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Edito : Des vaccins anti-cancer sûrs et efficaces arriveront plus vite que prévu

Cette semaine, je reviens sur un sujet passionnant, que j'évoque régulièrement, mais qui a connu un développement scientifique assez incroyable au cours de ces derniers mois : les vaccins contre le cancer. Pour éviter toute ambiguïté, rappelons qu’il s’agit essentiellement (à l’exception notable du vaccin préventif contre le virus HPV), de vaccins thérapeutiques, c’est-à-dire de traitements immunothérapiques puissants et ciblés, qui ne vont pas prévenir la maladie, mais vont permettre de la combattre plus efficacement, en mobilisant au bon endroit, et au bon moment, toutes les ressources de notre système immunitaire.

 Outre-Atlantique, des chercheurs de la faculté de médecine de l’Université de Washington, à Seattle, ont annoncé fin 2022, des résultats remarquables concernant leur vaccin expérimental à ADN, contre le cancer du sein. Expérimenté pendant dix ans sur 66 femmes, ce vaccin cible la protéine HER2, un récepteur impliqué dans la prolifération cellulaire, qui est surexprimé dans la plupart des cas de cancer du sein. Ce vaccin a provoqué une forte réponse immunitaire contre cette protéine, ce qui laisse penser qu’il pourrait être efficace pour traiter différents types de cancer du sein (Voir UW Medicine).

Fin 2022, (Voir Transgene), la société de biotechnologie Transgene, l’Institut Curie et l’Oncopole de Toulouse ont annoncé de bons résultats sur des patients souffrant de cancers ovariens, anaux et génitaux provoqués par le papillomavirus. Le vaccin expérimenté par Transgene permet une amélioration sensible du taux de survie. « Tous les patients inclus dans l’essai ont développé une réponse immunitaire robuste », précise le Docteur Maud Brandely, directrice des affaires médicales de Transgene.

Ce vaccin cible les néo-antigènes, des protéines spécifiques de surface des cellules cancéreuses, propres à chaque cancer et à chaque patient. Dans le cas présent, les chercheurs ont réussi à réactiver le système immunitaire avec des cellules malignes inactivées, porteuses de néo-antigènes spécialement produits pour le malade et son type de cancer. L’avantage de cette approche est qu’elle induit une mémoire durable des cellules immunitaires qui seront capables de se réveiller immédiatement, en cas de récidive, plusieurs mois ou même plusieurs années après le traitement initial.

Après les premiers essais de ce vaccin, début 2021, sur un patient atteint par un cancer ORL, le traitement TG4050 vient d'être étendu à 21 patients en France, dont 15 à Toulouse et 6 à l’Institut Curie à Paris. A ce jour, une dizaine de volontaires ont été vaccinés en France lors de la première phase de la recherche.

Ce vaccin thérapeutique, bien qu’il puisse prévenir ou limiter fortement les risques de récidives, a été initialement conçu pour repérer et détruire les tumeurs, et non pour prévenir une maladie comme le font les vaccins classiques. Pour atteindre cet objectif, Transgene a combiné de manière ingénieuse deux technologies de pointe, le séquençage ADN et l’intelligence artificielle, de manière à pouvoir obtenir des doses individualisées en trois mois. « Notre approche permet d’entraîner le système immunitaire, pour lui apprendre comment et où attaquer le cancer de chaque patient en fonction de ses caractéristiques. Ce vaccin est à la pointe de la médecine personnalisée, car il sera unique pour chaque patient », précise Hedi Ben Brahin, directeur général de Transgene. À l’avenir, ce vaccin de Transgene pourrait être étendu à d’autres types de cancer, mais il se concentre, pour l’instant, uniquement sur les cancers ORL et de l’ovaire qui répondent mal à l’immunothérapie.

Une autre percée remarquable concerne le vaccin UCPVax, développé à l’Université de Franche-Comté par l’équipe du Professeur Adotévi. Ce vaccin thérapeutique, fruit de onze ans de recherches, permet de neutraliser la télomérase, l’enzyme qui rend les cellules cancéreuses immortelles. Il a été conçu pour activer spécifiquement des cellules du système immunitaire appelées les lymphocytes T CD4, qui jouent un rôle-clé dans la réponse immunitaire dirigée contre le cancer. Ce premier essai clinique, piloté par le CHU de Besançon, a été mené dans plusieurs centres en France (Besançon, Dijon, Paris, Strasbourg et Mulhouse).

Une soixantaine de patients atteints de cancer du poumon avancé et en échec thérapeutique ont été traités avec UCPVax, ce qui a permis de confirmer son innocuité et son efficacité. Administré en trois doses, l’UCPVax a provoqué une forte réponse immunitaire chez environ 80 % des patients. Autre point positif, une augmentation de la survie sans progression de la maladie a été observée chez environ la moitié des patients répondant au vaccin. Ce vaccin est utilisé, soit seul, soit en combinaison avec d’autres thérapies anticancéreuses, dans différents types de cancer tels que le glioblastome, les cancers liés au Papillomavirus humains (canal anal, ORL et cancer du col de l’utérus) et plus récemment dans le cancer du foie. Une centaine de patients ont déjà pu bénéficier de ce vaccin UCPVax dont la production est assurée par la pharmacie du CHU de Besançon.

De son côté, l’équipe de Khalid Shah, de l'école de médecine d’Harvard, expérimente un vaccin thérapeutique contre le glioblastome, un redoutable cancer du cerveau. Il consiste à utiliser des cellules cancéreuses pour les transformer, grâce à l’outil CRISPR, et les retourner contre leurs congénères. « Les cellules tumorales vivantes ont la particularité de parcourir de longues distances à travers le cerveau mais finissent par retourner à leur foyer d’origine avec les autres cellules tumorales. Une fois de retour dans leur foyer d’origine, ces cellules modifiées s'attachent à tuer les autres cellules cancéreuses », précise le Professeur Shah. Cette approche a donné de bons résultats sur la souris mais doit être validé chez l’homme (Voir Harvard).

Une autre voie de recherche avance également à grand pas, celle qui repose sur l’utilisation de l’ARN messager, popularisé par le Covid-19. L’idée est d’injecter un fragment ARN de cellules cancéreuses qui va provoquer la production de la désormais célèbre protéine Spike qui tapisse la membrane des cellules. Cette stratégie va réveiller le système immunitaire qui va pouvoir repérer ces cellules comme nocives et les détruire en mobilisant les lymphocytes T, des blancs spécialisés dans la défense de l’organisme. Les laboratoires Merck MSD et Moderna ont créé l'événement en annonçant, en décembre 2022, que leur vaccin expérimental réduisait de 44 % les taux de rechute et de mortalité du mélanome, un grave cancer de la peau, dont l’incidence a sensiblement augmenté depuis plusieurs années (Voir Merck).

De son côté, la firme BioNTech, qui a mis au point le vaccin anti-Covid Pfizer, développe sa propre technologie à ARN messager contre certains cancers du sein et de la prostate. A la fin de l’année dernière, les dirigeants de BioNTech ont annoncé que ses premiers vaccins anti-cancer seront disponibles d’ici 2030. Paul Burton, directeur médical de la société Moderna, vient également dans une interview remarquée au Guardian, le 7 avril 2023, de confirmer l’arrivée de toute une panoplie de nouveaux vaccins thérapeutiques contre le cancer dans les années à venir. « Je pense que nous serons en mesure de proposer des vaccins personnalisés contre le cancer et contre plusieurs types de tumeurs. Ces vaccins seront très efficaces et sauveront des millions de vies. Mais au-delà du cancer, nous aurons également de nouvelles thérapies basées sur l'ARNm pour les maladies rares et autoimmunes qui étaient auparavant impossibles à soigner. Nous allons entrer dans une nouvelle ère médicale dans laquelle vous pourrez vraiment identifier la cause génétique d'une maladie et, assez simplement, vous pourrez la modifier et la réparer en utilisant la technologie basée sur l'ARNm » a notamment déclaré Paul Burton (Voir The Guardian).

Le grand avantage des vaccins à ARN messager est qu’ils peuvent directement fournir les instructions précises qui vont permettre aux cellules de la personne vaccinée de produire elles-mêmes les agents infectieux contre lesquels elles vont devoir lutter. Par ce mode d’action révolutionnaire, le système immunitaire peut produire les anticorps nécessaires pour lutter contre une multitude d’agents pathogènes, bactéries, virus, ou cellules malignes et la mémoire immunitaire assurera en outre une excellente protection de longue durée, en réactivant de manière rapide et puissante nos défenses immunitaires dans le cas où elles seraient confrontées une nouvelle fois aux mêmes agents pathogènes

La FDA, la puissante autorité indépendante de santé américaine, a désigné le vaccin personnalisé contre le cancer de Moderna comme thérapie révolutionnaire, compte tenu des excellents résultats lors des essais cliniques chez les patients atteints de mélanome. Dans ces essais, Moderna et Merck ont recruté 157 patients atteints d’un mélanome avancé. Après intervention chirurgicale, les patients ont été répartis en deux groupes : le premier a reçu un nouveau vaccin anticancéreux personnalisé à base d’ARN messager en même temps que l’anticorps monoclonal KEYTRUDA (pembrolizumab) ; le second a seulement bénéficié du KEYTRUDA, une immunothérapie qui bloque une protéine (PD-1) présente sur les lymphocytes, et qui freine la réponse immunitaire contre les tumeurs.

Les patients du groupe “vaccin” combiné à l’anticorps monoclonal ont reçu 9 doses de vaccin à ARNm associé au KEYTRUDA pendant environ 1 an jusqu’à la récidive de la maladie. L’autre groupe contrôle n’a reçu que le KEYTRUDA. Le résultat est sans appel : le groupe ayant bénéficié du traitement combiné a connu une réduction du risque de récidive ou de décès de 44 %.

Forts de ces bons résultats, Moderna et Merck ont lancé une étude de phase 3 chez des patients atteints du mélanome. Les deux firmes ont annoncé le 6 avril dernier que, sur la base des résultats de leur essai clinique, ce candidat vaccin associé à KEYTRUDA avait reçu la désignation de "programme de médicaments prioritaires" (PRIME) de l’Agence européenne des Médicaments.

Evoquons enfin, dans ce bref panorama des vaccins anti-cancer, les résultats absolument remarquables obtenus par l'Australie, qui a été le premier pays à déployer un programme national de vaccination contre le papillomavirus – HPV- à partir de 2007, introduisant la vaccination en milieu scolaire pour les filles, avant d’étendre ce programme aux garçons en 2013. L’efficacité exceptionnelle de ce programme a encore été augmentée par l’arrivée en 2018 d’un vaccin de nouvelle génération protégeant contre environ 90 % des cancers du col de l'utérus chez les femmes. Un programme de rattrapage a en outre été lancé pour les jeunes qui n'ont pas été vaccinés et a été étendu pour inclure les personnes âgées de moins de 25 ans.

Ce programme de vaccination unique au monde réduit non seulement le risque à vie d'avoir un cancer du col de l'utérus et d'autres cancers liés au HPV, mais il a également contribué à faire passer le dépistage du cancer du col de l'utérus tous les deux ans à un dépistage tous les cinq ans. Cette nouvelle approche, fruit d’une politique très volontariste et globale de santé publique, a permis d’obtenir une diminution de 77 % du nombre de femmes de 18 à 24 ans atteintes du HPV.

Les anomalies précancéreuses ont pour leur part diminué de 34 % chez les 20 à 24 ans, ce qui se traduit par un risque considérablement réduit de développer un cancer du col de l'utérus. Commentant ces résultats incontestables, la professeure Karen Canfell, présidente du comité australien de dépistage du cancer, prévoit une quasi-disparition du cancer du col de l’utérus en Australie à l’horizon 2035…

On le voit, l’arrivée prochaine de ces vaccins thérapeutiques à ARN et ADN contre de nombreux cancers, aujourd’hui encore difficiles à traiter, marque une formidable révolution scientifique médicale qui va contribuer à faire de la très grande majorité des cancers une maladie chronique et contrôlable. Et il était temps car le cancer, avec 18 millions de nouveaux cas par an dans le monde et 9,6 millions de décès, est devenu la seconde cause de mortalité, derrière les maladies cardiovasculaires. A ce coût humain énorme, il faut aussi ajouter un coût financier considérable, plus de 900 milliards d’euros dans le monde (18 milliards d’euros en France en 2017), qui plombe les systèmes de santé.

Grâce à l’excellence de sa recherche fondamentale et clinique, notre pays peut s'enorgueillir d’être à la pointe mondiale dans ce domaine d’avenir des vaccins contre le cancer et nous devons évidemment maintenir notre effort budgétaire en faveur de cette voie de recherche porteuse d’immenses espoirs contre cette maladie, mais aussi, à terme, contre bien d’autres pathologies graves et encore incurables.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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