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Edito : La vie dans l’Univers : accident miraculeux ou phénomène banal ?

Cette semaine, je reviens sur une question passionnante que j'ai déjà abordée à plusieurs reprises dans notre lettre, mais qui a pris au cours de ces derniers mois une dimension nouvelle, à la lumière de l’actualité scientifique : la possibilité d’une vie extraterrestre.

C'est la découverte, par le satellite KEPLER, il y a quelques jours, de 3 nouvelles superterres gravitant autour de leur propre soleil et qui sont les plus proches de nous (98 années-lumière) parmi les milliers d'exoplanètes découvertes par ce satellite, qui m'a incité à écrire un nouvel édito sur ce sujet passionnant.

C’est seulement en 1995 qu’a été découverte la première exoplanète, c’est-à-dire la première planète située en dehors de notre système solaire. Depuis, grâce aux extraordinaires progrès de l’astronomie, qui dispose à présent de moyens d’observations et d’analyses bien plus puissants qu’il y a 20 ans, ce sont pas moins de 3 633 exoplanètes confirmées qui ont été découvertes et répertoriées. Sur ce total, environ 5 % (171) possèdent une masse inférieure à huit masses terrestres et sont donc probablement telluriques et dotées d’une atmosphère.

En février dernier,  une découverte extraordinaire est venue confirmer qu’il devait exister dans le Cosmos un très grand nombre de planètes similaires à notre Terre. Une équipe internationale d’astronomes a en effet annoncé qu’elle avait découvert, autour d’une étoile-naine située à 39 années-lumière de la Terre, sept planètes rocheuses de taille et de température proches de celles de la Terre.

Mais, observation encore plus étonnante, sur ces sept planètes dont les orbites sont très rapprochées, trois (les planètes (TRAPPIST-1 e, f et g) sont situées dans la zone "habitable" de ce système solaire, celle, ni trop chaude ni trop froide, dans laquelle ces planètes peuvent receler de l’eau liquide, une caractéristique indispensable à l’apparition de la vie telle que nous la connaissons. L’année prochaine, grâce à la mise en service d’un nouveau télescope spatial très puissant et très sensible développé par la NASA et l’Agence Spatiale Européenne, le James Webb Telescope, les scientifiques pourront très probablement connaître la composition chimique des atmosphères de ces trois planètes, ce qui nous indiquera si celles-ci peuvent abriter une forme de vie… 

Si l’on se situe à présent à l’échelle de notre galaxie, on sait, grâce aux travaux d’ Erik Petigura, Geoffrey Marcy, de l'Université de Californie, à Berkeley, et Andrew Howard, de l'Université de Hawaï, qui s’appuient sur 4 ans de données fournies par le télescope Kepler, que 22 % des soleils possèdent une planète de la taille de la Terre, à une distance leur permettant d'abriter de l'eau liquide.  

Il y aurait donc, selon cette étude, environ 9 milliards de planètes potentiellement habitables dans notre galaxie, soit une planète sur 26, si l’on retient comme nombre total de planètes dans le Voie lactée l’estimation de 240 milliards (soit 1,6 planète par étoile en moyenne) proposée par l’étude minutieuse réalisée après six ans d’observations spatiales par Arnaud Cassan, Jean-Philippe Beaulieu, Pascal Fouqué, de l'Institut d'Astrophysique de Paris et de l'Observatoire européen austral. Avec un tel nombre de mondes pouvant potentiellement accueillir la vie, il est raisonnable d’imaginer que celle-ci a pu apparaître et se développer au moins sur quelques planètes situées dans notre Voie Lactée.

Mais au-delà du nombre immense de planètes ayant des caractéristiques physiques et chimiques qui autorisent la présence d’une forme de vie, plusieurs autres découvertes majeures sont venues bouleverser depuis cinq ans nos connaissances quant aux processus qui permettent la formation et la diffusion des molécules organiques clés, nécessaires à la constitution des « briques » qui doivent s’assembler pour aboutir aux première formes rudimentaires de vie.

En 2012, une équipe de scientifiques a ainsi  annoncé avoir découvert des molécules de glycoaldéhyde, une forme simple de sucre, dans le gaz entourant une jeune étoile assez semblable à notre soleil et située à 400 années-lumière de la constellation d'Ophiuchus et baptisée IRAS 16293-2422.

Pour l’astrophysicien Jes Jørgensen du Niels Bohr Institute au Danemark, « Cette découverte suggère que des composés de base nécessaires à l'existence de vie existeraient dans l'espace, là même où des systèmes extraterrestres continuent de se former, c’est-à-dire dans le disque de gaz et de poussière entourant cette jeune étoile ». Jes Jørgensen souligne par ailleurs que les molécules de glycoaldéhyde possèdent la propriété de réagir avec une autre molécule appelée propenal pour former du ribose, constituant principal de l'acide ribonucléique (ARN), l’un des composants de base de la vie…

En 2015, une autre équipe de recherche a détecté la présence de molécules organiques complexes  - cyanure de méthyle (CH3CN), et cyanure d'hydrogène (HCN) - dans le disque de gaz et de poussières entourant la jeune étoile MWC 480, située à 455 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Taureau.  

Cette découverte est également capitale car les cyanures de méthyle jouent un rôle-clé dans la chimie du vivant en permettant des liaisons carbone-azote indispensables à la formation des acides aminés et des protéines. En outre, les quantités de cyanure de méthyle détectées sont gigantesques et pourraient remplir tous les océans terrestres. Cette découverte confirme donc que les jeunes systèmes solaires en formation sont tout à fait capables de produire en grande quantité, et bien plus rapidement qu’on ne le supposait jusqu’à présent, une grande variété de molécules organiques complexes. « Nous savons maintenant que nous ne sommes pas uniques en ce qui concerne la chimie organique », souligne Karin Öberg, membre de l’équipe de recherche. 

Il y a quelques semaines, deux autres découvertes majeures sont venues conforter l’hypothèse d’une vie potentiellement bien plus présente qu’on ne l’imaginait dans le Cosmos. Une équipe italo-espagnole (Centre d’astrobiologie de Madrid et Observatoire d’astrophysique de Florence) et une équipe anglo-néerlandaise (University College de Londres et Observatoire de Leiden) ont détecté pour la première fois des traces d’isocyanate de méthyle. Or, l’isocyanate de méthyle est une molécule-clé dans le processus de synthèse des peptides et d’acides aminés précurseurs des protéines. Il avait notamment déjà été détecté en 2015 sur la comète Tchouri étudiée par la sonde Rosetta. 

Le système étudié, IRAS 16293-2422, est un système à plusieurs étoiles à quelque 400 années-lumière de la Terre dans la constellation d’Ophiuchus (aussi appelée Serpentaire), qui a déjà fait l’objet de nombreuses observations et avait dévoilé en 2012 la présence de molécules de glycolaldéhyde, un sucre simple, qui constitue également une « brique » élémentaire du vivant. 

Les astronomes se sont appuyés sur les données récoltées par le télescope Alma de l’Observatoire spatial européen (ESO) au Chili pour détecter la molécule en analysant sa « signature » spectrale parmi les ondes-radio. Ils ont pu identifier l’empreinte spécifique de cette molécule à l’intérieur des régions chaudes et denses du nuage de poussières et de gaz qui entoure chacune des jeunes étoiles à leurs premiers stades d’évolution. Ces chercheurs ont également pu montrer que de grandes quantités d’isocyanate de méthyle pouvaient être produites à la surface des grains de poussières, en dépit du vide spatial. L’ensemble de ces observations et découvertes réalisées depuis cinq ans montre donc que, contrairement à ce que la majorité de la communauté scientifique a longtemps cru, les principaux composants qui constituent les « briques » de la vie sont présents autour de la plupart des étoiles du type comparable à notre Soleil dès le début de leur formation. 

Autre découverte étonnante, celle annoncée en avril dernier par une équipe internationale d’astronomes. Ces chercheurs ont effet mis en évidence la présence d’hydrogène moléculaire, de dioxyde de carbone et de méthanol sur Encelade, la plus étrange des lunes de Saturne, caractérisée par une intense activité volcanique sous la surface de son océan glacé. Ces scientifiques ont pu calculer que l’océan d’Encelade dégageait largement assez d’énergie et de chaleur pour alimenter une hypothétique vie microbienne.  

Telle que nous la connaissons, l’apparition de la vie requiert trois principaux éléments : de l’eau liquide, une source d’énergie pour le métabolisme des organismes et des ingrédients chimiques, en particulier le carbone, l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, le phosphore et le soufre. Les données récoltées montrent qu’Encelade possède tous les ingrédients nécessaires à la vie. 

Il faut également évoquer une découverte majeure réalisée en 2015 par l’équipe de Nicolas Biver, chercheur à l'observatoire de Paris. Ces astrophysiciens ont en effet observé pour la première fois une comète baptisée Lovejoy qui libère de l'alcool et du sucre dans l'espace. Ces scientifiques sont parvenus à identifier 21 molécules organiques différentes dégagées par Lovejoy, parmi lesquelles se trouvaient, pour la première fois, de l'alcool éthylique et du glycolaldéhyde, un sucre simple.

La découverte de ces  molécules organiques complexes à la surface d'une comète conforte l’hypothèse selon laquelle les premières molécules complexes nécessaires à l'apparition des premières formes de vie auraient pu arriver sur Terre à la suite des nombreuses collisions entre notre planète et un grand nombre de comètes et d'astéroïdes qui auraient « ensemencé » la Terre en lui apportant de nombreuses molécules organiques complexes nécessaires à l’apparition des premières cellules vivantes. 

Cette hypothèse a par ailleurs été confortée récemment par une remarquable expérience réalisée par l’équipe d’Uwe Meierhenrich (Université Nice-CNRS) et des astrophysiciens (Université Paris-Sud-CNRS), en simulant l’évolution de la glace interstellaire composant les comètes. Ces scientifiques sont parvenus à reproduire une « comète artificielle » en plaçant dans une chambre à vide et à -200°C un mélange d’eau, de méthanol et d’ammoniac. Ils ont ainsi pu simuler la formation de grains de poussières enrobés de glaces. Ces grains, semblables à ceux que l’on trouve sur les comètes, ont ensuite été irradiés par des UV, comme cela est le cas dans les nébuleuses, avant d’être finalement réchauffés, comme cela se passe lorsque les comètes se rapprochent du Soleil. 

En analysant la composition biochimique de cette « soupe chimique », les scientifiques ont eu la surprise de constater la présence de plusieurs types de sucre, dont le ribose, une molécule constituée de six atomes de carbone. « Leur diversité et leur abondance relatives suggèrent qu’ils ont été formés à partir de formol (ou formaldéhyde), une molécule présente dans l’espace et sur les comètes », précise Uwe Meierhenrich, qui poursuit en expliquant que « cette fabrication de riboses peut s’auto-entretenir, s’auto-organiser jusqu’à former des systèmes plus complexes, une des caractéristiques du vivant ».  

Si l’on relie à présent ces trois bouleversements majeurs, premièrement, le fait que notre galaxie compte un nombre de planètes potentiellement habitables supérieur de plusieurs ordre de grandeur à ce qui était communément admis il y a encore quelques années, deuxièmement, le fait qu’un nombre de jeunes systèmes solaires en formation soient capables de produire à la fois une grande variété et une grande quantité de molécules organiques indispensables à la vie et troisièmement, le fait que les comètes puissent effectivement abriter et transporter sur de grandes distances cette chimie complexe, nous sommes amenés à nous demander si la vie, loin d’être un phénomène rarissime, voire unique, à l’échelle du Cosmos, n’est pas en réalité relativement répandue dans l’Univers, au moins sous des formes primitives. 

L’arrivée prochaine de nouveaux et puissants moyens d’observation et d’analyse, couplée à une puissance de traitement informatique qui croît de manière exponentielle, devrait nous permettre, au cours des 20 prochaines années, de savoir avec une forte probabilité si une forme de vie primitive s’est développée sur certaines des exoplanètes que nous connaissons et qui présentent des caractéristiques favorables à l’accueil du vivant. Si les scientifiques observent qu’en effet il existe quelques exoplanètes, sur les milliers répertoriées, où la vie semble s’être développée, cela voudra dire qu’à l’échelle de notre galaxie et de l’Univers tout entier, la vie n’est pas un accident presque miraculeux mais bien une possibilité finalement assez banale.  

Une telle découverte aurait des conséquences scientifiques, philosophiques et morales absolument immenses en ouvrant alors la porte sur une autre interrogation encore plus vertigineuse : sur les nombreux mondes où elle est apparue, la vie a-t-elle pu se développer ailleurs que sur Terre jusqu’à permettre l’émergence de formes de conscience et d’intelligence comparables, voire supérieures à celle de l’espèce humaine ?

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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