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Edito : Vers le cerveau réparé : les vertigineuses promesses des implants cérébraux

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Éditorial :

Cette semaine, je reviens sur un sujet que j'ai régulièrement abordé depuis la création de notre lettre : celui des implants cérébraux et autres neuroprothèses. En 1998, lorsque j’ai créé cette publication, ces appareils et dispositifs relevaient encore largement de la science-fiction. Mais au cours de ces dernières années, la recherche dans ce domaine a connu une incroyable accélération qui débouche aujourd’hui sur des systèmes opérationnels en laboratoire et laisse espérer une utilisation thérapeutique à large échelle de ce type d’outils révolutionnaires, dans une gamme étendue de pathologies.

En février 2018, une équipe de recherche de l'Université de Pennsylvanie a par exemple présenté un implant cérébral qui a permis pour la première fois de restaurer en partie la mémoire défaillante de vétérans de l’armée. Cet implant vient se connecter au lobe temporal gauche, une zone essentielle pour la mémoire et le langage (Voir Nature). Il permet, grâce à un logiciel approprié, d’améliorer la transmission des signaux électriques et, in fine, de renforcer certaines capacités de mémorisation du sujet. « Tout comme les météorologues prédisent le temps en installant dans l'environnement des capteurs qui mesurent l'humidité, la vitesse du vent et la température, nous installons des capteurs dans le cerveau et nous mesurons les signaux électriques », indiquent les chercheurs.

Theodore Berger, un professeur de bio-ingénierie à l’Université de Californie du Sud, a développé des modèles mathématiques pour l’équipe travaillant sur le projet. Il a également réussi à décoder le déclenchement neuronal, au niveau de l’hippocampe correspondant à des souvenirs particuliers. Les dispositifs ont été testés sur des épileptiques avec des électrodes déjà implantées dans leur cerveau, mais ils pourraient, à terme, être utilisés pour traiter des victimes d’AVC ou certains patients atteints de la maladie d'Alzheimer.

De son côté, une autre équipe du Wake Forest Baptist Medical Center, en collaboration avec des chercheurs de l'Université de Californie du Sud, travaille sur un implant qui fonctionne différemment. Cet appareil, présenté en mars 2018, ne tente pas d'améliorer la transmission du message mais identifie le "code" transmis par les neurones pour chaque souvenir et complète l'information lorsque le cerveau n’en est plus capable (Voir Science Daily).

Cette approche originale a permis aux chercheurs de reconnaître un souvenir précisément dans une série d'images, par exemple : « Voici ma maison, avec son portail en métal vert et ma voiture rouge stationnée devant » précise le professeur Theodore Berger. Selon Robert Hamson, auteur de l'étude, le pourcentage d'amélioration de la mémoire irait jusqu'à 37 % pour des questions comme : « Est-ce-que j'ai bien pris mes médicaments ce matin ? Où sont mes clés ? Où ai-je garé la voiture ? » Ces appareils, déjà testés sur des patients qui souffrent d'épilepsie avec des électrodes intracérébrales, nécessitent encore un matériel externe encombrant, mais il n’existe aucun obstacle de principe qui s’oppose à leur miniaturisation.

Fin 2018, la jeune pousse américaine Ni2o, (pour neuron input to output) a présenté, quant à elle, son projet d’implant cérébral de la taille d'un grain de riz, permettant une communication bidirectionnelle riche entre cerveau et ordinateur. L'idée émane de Newton Howard, chercheur qui dirige le Synthetic Intelligence Lab du Massachusetts Institute of Technology  (MIT), aux États-Unis, et le Computational Neuroscience Lab de l'Université d'Oxford, au Royaume-Uni. Fondée dans ce haut lieu de la recherche scientifique, la jeune société vient de rejoindre l'incubateur de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris. « Notre implant comportera une puce informatique dotée de circuits adaptés à l'apprentissage profond », explique Newton Howard. « Un dispositif extérieur sur le crâne assurera l'alimentation par induction et relaiera la communication sans fil » précise le chercheur.

Cet implant de 1,9 sur 2,2 mm, baptisé Kiwi, a été conçu de manière à pouvoir échanger électriquement dans les deux sens avec les neurones environnants, via une centaine de milliers d'électrodes en nanotube de carbone. Il pourra également interagir directement avec les neurones par voie optique, grâce à l'optogénétique, via une dizaine de milliers de diodes électroluminescentes (LED) miniatures. Les chercheurs espèrent que ce nouveau type d’implant cérébral pourra se substituer, pour de nombreuses pathologies, à des interventions chirurgicales lourdes et à risques. Concrètement, l’implant cérébral peut être implanté, en passant par la cavité nasale, en seulement 2 heures, au lieu de plus de 12 heures pour les implants actuels, mis en place par craniotomie.

Une fois placé dans le cerveau, Kiwi est capable d’interagir avec les neurones du patient, d’analyser les informations envoyées par les neurones et de répondre avec un traitement de stimulation adéquat, soit de la lumière, soit une impulsion électrique. En parallèle, les données sont transmises sur une application mobile, qui permet un double suivi en temps réel, par le patient et par les équipes médicales. Dotés de capacités d’autoapprentissage et s’appuyant sur l’intelligence artificielle, cet implant cérébral pourra s’adapter de manière permanente à l’évolution des troubles dont souffre le patient.

Un premier prototype pourrait être expérimenté des 2020 et une version plus évoluée, disposant de dix fois plus d'électrodes et LED, à l’horizon 2022. Comme toujours, ce dispositif expérimental fera d’abord l’objet d’essais cliniques sur l’animal, avant un éventuel passage à l’homme, d’ici 2025. En théorie, cet implant qui fonctionne sans fil est susceptible de remplir toutes les indications thérapeutiques de la stimulation cérébrale profonde, à commencer par la maladie de Parkinson. Mais les chercheurs pensent que l’implant cérébral Kiwi pourrait, à plus long terme, révolutionner la prise en charge des troubles neurologiques et des maladies neurodégénératives.

En avril dernier, une autre avancée remarquable a été présentée par des chercheurs américains de l'Université de Californie, à San Francisco (Voir Nature). L’idée de ces scientifiques est de parvenir à mettre au point un « décodeur cérébral », capable de transformer les signaux du cerveau en paroles. Ce "neurotraducteur" s’adresse aux patients incapables de parler à cause d'un AVC ou d'une paralysie. Ces chercheurs ont inventé un décodeur pour reproduire des paroles synthétiques par ordinateur, à partir des signaux cérébraux qui déclenchent les mouvements correspondants dans la bouche. Présentée dans la prestigieuse publication « Nature Communications », cette technique reste encore très expérimentale mais l’équipe de recherche se dit persuadée que ce type d’implant sera au point d’ici 10 ans et pourra un jour bénéficier aux patients qui savent parler mais qui en ont perdu la capacité.

« Notre objectif final est bien de créer une technique permettant de restaurer la communication pour des patients incapables de parler, que ce soit en raison de problèmes neurologiques comme les AVC ou de maladies comme certains cancers », explique l'un des auteurs de l'étude, Edward Chang, de l'Université de Californie à San Francisco. Certes, il existe déjà des dispositifs qui aident ces patients à composer des mots lettre par lettre, grâce à des mouvements des yeux ou de la tête. Mais ceux-ci restent très lents, produisant au mieux 10 mots par minute, contre 150 pour la parole.

Pour mettre au point ce nouveau traducteur très innovant, les chercheurs ont eu l’idée d'aller puiser directement les mots à la source : dans le cerveau. Ils ont mené des essais cliniques sur cinq patients traités pour une épilepsie. Dans le cadre de ces essais, les chercheurs ont d'abord demandé à ces patients de lire à voix haute certaines phrases prédéfinies. Cette première phase leur a permis d’identifier, grâce à des électrodes implantées dans le crâne des patients, les signaux cérébraux responsables de l'articulation des mots.

Ensuite, ils ont décodé ces signaux en y associant les mouvements nécessaires à la prononciation, dans les mâchoires, la langue, les lèvres ou le larynx. Enfin, sur la base de ces mouvements, ils ont reproduit ces phrases par ordinateur. Toutes en anglais, ces phrases sont d'une construction simple. Par exemple: « tu ne trouveras pas cette adresse dans l’annuaire ». « Les signaux cérébraux liés aux mouvements de la parole sont en partie communs à tous les individus », assure Edward Chang, qui poursuit, « je suis certain que nous parviendrons un jour à réaliser un décodeur paramétré sur un individu doué de la parole et qui pourra servir à un patient incapable de parler, mais qui pourra contrôler ce dispositif grâce à sa propre activité cérébrale ».

Il y a quelques semaines, des chercheurs français ont réalisé une première mondiale impressionnante, en présentant un exosquelette pouvant être commandé par la pensée. Il s’agit d’une avancée scientifique majeure qui a permis à un patient paralysé des quatre membres, depuis une chute, de diriger directement par la pensée, au terme d’un long entraînement, les mouvements d'un exosquelette motorisé (Voir Clinatec et The Lancet).

« C'est un message d'espoir pour les personnes dans le même état que moi : il y a des choses possibles, même si on a un gros handicap », explique ce jeune Lyonnais de 28 ans, premier patient d'un essai clinique mené par Clinatec, un centre de recherche biomédicale du CEA, à Grenoble.

Le prototype, issu de dix ans de recherches de plusieurs équipes, repose sur des électrodes implantées dans le crâne, qui vont "capter les signaux envoyés par le cerveau et les traduire en signaux moteurs", décrit Alim-Louis Benabid, professeur émérite à l'Université Grenoble Alpes. Chez les paralysés des quatre membres suite à une fracture de la colonne vertébrale, « le cerveau est toujours capable de générer les ordres qui habituellement font bouger les bras et les jambes, mais il n'y a personne qui les exécute », explique cet éminent scientifique, auteur principal de cette étude.

Dans le cas de Thibault, les chercheurs ont montré qu'il était possible de capter correctement, et en continu, les signaux électriques correspondant à son activité cérébrale et de les transmettre quasiment en temps réel et sans fil vers l'ordinateur qui les décode. Le jeune homme s’est entraîné chez lui pendant plusieurs mois sur un simulateur. Grâce à son implant, il est parvenu à faire réaliser des mouvements à un avatar virtuel sur l'écran de son téléviseur. « J'ai dû tout réapprendre petit à petit mais la plasticité cérébrale fait qu'on retrouve les ordres à envoyer pour obtenir les bons mouvements, de manière beaucoup plus souple, beaucoup plus naturelle », explique Thibault.

Celui-ci s’est ensuite rendu trois jours par mois à Grenoble pour faire les mêmes exercices directement sur l'exosquelette. Aujourd’hui, à l’issue de son laborieux processus de rééducation cérébrale, il parvient à faire avancer les jambes du robot, à plier le coude, ou encore à lever les épaules... « Honnêtement, bien qu’optimiste de nature, je ne pensais pas que j’arriverai à aller aussi loin et j’ai vraiment le sentiment de participer à une aventure scientifique exceptionnelle », souligne Thibault. Fort de ce remarquable succès, les chercheurs projettent de réaliser trois nouvelles expérimentations, sur trois autres sujets volontaires, au cours de ces prochains mois, précise le Professeur Benabid.

Ces nouveaux essais vont notamment permettre d'améliorer l'équilibre de l'exosquelette, le gros point faible de tous les robots de ce type. « Cela nécessite des calculs très lourds et des temps de réaction très rapides, sur lesquels on est en train de travailler, en utilisant l'intelligence artificielle », expliquent les chercheurs. « Mais en attendant un exosquelette parfaitement réactif et autonome dans tous les environnements, notre interface pourrait déjà permettre d'ici quelques années aux personnes tétraplégiques de diriger leur fauteuil roulant ou de guider un bras motorisé, qui améliorerait considérablement leur autonomie », précise le Professeur Benabid, qui ajoute, non sans fierté, « D'autres équipes de chercheurs ont déjà implanté des électrodes pour stimuler par le cerveau les muscles de patients paralysés ou amputés, mais notre équipe est la première à ma connaissance à utiliser directement les signaux du cerveau pour contrôler un robot exosquelette ».

Cette prouesse scientifique et technologique a été rendue possible grâce à une nouvelle interface cerveau-machine nommé Wimagine®, développée au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette neuroprothèse unique au monde est la clef de voute technologique permettant au patient d’actionner par la pensée l’exosquelette à l’intérieur duquel il a pris place. Ce dispositif léger a seulement besoin d’être posé sur le cerveau pour collecter au moyen de ses 64 électrodes d’indispensables signaux électriques. « La grande innovation de ce dispositif est de pouvoir mesurer de manière chronique en haute résolution l’activité électrique dans le cerveau correspondant à des intentions de mouvement du patient puis de les transmettre en temps réel et sans fil vers un ordinateur qui va se charger de les analyser et de les décoder », expliquent les chercheurs.

Ces mesures de l’activité électrique enregistrée sur le cortex permettent, grâce à des algorithmes extrêmement sophistiqués et reposant sur l’apprentissage profond et l’intelligence artificielle, de prédire le mouvement volontaire imaginé par le patient et de le transmettre, sous forme opérationnelle aux membres de l’exosquelette qui va alors les exécuter quasiment en temps réel. Commentant ses travaux, le professeur Benabid tient à souligner un point qui lui semble capital. Il insiste sur le fait qu’il ne s’agit en aucun cas, dans son esprit, d’aller vers un homme « augmenté », mais de réparer et de rétablir le plus efficacement possible, des fonctions cérébrales ou des mécanismes neurologiques altérés ou lésés.

Enfin, relatons une dernière étude fascinante, publiée il y a seulement quelques jours par l’équipe américaine du Professeur Todd Roberts, du Southwestern Medical Center au Texas (Voir Science). Ces chercheurs ont voulu savoir s’il était possible d’implanter des souvenirs qui n’ont en réalité jamais existé, comme dans le célèbre film de science-fiction « Inception » de Christopher Nolan. Ces travaux ont porté sur le diamant mandarin, une espèce d’oiseau qui apprend à chanter en mémorisant ce qu’il entend de ses géniteurs, puis en le répliquant progressivement. Cet apprentissage se déroule dans une région précise du cerveau des oiseaux, nommée HVC (pour high vocal center). Et cette zone est elle-même alimentée par le cortex moteur, qui envoie des informations au HVC.

Les chercheurs ont eu l’idée d’insérer un encodage de souvenirs dans le cerveau d’un groupe d’oiseaux n’ayant aucune expérience d’apprentissage par imitation. Ils ont alors pu constater que ces oiseaux ont pu apprendre à chanter des mélodies qu’ils n’avaient jamais entendues. Ils ont également observé que les longueurs de note correspondaient au niveau de lumière reçue (par la technique de l’optogénétique). En clair, plus la stimulation lumineuse des neurones était longue, plus la note apprise avait également une longueur importante.

Selon ces scientifiques, il serait tout à fait possible d’imaginer intervenir, par les mêmes techniques optogénétiques, sur d’autres aires cérébrales, pour implanter ou modifier des souvenirs plus complexes. L’étude montre également, de manière très étonnante, que, même quand la liaison entre le cortex cérébral et le HVC (high vocal center) est interrompue, les oiseaux parviennent quand même à se souvenir en partie des mélodies implantées, ce qui montre que celles-ci ont été stockées, par des mécanismes biochimiques qui restent à découvrir, dans d’autres régions de leur cerveau.

Ces quelques exemples d’implants cérébraux (mais il y en a beaucoup d’autres en développement dans le monde) montrent à quel point la recherche dans ce domaine fascinant a progressé au cours de ces dernières années. Toutes ces avancées absolument remarquables laissent à penser que des réalisations médicales, qui relevaient encore du domaine du rêve lointain il y a une dizaine d’années, seront opérationnelles bien plus rapidement qu’on l’imagine, permettant, d’une part, d’effectuer un bond en avant dans la connaissance fondamentale du fonctionnement de notre cerveau et de notre système nerveux et, d’autre part, d’ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques pour traiter une vaste gamme de troubles et de pathologies neurologiques ou psychiatriques, avec bien moins d’effets secondaires qu'aujourd’hui.

Mais face à ces avancées médicales, scientifiques et technologique extraordinaires, nous devons redoubler de vigilance, comme le souligne avec force le professeur Benabid, pour ne pas glisser insensiblement du rêve dans un cerveau réparé à celui d'un cerveau « augmenté » ou amélioré. C’est pourquoi, comme je le préconisais il y a déjà 20 ans, il est aujourd’hui urgent que notre société tout entière entame de manière sereine une profonde réflexion conduisant à la construction d’un cadre de « neuroéthique », fixant les limites que nous ne souhaitons pas dépasser, en matière d’intervention directe, à l’aide de ces nouveaux outils, sur notre cerveau, si nous voulons à la fois préserver la singularité existentielle de chacun et son humanité.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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