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Edito : Allons-nous reconstruire la vie ?

L'événement fera date dans l'histoire de la biologie : Greg Venter et son équipe ont réussi à réaliser la première bactérie artificielle car son génome est entièrement synthétique. Il a été fabriqué par voie chimique à partir de la séquence du génome d'une bactérie, Mycoplasma mycoides (agent de la péripneumonie des bovidés). Il s'agit d'une percée scientifique majeure, tant à cause du nombre d'obstacles surmontés que de la méthode mise au point. A partir du génome d'une bactérie entièrement séquencé, les chercheurs ont synthétisé chimiquement, grâce à des machines, des morceaux de ce génome, long de plus d'un million de caractères.

En 2008, Craig Venter avait déjà réussi, avec son équipe, à fabriquer un génome bactérien entièrement synthétique en collant des séquences d'ADN synthétisées bout à bout afin de reconstituer le génome complet de la bactérie Mycoplasmes genitalium.

Ce génome avait ensuite été transplanté dans une autre bactérie, mais sans que celle-ci ne puisse fonctionner. Pour créer cette nouvelle cellule contrôlée par un génome artificiel, les chercheurs se sont appuyés sur ces deux techniques élaborées en 2008.

Le génome qu'ils ont fabriqué est la copie conforme d'un génome présent dans la nature, celui de la bactérie mycoplasme mycoïde, mais il comporte des séquences d'ADN supplémentaires.

Les scientifiques ont ensuite transplanté ce génome synthétique dans une autre bactérie, appelée microplasme capricolum, et sont enfin parvenus à activer les cellules de cette dernière.

Bien que quatorze gènes aient été supprimés dans la bactérie receveuse du génome synthétique, celle-ci ressemblait bien à une bactérie microplasme capricolum dont les gènes ne produisaient que ses protéines, précisent les auteurs de ces travaux.

«Si ces techniques peuvent être généralisées, la conception, la synthèse, l'assemblage et la transplantation de chromosomes synthétiques ne seront plus des obstacles aux progrès de la biologie synthétique», écrivent les chercheurs.

Les premiers blocs d'ADN reconstitués comptent 1 000 caractères qui constituent les « pages » de ce livre génétique. Celles-ci se combinent ensuite en « chapitres » de 100 000 caractères qui eux-mêmes forment l'équivalent d'un gros livre d'un million de caractères.

Une autre prouesse des chercheurs est d'avoir pu introduire ce chromosome bactérien ainsi reconstitué dans un autre mycoplasme ( Mycoplasma capricolum, qui infecte les chèvres) débarrassé de son propre génome.

Mais le moment le plus extraordinaire de cette expérience s'est produit quand les chercheurs ont vu se développer une colonie de bactéries ayant bien toutes les propriétés du génome synthétique.

A l'occasion de ces travaux, les chercheurs ont beaucoup appris. Ils ont notamment constaté qu'une telle «transplantation» de chromosome pouvait se heurter à des mécanismes de «rejet».

Ils ont également repéré une mutation portant sur un seul caractère et empêchant la réplication du chromosome, donc celle de la bactérie.

Pendant la conférence de presse organisée le 20 mai par le journal Science, qui a publié les résultats des travaux, Greg Venter a affirmé que la nouvelle cellule constituait «la première espèce autoreproductrice que nous ayons eue sur la planète à avoir pour parent un ordinateur».

Greg Venter a estimé qu'il s'agissait-là d'«un pas important tant scientifiquement que sur le plan philosophique».

De l'avis des scientifiques, les bactéries industriellement intéressantes ont des génomes qui commencent à 2 millions de caractères et il devrait être possible, à partir de la plate-forme de Venter, de pouvoir étendre ce travail à d'autres micro-organismes.

Les chercheurs vont à présent tenter de concevoir des algues capables de capturer le dioxyde de carbone (CO 2), principal gaz à effet de serre, et de produire de nouveaux carburants propres. Cette percée devrait également permettre d'accélérer la production de vaccins, de fabriquer une multitude de molécules chimiques ou encore des bactéries capables de purifier l'eau.

Ce saut technologique et scientifique ouvre la voie vers une multitude d'applications dans tous les domaines : médecine, industrie, énergie, transports...

Il ouvre incontestablement une nouvelle ère dans le domaine de la biologie et des biotechnologies car nous savons désormais qu'il sera un jour possible d'obtenir des organismes entiers complexes de manière totalement artificielle, même si cette perspective reste encore lointaine.

Cette avancée remarquable va également permettre, sur un plan plus théorique, de mieux comprendre l'extraordinaire complexité des mécanismes du vivant.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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