RTFlash

Edito : le rêve du cyborg prend forme

Il y a presque 50 ans, en 1960, Manfred E.Clynes et Nathan S. Kline imaginaient le cyborg, créature mi-homme, mi-machine dotée de pouvoirs extraordinaires. Une équipe de recherche américaine, dirigée par Rajesh Rao, à l'université de Washington, a réussi à créer une interface permettant le contrôle d'un robot par la pensée et ouvrant la voie vers la réalisation de ce vieux rêve cher aux amateurs de science-fiction. Par rapport aux précédentes expérimentations, il s'agit bien d'une avancée décisive car l'expérimentateur contrôle bien un robot qui évolue dans un environnement réel et parfois complexe. (Voir article).

En outre, l'interface utilisée par Rao repose sur une technologie relativement ancienne, mais également bon marché et surtout non invasive (pas d'électrodes plantées dans le crâne), “L'un des points importants de cette démonstration, explique Rao, est que nous utilisons un signal “bruité” pour contrôler le robot".

Rao précise que, du fait de l'emploi de cette technique non-invasive de capture des signaux cérébraux, ces signaux ne peuvent être récupérés qu'indirectement ce qui implique notamment que l'utilisateur peut seulement utiliser des commandes de haut niveau, telles qu'indiquer quel objet prendre ou vers quel endroit aller. Autre implication de ce motus operandi, le robot doit être assez autonome pour exécuter la tâche définie.

Ce qui est nouveau et passionnant dans cette expérience, c'est le binôme formé par l'expérimentateur et le robot. En effet, dans le dispositif imaginé par Rao, l'utilisateur est en quelque sorte la conscience de la machine, et lui donne des ordres très généraux. Le robot en revanche doit utiliser ses propres capacités pour exécuter les ordres reçus de manière efficace ou "heuristique", comme disent les spécialistes.

Cette démarche cognitive à double détente est assez similaire à celle de notre propre mode de pensée. Lorsque nous voulons prendre notre voiture pour aller quelque part, notre cerveau définit un objectif global à atteindre mais ensuite, la séquence, parfois complexe, des actions à effectuer pour atteindre cet objectif est "sous-traitée à des modules spécialisés qui vont s'appuyer sur l'expérience mémorisée et agir sans même que nous en ayons véritablement conscience.

Pour sélectionner un objet, le système mis au point par Rao utilise l'onde “P300″ qui se manifeste dans le cerveau lorsque nous sommes surpris : l'utilisateur voit une série d'objets s'allumer les uns après les autres sur un écran, et lorsque celui qu'il souhaite manipuler est mis en surbrillance, une onde P300 est automatiquement et inconsciemment produite, ce qui effectue la sélection. (Voir la présentation vidéo).

Cette remarquable avancée dans la symbiose homme-machine vient à la suite d'une série de progrès impressionnante enregistrée depuis 5 ans. Fin 2005, à L'Université de Pittsburgh, une équipe pluridisciplinaire annonçait en effet la mise au point d'un bras robotisé contrôlé par la pensée. Constitué d'une épaule, d'un coude mobile et d'une pince en guise de main, ce bras agit comme celui d'un humain. Expérimenté sur un singe et utilisant un système de sondes et de capteurs directement insérés dans le cerveau, ce bras robotisé exécute fidèlement les instructions transmises directement par la pensée de l'animal.

L'année dernière, une nouvelle étape décisive était franchie vers une commande télépathique fiable avec la première démonstration en France, par le scientifique autrichien Peter Brunner, du centre public de recherches de Wadsworth (Etat de New York), du système BCI (Brain Computer Interface) qui permet aux personnes totalement paralysées de déplacer un curseur sur un écran d'ordinateur ou de « dicter » un texte simplement par la pensée. Utilisant un bonnet électronique et un ordinateur portable, Brunner a composé, lettre à lettre, devant une assistance très impressionnée, un message sur un écran géant au dessus de sa tête. Au seul moyen de sa pensée, il a réussi à écrire "Bonjour".

Avec cette nouvelle avancée de Rao et son équipe, c'est la perspective d'un nouveau type de relation homme-machine qui se révèle et s'inscrit dans la quête scientifique déjà ancienne du cyborg, cet être humain qui voit ses facultés améliorées et amplifiées par des prothèses et organes artificiels. Grâce au dispositif imaginé par Rao il est à présent plus que probable que l'homme pourra, d'ici quelques années, commander directement par la pensée tout type de robot, qu'il s'agisse d'une prothèse ou d'un robot autonome. Mais le plus fascinant est qu'il suffira à l'utilisateur de penser au résultat qu'il souhaite finalement obtenir (par exemple ranger des cartons situés dans des pièces différentes en haut d'une étagère) pour que le robot exécute cet ordre en se chargeant de mettre en oeuvre les moyens les plus adaptés (compte tenu du contexte et des paramètres locaux) pour parvenir au résultat final souhaité.

On imagine sans peine qu'une telle symbiose entre l'homme et la machine pourrait complètement transformer la qualité de vie des 100 millions de personnes souffrant de paralysie et, bien sûr, considérablement améliorer et simplifier la vie des personnes âgées pour qui les actes simples de la vie quotidienne deviennent souvent difficiles et pénibles à accomplir.

Grâce aux extraordinaires progrès technologiques auxquels nous assistons depuis quelques années, nous pouvons à présent envisager que, dans une génération, chacun d'entre nous aura à sa disposition une multitude de robots de toute nature qui seront comme autant d'extensions physiques et cognitives de nous-mêmes et pourront démultiplier d'une manière à peine imaginable aujourd'hui nos possibilités d'actions sur notre environnement.

Nous devons dès à présent nous préparer à cette fascinante perspective porteuse de grands espoirs mais aussi de craintes et de dangers. Nous devrons notamment être particulièrement vigilants afin que ces systèmes associant l'homme et la machine soient bien mis au service du plus grand nombre et servent en premier lieu à améliorer la vie de nos concitoyens les plus fragiles.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top