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Edito : La Vie serait venue de l’Espace

Je reviens cette semaine sur une question passionnante que nous abordons régulièrement dans RT Flash et qui vient d’être relancée par plusieurs découvertes récentes : celle du rôle de l’Espace dans l’apparition et la propagation de la vie.

Il y a 50 ans, les astrophysiciens découvraient les premières molécules polyatomiques dans l’Espace : l’eau, l'ammoniac NH3, le formaldéhyde H2CO. L'accès à la frange des ondes millimétriques et submillimétriques, à partir des années 1970, allait ensuite permettre la découverte d’une véritable moisson de molécules interstellaires, plus de 180 identifiées à ce jour…

En 2012, une équipe de chercheurs danois du Niels Bohr Institute, dirigée par l'astronome Jes Jorgensen, est parvenue à détecter, grâce au super-télescope ALMA, la présence de sucre - un élément considéré comme l'une des briques élémentaires de la vie - à proximité du système binaire d’étoiles IRAS 16293-2422, situé à 400 années-lumière de la Terre (Voir The Astrophysical Journal Letters). Le sucre détecté est un  glycolaldéhyde, composé de deux atomes de carbone, deux d'oxygène et quatre d'hydrogène (C2H4O2). Fait très intéressant, ce sucre est l’un des composants de l'acide ribonucléique (ARN), lui-même proche parent de l'ADN. Bien que ce type de molécule ait déjà été décelé dans l'espace interstellaire, jamais ce type de molécule n’avait été repéré à proximité d'une jeune étoile, dans le disque de gaz et de poussière où naissent les planètes.

En juin 2017, une équipe internationale de recherche a découvert grâce, une fois encore, au radiotélescope ALMA (Atacama Large Millimiter/submillimeter Array) situé au Chili, que les proto-étoiles de ce même système IRAS 16293-2422, produisaient d’autres  molécules nécessaires à l’apparition de la vie, et notamment de l'isocyanate de méthyle, un composé organique impliqué dans la synthèse d'acides aminés. Cette découverte est capitale car jamais cette molécule n’avait encore été détectée dans de jeunes étoiles en formation. En outre, ce système IRAS 16293-2422 ressemble beaucoup à la nébuleuse qui a donné naissance à notre système solaire. La détection de ces molécules prébiotiques vient donc éclairer d’une lumière nouvelle la question des conditions d’émergence de la vie sur Terre.

Enfin, il y a quelques jours, des chercheurs de l’Université Queen Mary de Londres, en travaillant sur les données issues du télescope ALMA, ont découvert, toujours à proximité de ces mêmes proto-étoiles du système IRAS 16293-2422, la présence de glycolonitrile (HOCH2CN), une molécule prébiotique organique qui existait avant l’émergence de la vie (Voir Queen Mary University of London).

Cette découverte constitue un nouveau pas important en avant pour l’astrochimie prébiotique, car le glycolonitrile est un précurseur essentiel de la formation de l’adénine, l’une des bases nucléiques formant à la fois l’ADN et l’ARN chez les organismes vivants. « Nous avons montré que cette importante molécule prébiotique peut être formée dans le matériau à partir duquel les étoiles et les planètes émergent, ce qui nous rapproche encore plus des processus ayant conduit à l’origine de la vie sur Terre » a déclaré l’auteur principal de l’étude, Shaoshan Zeng, de l’Université Queen Mary.

En juillet 2017, une équipe internationale de recherche, dirigée par Chin-Fei Lee de l'Institut d'astronomie et d'astrophysique de l'Académie Chinoise à Taïwan, a détecté, toujours grâce à l’extraordinaire sensibilité du réseau d'antennes d'ALMA, des molécules organiques complexes, essentielles à l'apparition de la vie, dans le disque de gaz et de poussières entourant Herbig-Haro 212, une toute jeune étoile en cours de formation, qui se situe à environ 1300 années-lumière dans la constellation d'Orion.

Ces scientifiques ont identifié, autour de cette étoile âgée de seulement 40.000 ans, la présence d’amides et d’alcools, composants de base pour de nombreuses biomolécules comme les sucres et les acides aminés. Là encore, c’est la première fois que ce type de molécule est découvert autour d'une étoile aussi jeune.

Il y a quelques mois, une équipe d’astronomes s’appuyant sur le Green Bank Telescope, en Virginie-Occidentale, a pour sa part identifié, dans la constellation du Taureau, à 430 années-lumière de la Terre, les signatures de la molécule benzonitrile (C6H5CN), présente dans une masse de gaz et de poussière appelée nuage moléculaire 1 du Taureau. La molécule de benzonitrile possède une structure hexagonale à six atomes de carbone appelée benzène. Elle appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, un type de molécule connue pour sa très grande stabilité, ce qui lui permet de résister pendant de très longues périodes aux conditions extrêmes qui règnent dans l’Espace (Voir Scientific American).

En juin 2016, une autre équipe de scientifiques américains utilisant de nouveaux radiotélescopes extrêmement sensibles a découvert la première molécule chirale, l'oxyde de propylène (CH 3 CHOCH 2) qui n'est pas interchangeable, un peu comme la chaussure du pied droit et celle du pied gauche. La chiralité est une propriété fondamentale dans les structures des molécules organiques et les processus biologiques. Cette molécule a été trouvée dans un vaste nuage de poussière et de gaz près du centre de la Voie Lactée, notre galaxie (Voir NRAO). « C'est la première molécule détectée dans l'espace interstellaire qui possède cette propriété de chiralité, essentielle pour l’apparition de la vie, ce qui constitue une étape majeure dans la compréhension de la manière dont les molécules prébiotiques sont fabriquées dans l'univers et peuvent ensuite s’assembler et se combiner pour former des organismes vivants », a déclaré Brett McGuire, l’un des chercheurs à l'Observatoire national de radioastronomie (NRAO) à Charlottesville, en Virginie.

Parallèlement à ces découvertes majeures concernant la présence d’une chimie prébiotique complexe et abondante dans le Cosmos et l’espace interstellaire, les avancées scientifiques se sont également multipliées depuis quelques années dans la recherche de possibles formes de vie élémentaire au sein de notre système solaire. En février 2017, les données transmises par la sonde Dawn ont prouvé la présence de molécules organiques sur la planète naine Cérès, située dans la ceinture principale d'astéroïdes orbitant autour de notre soleil entre Mars et Jupiter (Voir article Science). Ces molécules organiques, constituées de longues chaînes carbonées, ont été principalement retrouvées sur une surface de 1000 kilomètres carrés autour du cratère Ernutet, situé dans l'hémisphère nord de Cérès. Cette découverte est d’autant plus importante que les scientifiques pensent que ces molécules organiques ont bien été produites sur la planète et ne proviennent pas d'un impact avec un météorite ou une comète.

Autre découverte importante : en juillet 2017, une équipe d’astronomes américains dirigés par Maureen Palmer a découvert, grâce à la sonde Cassini, des molécules carbonées chargées négativement dans la haute atmosphère de Titan, la plus grande lune de Saturne. En dépit d’une température moyenne de -180°, Titan possède, dans son atmosphère composée d’azote et de méthane une chimie très complexe, rendue possible par l’énergie fournie par les particules solaires et les particules de la magnétosphère de Saturne. Toujours en juillet 2017, la sonde Cassini a également détecté la présence de cyanure de méthyle, un composé chimique susceptible de constituer des membranes stables et flexibles de cellules vivantes adaptées aux conditions très particulières qui règnent sur ce satellite.

Cette présence de cyanure de vinyle en grande quantité a été confirmée par le radiotélescope ultrasensible ALMA. La NASA prépare actuellement son projet Dragonfly, visant à lancer en 2024 une mission d’exploration robotique vers Titan. Cette mission devrait permettre, à l’horizon 2038, d’explorer en détail la surface de Titan, et son atmosphère à l’aide d’un robot-drone spécialement conçu pour évoluer dans l’environnement pour le moins extrême de cette fascinante lune de Saturne.

En mars 2018, une équipe internationale de recherche dirigée par Sanjay Limaye, planétologue à l’Université du Wisconsin, a publié une étude qui n'exclut pas la possibilité de l'existence de formes de vie microbienne dans la haute atmosphère de Vénus, entre 40 et 60 km d’altitude, une zone où règnent des conditions thermiques et biochimiques compatibles avec la vie (Voir University of Wisconsin-Madison News).

Ces chercheurs sont très intrigués par la présence, à l'intérieur des nuages de Vénus, de curieuses taches sombres, détectées dans le spectre ultraviolet, et qui pourraient être constituées de nappes de bactéries extrêmophiles. Ces dernières se seraient adaptées aux conditions très sévères de leur environnement, comme ont su parfaitement le faire leurs homologues sur Terre, que l'on retrouve parfois dans l'atmosphère, à plusieurs dizaines de km au-dessus des geysers de Yellowstone, aux Etats-Unis... Une mission d'exploration de la NASA, reposant sur l'envoi d'une sonde, puis d'un avion gonflable (Venus Atmospheric Maneuverable Platform) pouvant voler un an dans l'atmosphère de Venus, devrait permettre d'ici une dizaine d'années de détecter l'éventuelle existence de ces étranges formations microbiennes vénusiennes...

Autre découverte particulièrement intéressante : en juin 2018, des scientifiques dirigés par le planétologue allemand Frank Postberg ont identifié, en analysant les dernières données transmises par la sonde Cassini, la présence sur Encelade (petite Lune de Saturne) de macromolécules organiques complexes, composées d’une centaine d’atomes dont au moins 15 atomes de carbone ainsi que des atomes d’azote et d’hydrogène. « Des molécules d’une taille aussi importante peuvent être créées par des processus chimiques complexes, comme ceux associés à la vie, ou venir de matériaux primordiaux contenus dans certaines météorites », souligne la Nasa. La présence de molécules organiques aussi complexes dans cet environnement a priori peu propice à la vie résulterait d’une cascade de réactions chimiques entre le coeur rocheux d’Encelade et l’eau chauffée par des cheminées hydrothermales similaires à celles qu’on peut trouver dans les fonds océaniques terrestres (Voir NASA JPL).

Il est frappant de constater que de nombreuses études et analyses réalisées depuis une dizaine d’années, grâce aux nouveaux outils d’observation spatiale, et à partir des nombreuses données transmises par les différentes missions d’exploration spatiale lancées dans notre système solaire, sont venues conforter l’hypothèse d’une possible apparition de la vie (à un stade rudimentaire) sur d’autres planètes que la Terre. Mais ces travaux scientifiques ont également, et de manière encore plus surprenante, montré que l’espace interstellaire recelait, en grande quantité, de très nombreuses molécules complexes nécessaires à l’apparition de la vie, telle que nous la connaissons.

Des chercheurs de l’Université de Sherbrooke, au Québec, ont réalisé, fin 2017, une remarquable expérience qui montre que certaines molécules organiques constituant les éléments constitutifs de la vie pourraient se développer sur des surfaces glacées soumises à des radiations dans le vide. Ces chercheurs ont créé des fines couches de glace contenant du méthane et/ou de l’oxygène, avant de les irradier avec des faisceaux d’électrons (Voir AIP).

Ils ont alors pu observer l’apparition de nombreuses molécules, telles que l’acide acétique, le formaldéhyde, le méthanol l’éthanol, le propylène, l’éthane et l’acétylène, qui se sont développées dans des films de méthane et d’oxygène congelés.

Une autre équipe américaine de l'Ames’ Astrophysics and Astrochemistry La en Californie, a publié en décembre dernier une étude aux conclusions passionnantes qui confortent les conclusions de l’équipe de Sherbrooke (Voir Nature). Ces chercheurs ont introduit un mélange gazeux de vapeur d'eau et de méthanol dans une chambre avec un vide poussé de 10-8 millibars où des températures de 4 à 15 K peuvent être reproduites. La glace ainsi obtenue a été bombardée par des photons UV similaires à ceux des jeunes étoiles dans les nuages interstellaires. Les chercheurs ont alors constaté que cette glace contenait du 2-désoxyribose, un pentose dérivé du ribose, et qui constitue la charpente de l'acide désoxyribonucléique, c'est-à-dire l'ADN, alors que le ribose est la charpente de l'ARN. Cette découverte confirme la présence d'acides aminés et d'une véritable base azotée de l'ADN dans des météorites.

Signalons, pour terminer ce trop court tour d’horizon concernant la moisson de découvertes récentes dans les domaines de l’astrophysique et de l’exobiologie qu’en février 2018, des chercheurs américains ont pu confirmer que l'explosion des étoiles en supernovæ  propulse dans l'espace des quantités astronomiques de matières, dont celles nécessaires à la fabrication de l'ADN. En observant du télescope Chandra le nuage de matière Cassiopée A, résultat de l'explosion d'une supergéante rouge, à 11 100 années-lumière de la Terre, ces chercheurs ont réussi à détecter la nature, mais également la quantité d’éléments projetés dans l'Espace par l'onde de choc de cette gigantesque explosion. Ils ont alors eu la surprise d’identifier la présence de silicium, de sulfure, de calcium, de fer et d'oxygène. Les scientifiques ont ensuite déterminé que l'explosion de la supernova avait expulsé des quantités proprement phénoménales d’éléments chimiques nécessaires à la constitution de molécules d’ADN et à l’apparition de la vie : l'équivalent de 20 000 fois la masse de la Terre en silicium, 10 000 masses terrestres de sulfure, 70 000 de fer, mais aussi près d'un million de masses terrestres d'oxygène.

Grâce à cette moisson extraordinaire d’observations de découvertes scientifiques réalisée au cours de ces dix dernières années, notre regard sur le Cosmos, mais également sur le vivant, a radicalement changé. Contrairement à ce que nous avons longtemps pensé, il semble en effet que les conditions nécessaires, sinon suffisantes, à l’émergence de la vie telle que nous les connaissons, existent un peu partout dans l’Univers, non seulement sur un grand nombre de planètes, d’astéroïdes et de comètes, mais, de manière beaucoup plus étonnante dans le vide interstellaire.

À mesure que se dévoilent les lois extraordinairement précises et subtiles qui gouvernent notre Univers, nous découvrons qu’il semble bien exister un continuum qui va du big-bang, il y a 13,7 milliards d’années, à l’apparition de structures physiques et chimiques de plus en plus complexes, pour aboutir finalement, au moins sur notre Terre, à cet extraordinaire événement que fut l’apparition de la vie, il y a un peu moins de 4 milliards d’années.

A la lumière de ce nouveau paysage cosmique totalement renouvelé par ces récentes avancées de la connaissance, la position scientifique et philosophique consistant à croire que l’apparition de la vie est un phénomène si improbable et si « miraculeux » qu’il n’a eu probablement lieu que sur notre planète, semble de moins en moins tenable. À partir du moment où il apparaît que la plupart des composants chimiques complexes nécessaires à l’apparition de la vie sont produits en grande quantité, un peu partout dans l’Univers, il devient possible de poser raisonnablement l’hypothèse que la vie a dû presque nécessairement apparaître ailleurs que sur Terre, même si notre niveau technologique actuel ne nous permet pas encore - compte tenu des distances immenses qui nous séparent des autres étoiles - de la détecter avec certitude.

On sait à présent qu’il y a dans notre seule galaxie, la Voie Lactée, environ 140 milliards d’étoiles et, entre 240 milliards et 1000 milliards de planètes, selon les estimations. Quant aux galaxies, leur nombre dans l’Univers observable dépasserait les 2000 milliards (un nombre également considérablement réévalué au cours de ces dernières années, grâce aux progrès des techniques d’observation et de calcul). Confrontés à cette nouvelle réalité cosmique vertigineuse et à cette présence foisonnante de molécules prébiotiques dans l’Univers, la question qui se pose n’est plus de savoir si l’on trouvera une vie extraterrestre, mais quand, et bon nombre de scientifiques sont aujourd’hui persuadés que cette découverte, qui serait la plus importante et la plus bouleversante de toute l’histoire de l’Humanité, a de bonnes chances d’avoir lieu avant la fin de ce siècle…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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