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Edito : 1903-2003 : un siècle d'aviation et l'aventure continue

Il y a presque un siècle jour pour jour, le 17 décembre 1903, Orville Wright accomplissait, avec le Flyer, le premier vol motorisé et dirigé de l'histoire de l'aviation, sur la plage de Kitty Hawk, en Caroline du Nord. L'avion de 6.40 mètres et pesant 337 kg, à armature en bois recouverte de toile et baptisé Flyer 1, était monté sur un chariot roulant guidé par un rail afin de faciliter le décollage. Au cours de ce premier vol, Orville Wright parcourra une distance de 36,60 m en 12 secondes, et s'élevant de 3 m au-dessus du sol. Au quatrième essai, son frère Wilbur parcourut 284 mètres et vola pendant 59 secondes. À la différence de l'Avion de Clément Ader, qui effectue le 9 octobre 1890 le premier vol de l'histoire avec son "Eole", le Flyer 1 était doté d'une commande de gauchissement des ailes (par simple déformation de leur extrémité obtenue en agissant sur un câble) qui permettait au pilote de le maintenir en vol stabilisé ou de l'incliner afin de virer. C'est donc le premier vol véritablement contrôlé d'un appareil à moteur. Contrôlé était toutefois encore un grand mot : il fallut attendre le 15 Septembre 1904 pour que les frères Wright réussissent leur premier virage ! Curieusement, l'exploit, qui avait eu comme témoins cinq garde-côtes, passa presque inaperçu. Le vol des Frères Wright n'eut aucune répercussion immédiate au niveau mondial. C'est seulement trois ans plus tard, le 23 octobre 1906, que le monde réalisa qu'un "plus lourd que l'air" pouvait voler. Ce jour là, le Brésilien Alberto Santos-Dumont, vivant en France, effectua un vol de 60 mètres après avoir décollé du sol par ses propres moyens, avoir dirigé l'appareil en le faisant tourner autour de ses 3 axes et le posa en le maîtrisant parfaitement. L'exploit se fit dans le Parc de Bagatelle, près de Paris, devant des milliers d'yeux émerveillés et les journaux du monde entier publièrent des photos. Le 10 novembre 1907, Henry Farman fut le premier au monde à réaliser un vol de plus d'une minute, le même pilote (avec le même avion) parcourut le premier kilomètre en vol le 13 janvier 1908. Toujours en 1908, après avoir durement travaillé, Wilbur Wright vint en France présenter, au Mans, son dernier modèle de Flyer ; il effectua une démonstration qui remporta un succès considérable, soulevant l'enthousiasme chez les passionnés de l'aviation naissante. Ce fut le début d'une longue histoire d'amour entre la France et l'aviation. Orville, resté aux États-Unis, présenta un appareil à l'armée américaine. En 1909, l'armée américaine commanda aux frères Wright le premier avion militaire du monde. Le 25 juillet 1909, vers 5 heures du matin, un monoplan d'allure fragile se posa à proximité de Douvres, dans le Kent. L'homme qui venait de réussir la première traversée de la Manche à bord d'un plus lourd que l'air s'appelait Louis Blériot. Son monoplan, le Blériot XI, lui permit de traverser la Manche en 37 minutes. Il était équipé d'un moteur 3 cylindres Anzani de 25 CV. Le premier vol Londres-Paris sans escale eut lieu le 12 avril 1911 et la première utilisation en guerre d'un avion le 22 octobre 1911. En France, l'industrie aéronautique prit naissance à partir de 1907 avec les ateliers des frères Voisin. Celle-ci n'emploie que 2 000 ouvriers en août 1914. Au début des années 1920, un peu plus de 5 000 ouvriers et techniciens travaillent dans l'aéronautique. Ils sont 20 000 en 1930 et 34 000 environ en 1936. Les premières compagnies furent créées à partir de 1919 : Deutsche Luft Reederei et Lufthansa en Allemagne, BAT en Grande-Bretagne, KLM aux Pays-Bas, Sabena en Belgique, Pan American Airways aux États-Unis, Messageries aériennes, Franco-Roumaine et Lignes Latécoère en France. Les premières lignes régionales françaises, Biarritz-Bordeaux, Nîmes-Nice, sont ouvertes en 1919. La première ligne internationale de transport de passagers, Paris-Londres, est inaugurée la même année sur un biplan Farman. C'est de ce service que naît, en 1933, la compagnie Air France. Entre temps, Charles Lindberg parvient à traverser l'Atlantique le 21 mai 1927 avec son "Spirit of Saint Louis". À partir de 1930 commence l'exploitation des lignes transocéaniques : d'abord pour l'acheminement du courrier sur l'Atlantique Sud, puis sur l'Atlantique Nord et le Pacifique. Le 28 juin 1939 a lieu le premier vol transatlantique avec passagers : un hydravion quadrimoteur Boeing 314 relie Port Washington à Marseille. La quasi-totalité du réseau aérien mondial est tissé, franchissant tous les océans, reliant entre eux les cinq continents et les deux pôles. Sur le plan technique, les progrès de l'aérodynamique, des motorisations et l'utilisation du métal améliorent considérablement les performances des avions. Dès 1923, les 400 Km/h et les 10 000 m d'altitude sont franchis. Les longues étapes sont aussi rendues possibles par la mise au point de procédés et d'instruments de navigation permettant le vol de nuit ou sans visibilité. Les premiers instruments de bord (indicateur de vitesse et anémomètre) prennent place dans les avions avant même la Première Guerre mondiale. À partir de 1919 apparaissent les équipements de bord et de navigation. D'autres progrès sensibles sont à signaler, comme la mise au point du train d'atterrissage rentrant. On commence à penser à la pressurisation de la cabine : le Boeing 307 ouvre la voie des transporteurs pressurisés. Lors de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Britanniques commencent leurs travaux sur le radar, les Allemands s'intéressent à la propulsion par réaction. La guerre est l'occasion de perfectionnements de tous ordres, relatifs en particulier à la radionavigation et à l'accroissement de puissance des systèmes moteurs. À la fin des hostilités, de nouveaux propulseurs, les turboréacteurs, sont mis en service sur les nouveaux avions de chasse ; une vitesse de 700 à 750 Km/h devient courante. Après 1945, les constructeurs se penchent sur l'étude du vol dans les domaines transsonique, supersonique et hypersonique. Le 14 octobre 1947, l'Américain Charles Yeager franchit le mur du son sur Bell X-1 à Muroc, suivi, en Grande-Bretagne, par John Derry sur DH 108 le 6 septembre 1948, et, en France, par le commandant Roger Carpentier sur Mystère II le 13 novembre 1952. À partir de 1957 démarre le programme américain de l'avion-fusée X-15 (lancé en vol à partir d'un avion porteur Boeing B-52), destiné à l'étude de l'échauffement cinétique et du comportement des structures aux vitesses hypersoniques. Bob White atteint, avec un tel avion, la vitesse de Mach 6 en 1961, et l'altitude de 95 936 m en 1962. La période de 1945 à 1957 marque, pour les avions de transport, le passage progressif des moteurs à pistons aux turboréacteurs et aux turbopropulseurs. En 1948, la Grande-Bretagne met au point le premier appareil à turbopropulsion, le Vickers-Armstrong Viscount, puis, un an plus tard, le premier transporteur à réaction, le De Havilland Comet (720 km/h, 36 passagers). Les États-Unis, avec le Boeing 707, et la France, avec la Caravelle, se lancent à leur tour dans la production d'avions équipés de réacteurs. Les prototypes effectuent leur premier vol respectivement en 1954 et en 1955. Après de nombreux essais, le Boeing 707 entre en service en 1957 ; la Caravelle reçoit sa certification le 2 avril 1959. Porté par le succès des avions à réaction, le transport aérien connaît dans les années 1960 un essor qui laisse prévoir un doublement du trafic tous les six ans. Cette demande favorise le développement d'appareils à fuselage de grand diamètre, les jumbo-jets, ou gros-porteurs. Le Boeing 747 sera le premier gros-porteur à réaction. Il prend l'air le 9 février 1969 et entre en service en 1970. En 1963, le Général de Gaulle décide de lancer le projet d'un avion commercial supersonique. Le 2 mars 1969 le "Concorde", premier avion supersonique civil et fruit de la coopération franco-anglaise, accomplit son premier vol. Il sera mis en service en 1976 et le restera pendant 27 ans, jusqu'en novembre 2003. Si le Concorde n'eut pas le succès commercial escompté, il permit à l'Europe d'acquérir un inestimable savoir-faire technologique qui assurera la réussite exemplaire du projet européen "Airbus". C'est en 1969 que les gouvernements allemand et français, après le retrait britannique, décidèrent de créer le GIE "Airbus Industrie" et de lancer un programme aéronautique européen qui déboucha en 1972 sur le vol du premier avion d'Airbus, l'A 300. Qui aurait osé imaginer que trente ans après sa création, en 1999, Airbus dépasserait pour la première fois son éternel concurrent américain Boeing, avec 55 % de toutes les commandes mondiales d'avions civils ! En juin 1994, le consortium européen Airbus a lancé le projet du gros porteur A3xx, conçu pour concurrencer le Boeing 747. Le programme a été lancé officiellement le 19 décembre 2000 et le projet A3xx est devenu l'A380. Plusieurs versions de ce véritable paquebot des airs devraient voir le jour. Le modèle de base, l'A380-800, contiendra 555 places. Le défi que lance Airbus est aux dimensions de l'avion : gigantesque. Dans sa version la plus longue, l'A3X fait 80 mètres de long, 80 mètres d'envergure et 24 mètre de haut ! Airbus prévoit la vente de 1 440 appareils avant 2006 et vise 60 % du marché des très gros porteurs d'ici à 2015. Mais pour la mise en service de ces appareils, il faudra aménager les aéroports autant au niveau des pistes que dans la capacité d'accueil des passagers. De plus, l'avion sera si gros qu'il générera tellement de turbulences qu'aucun avion ne pourra décoller à sa suite en moins de 5 minutes ! Aujourd'hui, la flotte aérienne mondiale compte près de 18.000 appareils ; ce chiffre comprend les avions à turbopropulseurs et même quelques appareils à moteur à piston, mais pas les petits avions de moins de 40 places. Ce chiffre passera à environ 35.000 d'ici 2025. Même si l'on envisage un bon taux de croissance des turbopropulseurs, près de 27.000 avions seront des avions à réaction, soit le double du nombre actuel. En dix ans, le trafic aérien mondial a progressé de 50 % (aujourd'hui 1,6 milliard de personnes transportées chaque année et 40 % des exportations de produits manufacturés en valeur transitent par voie aérienne). Le secteur du transport aérien représente aujourd'hui plus de 600 milliards de dollars de chiffre d'affaires mais depuis deux ans, le secteur aérien connaît la plus grave crise de son histoire, à cause des attentats du 11 septembre et de la récession économique, et les grandes compagnies mondiales ont perdu 25 milliards de dollars et 400.000 emplois. Avec l'arrêt définitif du Concorde, l'aviation civile connaît pour la première fois depuis un siècle une régression technologique en terme de vitesse et, en ce début de XXIème siècle, l'avenir technologique de l'aviation semble de plus en plus liée aux contraintes économiques et environnementales draconiennes qui encadrent désormais le transport aérien. Il s'agit à présent de concevoir des avions capables de transporter un maximum de passagers pour un coût d'exploitation minimum, tout en respectant des normes de plus en plus sévères en matière de protection de l'environnement. Dans un tel contexte, le futur supersonique ne devrait pas se concrétiser avant l'horizon 2020/2025. Mais il n'en reste pas moins vrai qu'à terme, seule la vitesse pourra sensiblement diminuer l'encombrement de l'espace aérien (temps de vol réduit, altitude plus élevée). L'histoire des techniques nous montre enfin qu'une rupture technologique majeure peut survenir et bouleverser l'aviation et l'économie du transport aérien. Cette rupture technologique majeure a peut-être eu lieu le 30 juillet 2002. Ce jour là, des scientifiques australiens ont procédé avec succès à l'essai d'une fusée pouvant voler à près de huit fois la vitesse du son. La fusée, baptisée "Hyshot" est parvenue à monter à une altitude de 300 Km à Mach 7,6, soit 7,6 fois la vitesse du son. C'est grâce à de l'oxygène absorbée au cours de sa trajectoire que la fusée a réussi cet exploit, redescendant dix minutes plus tard. Ce prototype utilise la technologie « scramjet », pour « supersonic combustible ramjet ». Au lieu de transporter ses réserves d'oxygène, l'avion puise directement l'oxygène dans l'air afin de le mélanger à l'hydrogène pour se propulser. L'objectif des concepteurs d'avions hypersoniques est d'aller jusqu'à Mach 10, soit 12.224 Km par heure au niveau de la mer. Toutes les grandes puissances aérospatiales s'intéressent actuellement à cette technologie prometteuse qui pourrait un jour permettre de relier Londres à Sydney en 2 heures, contre 22 actuellement ! Du Flyer des frères Wright au prototype hypersonique Hyshot, à peine un siècle s'est écoulé et pourtant le chemin technologique parcouru est tout simplement vertigineux. Mais nos enfants qui demain pourront se rendre à l'autre bout de la terre, en ayant à peine le temps de voir un film dans leur avion qui volera à Mach 10, devront se souvenir de ce qu'ils doivent à ces pionniers et visionnaires de génie que furent les frères Wright, qui ouvrirent à l'homme de nouveaux horizons et lui permirent de vivre cette extraordinaire aventure de la conquête de l'air puis de l'espace.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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