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Un antibiotique à double action contre les superbactéries

Dans la course aux armements qui nous oppose aux bactéries, ces dernières finissent toujours par s’adapter à nos stratégies. L’antibiorésistance s’est imposée comme l’une des principales menaces sanitaires de notre siècle, causant 700 000 morts par an dans le monde d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Entre une consommation accrue et inadaptée, et des rejets dans l’environnement, l’omniprésence de doses d’antibiotiques non létales sélectionne les bactéries porteuses de mutations génétiques résistantes.

Sans compter sur la « conjugaison génétique », permettant aux bactéries d’assimiler les gènes résistants de leurs congénères, par transfert horizontal. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est ralentir l'apparition de la résistance », rappelle Pierre Fechter, microbiologiste à l’École supérieure de biotechnologie de Strasbourg. « En ce sens, une molécule qui combine deux actions est très intéressante ». C’est ce que proposent des biologistes de Princeton : un nouveau genre d’antibiotique à double action, à large spectre et engendrant une faible résistance.

Parmi les bactéries antibiorésistantes, les plus tenaces sont celles dites à Gram-négatives, leur double membrane les protégeant de la plupart des traitements. À tel point qu’aucune nouvelle classe d’antibiotique contre ces bactéries n’a été approuvée depuis des décennies. Les biologistes ont donc orienté leurs recherches vers cette famille bactérienne, et choisi Escherichia coli, facile à cultiver et très étudiée, comme modèle expérimental. Ils sont ainsi parvenus à dénicher une molécule efficace contre certaines des bactéries les plus résistantes, grâce au « criblage » d’une banque de 33 000 molécules. Cette étape consiste à passer en revue une collection de molécules afin de sélectionner celle qui freine le mieux le développement de la bactérie choisie, dans ce cas E. coli.

Une molécule est sortie du lot : le SCH-79797. Elle a ensuite été testée contre un large éventail de pathogènes, « y compris les menaces les plus urgentes des centres pour le contrôle et la prévention des maladies, et les bactéries les plus résistantes aux antibiotiques d’après l’OMS », précise Zemer Gitai, professeur de biologie moléculaire à l’université de Princeton et responsable du groupe de recherche qui a mené l’étude.

L’équipe a ainsi constaté que le SCH-79797 entravait la croissance des bactéries Gram-négatives Acinetobacter baumannii, responsable d’infections pulmonaires et urinaires, et Neisseria gonorrhoeae (dont la souche résistante WHO-L), à l’origine d’infections urinaires, ou encore la souche résistante à la méticilline de la Gram-positive Staphylococcus aureus, provoquant des infections cutanées. Ces trois bactéries sont classées dans les priorités critiques et élevées de l’OMS pour la recherche de nouveaux antibiotiques.

Restait ensuite à identifier les mécanismes d’action du bactéricide. Ceux-là sont généralement révélés par les résistances bactériennes : en repérant les mutations d’une bactérie résistante, on met le doigt sur les cibles de l’antibiotique. Cependant, après 25 jours de culture, les biologistes ne sont pas parvenus à isoler de telles mutations chez les bactéries testées. En l’absence de « mutants résistants », le SCH-79797 semblait certes prometteur sur le plan clinique, mais représentait un réel défi en termes de conception industrielle. Comme le souligne Pierre Fechter : « Pour mettre au point un nouvel antibiotique, il est aujourd’hui obligatoire de caractériser les mécanismes d’action d’une molécule afin de prévenir tout effet indésirable ».

Zemer Gitai et son équipe se sont orientés vers une méthode d’imagerie quantitative, baptisée profilage cytologique bactérien (BCP), permettant de comparer le SCH-79797 aux antibiotiques connus. « Chaque antibiotique a une façon bien spécifique de tuer les bactéries. Nous avons donc exposé E. coli à toutes les classes d'antibiotiques connues et pris des images des bactéries en train de mourir en présence de plusieurs colorants », expose le biologiste. En comparant ces « autopsies bactériennes », l’équipe a constaté que les bactéries tuées par le SCH-79797 ne correspondaient pas aux autres images du BCP, et n’avaient donc subi aucune des actions antibiotiques connues.

En l’absence de « mutants résistants » ou de similarités avec des modes d’action connus, les biologistes se sont tournés vers l’analyse du protéome, c’est-à-dire l’ensemble des protéines exprimées dans la bactérie à un moment donné. « Le profilage thermique du protéome est une technique qui utilise la spectrométrie de masse pour sonder la stabilité thermique de toutes les protéines d’E. coli », explique Zemer Gitai. « Chose étonnante, lorsqu'une molécule se lie à une protéine, elle stabilise sa température ». Ainsi, en comparant la stabilité thermique de toutes les protéines avec et sans SCH-79797, ils ont pu identifier une enzyme du cytoplasme, la dihydrofolate réductase (DHFR), comme cible de l’antibiotique. Celle-ci est impliquée dans la synthèse des bases nucléiques de l’ADN, et donc indispensable à la division des bactéries.

Afin de vérifier cette hypothèse in vivo, les biologistes auraient pu supprimer la DHFR, et observer l’efficacité de SCH-79797 sur la bactérie. Mais un nouveau problème s’est posé : la suppression de cette enzyme essentielle est létale pour la bactérie. Les chercheurs ont donc recouru à la méthode CRISPRi (pour « interférences dans CRISPR »), permettant de réduire l’expression d’un gène cible. La logique veut qu’avec une cible affaiblie, la bactérie devienne encore plus sensible au médicament. Ce que les biologistes ont pu confirmer.

L’imagerie BCP d’E. coli suggérait aussi l’existence d’un autre mécanisme d’action, affectant cette fois la membrane de la bactérie. La cytométrie en flux quantitative a permis de vérifier cette hypothèse : les bactéries sont placées en suspension dans un liquide, en présence de marqueurs fluorescents, et traversées par un laser. La lumière émise renseigne alors sur leur morphologie. « En utilisant des colorants qui ne peuvent normalement pas pénétrer dans E. coli, nous avons montré qu’une fois traitées avec le SCH-79797, la membrane des bactéries devenait plus perméable », relate Zemer Gitai.

Enfin, dans le but de rendre le bactéricide plus efficace et moins toxique pour les cellules de mammifères, l’équipe de Princeton a conçu un dérivé de SCH-79797, baptisé Irresistine-16 (IRS-16), et testé avec succès contre N. gonorrhoeae chez la souris. « Le réel tour de force est d'avoir caractérisé les deux mécanismes d'action d’une molécule qui génère peu de résistance », souligne Pierre Fechter. « Ils ont créé un pipeline (sic) d'expériences qui permet de trouver ces mécanismes assez rapidement, assez surement, là où il fallait plusieurs années avant. Cela implique la gestion de grandes quantités de données, et de la technicité de haut vol ». Un circuit de tests qui ouvre peut-être la voie à une nouvelle façon de concevoir les antibiotiques, pour garder un peu d’avance sur nos pathogènes.

Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash

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