les staphylocoques dorés multirésistants et les infections virales, comme le VIH, le virus Zika, la dengue et certaines encéphalites », précise Mark Hulett qui dirige ces travaux (Voir Science Daily).

Une équipe canadienne de l’Université de Sherbrooke vient, quant à elle, de découvrir les propriétés anti-bactériennes puissantes et originales d’un composant de la tomate, la tomatidine. Ces chercheurs, dirigés par les Professeurs François Malouin et Kamal Bouarab, ont découvert que cette molécule avait un pouvoir antibiotique contre le staphylocoque doré. De plus, elle est également efficace contre les formes persistantes de la bactérie ou, en association avec d’autres antibiotiques, pour combattre les infections mixtes impliquant Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa, dont souffrent les patients atteints de fibrose kystique (Voir SAVOIRS UdeS).

La tomatidine agit contre les bactéries en bloquant leur mécanisme de production d’énergie,  un mode d’action original et encore peu exploité. Autre avantage, comme les bactéries causant les infections humaines sont rarement en contact avec ce genre de molécule qui provient de plante, il est très peu probable que les bactéries possèdent déjà des moyens de défense contre ce nouvel antibiotique. Comme le souligne le Professeur Malouin, « Ceci évite que les résistances microbiennes actuelles perturbent son action. De plus, nous avons montré que nous pouvions générer plusieurs dérivés de la tomatidine et qu’il existe donc maintenant une réelle opportunité quant à l’exploitation de telles phytomolécules pour leurs propriétés antimicrobiennes ».

En juillet dernier, une autre équipe de recherche associant des chercheurs du laboratoire Inserm-Université de Rennes et une équipe de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR) a réalisé une découverte majeure. Ces chercheurs ont réussi à identifier une nouvelle toxine bactérienne qui s’avère particulièrement efficace contre les bactéries multirésistantes à Gram positif et négatif. En outre, cette toxine ne semble pas déclencher de résistances lors de son utilisation pour traiter des souris infectées. Cette avancée française pourrait apporter un nouveau souffle ainsi que de nouvelles possibilités pour lutter contre l’antibiorésistance mondiale (Voir Inserm).

Ces chercheurs ont d’abord découvert en 2011 une toxine fabriquée par les staphylocoques dorés dont le rôle était de faciliter l’infection et était également capable de tuer d’autres bactéries présentes dans notre organisme. Ils ont alors pu identifier une molécule qui possédait une double activité toxique et antibiotique. En ne gardant que les propriétés antibiotiques de cette toxine, ces chercheurs ont réussi à concevoir deux molécules qui se sont avérées efficaces contre le Staphylocoque doré et les Pseudomonas aeruginosa résistants sur des modèles murins atteints de sepsis sévères ou d’infections cutanées.

Ces recherches ont permis de montrer que les bactéries laissées en contact pendant plusieurs jours chez l’animal avec ces antibiotiques ne montraient pas de signes de résistance et que ces antibiotiques ne semblaient pas non plus toxiques pour les reins. La prochaine étape va consister à démarrer les essais cliniques de phase I chez l’humain.

Des chercheurs de l’Institut des sciences moléculaires de Marseille (ISM) et de l’Institut de microbiologie de Méditerranée (IMM) ont pour leur part étudié le potentiel thérapeutique de la ruminococcine C, un nouvel antibiotique n’induisant pas de résistance. Ce phénomène de résistance s’est en effet développé à cause d’une utilisation excessive des antibiotiques. En partenariat avec le Laboratoire de chimie et de biologie des métaux de l’Université de Grenoble, les chercheurs marseillais se sont intéressés aux bactéries de notre tube digestif dont une, Ruminococcus, « pour sa capacité à produire des molécules antimicrobiennes, dont la ruminococcine C, qui a une très grande activité pathogène contre des bactéries multirésistantes », explique Mickael Lafond, chercheur à l’ISM (Voir CNRS).

En avril dernier, la firme japonaise Shionogi & Co qui a son siège à Osaka a, pour sa part, annoncé, à l’occasion du Congrès européen de microbiologie clinique et des maladies infectieuses (ECCMID) à Amsterdam, des résultats très prometteurs pour le céfidérocol, une nouvelle céphalosporine sidérophore à un stade clinique avancé. Ces données ont été confirmées en octobre dernier par un essai international de phase 3 et montrent que le céfidérocol pourrait lutter efficacement contre les infections causées par les bactéries Gram négatif (GN), qui sont parmi les plus difficiles à traiter (Voir PHARMA Field).

Ce nouvel antibiotique applique la stratégie du cheval de Troie à la lutte contre la résistance bactérienne aux antibiotiques : il s’agit de dissimuler un antibiotique auquel une bactérie résiste, à l’aide d’une molécule familière et même indispensable à cette bactérie. L’antibiotique masqué par cette molécule parvient ainsi à pénétrer la bactérie alors que seul il n’y parvient pas. Mais ce stratagème ne fonctionne que pour le mécanisme de résistance par fermeture des pores ou celui par efflux. Dans le cas présent, les chercheurs sont partis de l’observation que toutes les bactéries pathogènes (à part les borrélia) ont besoin de fer et leur besoin ne cesse de croître à mesure que l’infection se développe. Pour capter le fer qui leur est nécessaire, elles produisent des molécules spécialisées dans la captation du fer : les sidérophores.

Les chercheurs ont donc eu l’idée d’utiliser une molécule sidérophore pour dissimuler un antibiotique auquel la bactérie est résistante par imperméabilité de sa paroi, par rejet et par production d’une enzyme inactivatrice. Ainsi leurrée, la bactérie accepte l’antibiotique sans le rejeter, ce qui permet à ce dernier de la tuer plus facilement, avant qu’elle n’ait eu le temps de déclencher son mécanisme de neutralisation par enzyme inactivatrice. En couplant le céfidérocol, un antibiotique de type céphalosporine, à un sidérophore lui servant de cheval de Troie, ces chercheurs ont conçu une arme à double détente efficace vis-à-vis d’une large variété de bactéries pathogènes, y compris des bactéries hautement résistantes aux antibiotiques commercialisés.

Mais les scientifiques progressent également dans l’élucidation des mécanismes fondamentaux qui permettent à la plupart des bactéries de développer de redoutables propriétés de multirésistance à une panoplie complète d’antibiotiques. Il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Université de Newcastle au Royaume-Uni ont étudié des échantillons de patients âgés souffrant d’infections récurrentes des voies urinaires (IVU récurrentes). En utilisant des techniques de pointe, ils sont parvenus à déterminer qu’une bactérie peut modifier subtilement les formes de sa paroi cellulaire pour échapper aux antibiotiques (Voir Newcastle University).

Les chercheurs ont analysé le « comportement » des bactéries de patients âgés atteints d'infections urinaires chroniques. Ils ont alors remarqué que ces dernières avaient la capacité de se mettre en forme de « L », sans paroi cellulaire, au passage des antibiotiques. Ces recherches ont montré que, de manière étonnante, il ne faut que cinq heures seulement après le passage des antibiotiques pour que les bactéries reprennent leur forme initiale et reforment leur paroi cellulaire. Face à ce polymorphisme, les chercheurs pensent que l’avenir appartient à de nouveaux vecteurs combinés : un antibiotique pour forcer la bactérie à changer de forme et des médicaments qui cibleraient plutôt son matériel génétique. En effet, dans cette configuration, la bactérie semble plus facile à détruire.

Mais cette lutte globale contre les bactéries résistantes, passe aussi par la redécouverte et la généralisation de règles et pratiques de bon sens, notamment en matière d’hygiène. Comme le montre l’exemple d’Escherichia Coli, cette bactérie qui provoque des infections urinaires, des intoxications alimentaires ou encore des sepsis. Les germes de cette famille ayant développé des résistances aux antibiotiques sont de plus en plus répandus. Il est pourtant facile de réduire considérablement la transmission de ces bactéries en observant des règles simples d’hygiène, comme se laver les mains soigneusement pendant au moins 30 secondes et bien les sécher avec des serviettes en papier, beaucoup plus efficaces que les séchoirs à air pulsé, en sortant des toilettes, ou avant de préparer à manger ou de passer à table.

Mais, comme toujours, le mieux est l’ennemi du bien et un excès de propreté, notamment en milieu hospitalier, peut s’avérer contreproductif. C’est ce qu’ont montré des chercheurs autrichiens de l’Université de Graz qui ont constaté que lorsque la diversité des microbes diminue, ce qui est le cas dans les zones trop nettoyées, les bactéries sont plus résistantes. Selon ces scientifiques, il serait inutile et même dangereux de trop désinfecter l’ensemble des bâtiments hospitaliers (à l’exception des blocs opératoires et unités de soins intensifs) car cette pratique favoriserait une sélection des bactéries les plus résistantes et les plus dangereuses pour le malades.

Il faut enfin rappeler que ce phénomène de multiplication de bactéries multirésistantes est réversible, à condition qu’on s’en donne les moyens sur la durée. C’est ce que montre le remarquable programme suédois contre la résistance aux antibiotiques, baptisé Strama, lancé en 1995. Ce plan a permis de réduire drastiquement l’utilisation des antibiotiques, tant pour l’homme que pour l’animal. Entre 1992 et 2016, le nombre de prescriptions d'antibiotiques a diminué de 43 % dans l'ensemble. Chez les enfants de moins de quatre ans, les prescriptions d'antibiotiques ont même chuté de 73 %. Résultat : la Suède présente aujourd’hui l’un des plus faibles niveaux au monde de présence de bactéries multirésistantes aux antibiotiques et le nombre de décès dans ce pays dus à des bactéries résistantes est tombé en dessous de 200 par an, un taux de décès par habitant cinq à dix fois moins élevé qu’en France…

Ces récentes recherches et découvertes montrent qu’une meilleure prise en charge et une prévention efficace des infections à bactérie multirésistantes n’est possible qu’en combinant simultanément et intelligemment trois outils complémentaires : d’abord le recours à de nouveaux médicaments à double ou triple détente, reposant sur la combinaison de plus de molécules agissant à des niveaux différents de la bactérie visée ; ensuite l’application rigoureuse de règles d’hygiène strictes mais mieux adaptées aux différents contextes de soins ; enfin, la mise en œuvre d’une politique de prescription des antibiotiques beaucoup plus ciblée, ce qui permettra, comme le montre l’exemple suédois, de réduire considérablement l’apparition et le développement de bactéries multirésistantes.

Nous devons donc, en tant que patients éclairés et responsables, apprendre à modifier notre état d’esprit et ne pas hésiter à poser systématiquement à notre médecin une question simple : « Dans le cas présent, est-il vraiment absolument nécessaire et utile que je prenne des antibiotiques ? »

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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