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Edito : La médecine marque des points dans son éternel combat contre la douleur...

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), on estime qu'environ 1,5 milliard de personnes souffrent de douleur chronique dans le monde. Cette douleur, souvent invisible, affecte leur qualité de vie globale, tant au niveau professionnel que social et affectif et peut même finir par fragiliser leur santé mentale. En France, on estime que 20 millions de personnes souffrent de douleurs chroniques d'intensité modérée à sévère, soit près de 30 % de la population. Depuis plus de deux siècles, les médicaments dérivés de l'opium occupent une place centrale dans la lutte contre la douleur. C'est en 1818 que le médecin François Magendie parvint à soulager les souffrances d'une femme en ayant recours à la morphine (découverte en 1805 par Friedrich Sertüner), à la place de l’opium en pratique clinique

Aujourd'hui, chacun a à l'esprit la situation sanitaire invraisemblable qui règne aux États-Unis, ou la surprescription, sans aucun contrôle, de ces médicaments opioïdes, à commencer par le tristement célèbre Fentanyl qui a tué plus de 500 000 personnes depuis 20 ans (ces décès sont devenus la première cause de mortalité chez les jeunes Américains de 18 à 45 ans), et qui montre à quel point il est urgent de trouver de nouveaux médicaments et traitements de substitution aux opiacés. Le professeur John Levine du Centre de recherche sur la douleur et les addictions à l'Université à San Francisco, qui mène des recherches sur la douleur et l'analgésie depuis plus de quarante ans, souligne que la découverte de nouvelles approches thérapeutiques et de nouvelles molécules, efficaces et porteuses de moins d'effets secondaires, contre la douleur, est devenue une priorité, non seulement au niveau américain mais pour le monde entier. Cet avis est partagé par un autre scientifique de renom, Ardem Patapoutian, biologiste moléculaire et neuroscientifique au Scripps Research à La Jolla en Californie et colauréat du prix Nobel de médecine en 2021 pour sa découverte des récepteurs de la température et du toucher. Comme le souligne ce dernier, « Il existe différentes formes de douleurs. Pour certaines d'entre elles, nous disposons de bons médicaments, notamment contre la douleur inflammatoire. Mais contre les douleurs chroniques, neuropathiques, nous manquons de solutions et sommes obligés de recourir à certains traitements, comme des neuroleptiques ou des antidépresseurs, initialement conçus pour d'autres pathologies ». Aux États-Unis, la crise de santé publique liée à la surconsommation de médicaments opioïdes a conduit le Congrès à lancer le programme HEAL (Helping to End Addiction Long-term Initiative), doté de 500 millions de dollars de budget annuel et destiné à trouver des médicaments alternatifs pour soulager les 50 millions d'Américains souffrant de douleurs chroniques.

Heureusement, depuis quelques mois, la recherche a fait de réelles avancées dans la lutte ciblée contre les différentes formes de douleur. L'Agence américaine du médicament, la FDA (Food and Drug Administration) a approuvé fin janvier 2025 le suzetrigine (Journavx), qui devient le seul médicament antalgique non opioïde destiné à soulager les douleurs modérées à sévères de l’adulte. Cette approbation est la première depuis plus de 20 ans pour un médicament antalgique non opioïde. Contrairement aux médicaments opioïdes qui agissent directement au niveau du cerveau, le suzetrigine, qui s’administre par voie orale sous forme de comprimés, agit de manière ciblée, uniquement dans les régions où se produisent les signaux de douleur. Ainsi, ce nouveau médicament ne présente aucun risque d’accoutumance ni de dépendance. Toutefois, il faut noter que l’essai clinique portait sur des douleurs aiguës et qu’il reste à évaluer l’efficacité du suzetrigine pour soulager les douleurs chroniques, qui impliquent des mécanismes biologiques et neurologiques plus complexes. Ce médicament cible des canaux sodium particuliers (appelés les canaux NAV1.8), et bloque ainsi la transmission du signal douloureux jusqu’au cerveau. Dans les essais cliniques menés sur plus de 1 000 patients, le suzetrigine s’est montré aussi efficace que les médicaments opioïdes pour soulager les douleurs modérées à sévères, tout en entraînant moins d’effets secondaires.

Il y a quelques jours, Viatris a annoncé que la forme à action rapide de son nouvel analgésique générique meloxicam avait montré son efficacité, dans le cadre de deux études cliniques. S'appuyant sur ces bons résultats, Viatris va demander l'autorisation de mise sur le marché de la FDA américaine pour son médicament d'ici la fin de l'année. Le médicament a été testé sur des patients ayant subi différentes interventions chirurgicales et il a permis une réduction sensible de la douleur par rapport au placebo. Il a également permis de réduire la consommation d'opioïdes, qui créent une forte dépendance, pendant toute la durée du traitement (Voir Viatris).

En France, Tafalgie Therapeutics, société de recherche biopharmaceutique française, "spin-off" du CNRS et d'Aix-Marseille Université, a été sélectionnée par le Conseil européen de l'innovation (EIC) et a reçu un soutien financier de 8,5 millions d'euros dans le développement d'une nouvelle génération de molécules antidouleurs. La biotech marseillaise développe un médicament capable de calmer les douleurs aiguës et chroniques, sans les effets secondaires des traitements actuels. Cette société est dirigée par Aziz Moqrich, docteur en neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, qui a longtemps travaillé aux États-Unis avec l'équipe renommée du Professeur Patapoutian.

L'équipe d'Aziz Moqrich a découvert que certains neurones étaient aussi capables de calmer la sensation de douleur, en modulant sa transmission via une protéine baptisée TAFA4, sécrétée naturellement chez tous les mammifères. Contrairement aux opioïdes qui agissent sur l'ensemble du cerveau, cette protéine agit au niveau du système nerveux périphérique et de la moelle épinière, ce qui permet une prise en charge de la douleur radicalement différente. A la différence des médicaments antidouleur existants, TAFA4 ne bloque pas complètement le signal douloureux, mais le réduit progressivement, en restaurant un fonctionnement cellulaire normal. Cette approche a permis, dans les essais précliniques, de maîtriser, sans les inconvénients parfois lourds des opioïdes, différents types de douleur, de nature et d’intensité variables. Une autre firme française, implantée à Paris, Vertex Pharmaceuticals, est sur le point de débuter des essais cliniques de phase 3 pour un autre traitement de la douleur aiguë modérée à sévère. Il s'agit d'un inhibiteur sélectif du NaV1.8, un canal ionique au rôle clé dans le potentiel électrique des neurones. Là aussi, l'idée est d'utiliser un mécanisme, dans le système nerveux périphérique, qui interrompe le signal douloureux, avant que celui-ci n'atteigne le cerveau. Appelé VX-548, le candidat-médicament de Vertex Pharmaceutica semble efficace dans le traitement de nombreuses douleurs médicales et chirurgicales. Par ailleurs, contrairement aux opioïdes, le VX-548 n’affecte ni le cerveau, ni la moelle épinière, réduisant ainsi considérablement les risques de dépendance (Voir NEJM).

Il a quelques jours, un autre médicament expérimental développé à la Duke University School of Medicine a confirmé son potentiel contre la douleur sans les effets secondaires dangereux des opioïdes. Le médicament, appelé SBI-810, fait partie d'une nouvelle génération de composés conçus pour cibler un récepteur sur les nerfs et la moelle épinière. Alors que les opioïdes inondent plusieurs voies cellulaires sans discrimination, SBI-810, un traitement non opioïde, adopte une approche plus ciblée, activant uniquement une voie de décharge spécifique (Voir Duke University School of Medicine).

Les essais sur l'animal ont confirmé le potentiel du SBI-810, qui a non seulement bien fonctionné seul mais a également rendu les opioïdes plus efficaces à des doses plus faibles, lorsqu'il est associé avec ces derniers. Ce nouveau médicament prometteur contre la douleur est également dénué d'effets secondaires et ne provoque pas d'addiction. Le SBI-810 est conçu pour cibler le récepteur de la neurotensine du récepteur cérébral 1. Ce récepteur est exprimé sur les neurones sensoriels, le cerveau et la moelle épinière. SBI-810 a réussi à soulager la douleur des incisions chirurgicales, des fractures osseuses et des lésions nerveuses de manière plus efficace que les meilleurs médicaments disponibles, comme l'oliéridine, un nouveau type d'opioïde utilisé dans les hôpitaux. Le SBI-810 s'est également avéré supérieur à la gabapentine, un médicament utilisé pour les douleurs nerveuses, et n'a pas entraîné d'effets de mémoire ou de sédation.

Autre avancée remarquable, récemment, des chercheurs de l'Université de l'Arizona en sciences de la santé ont identifié un moyen potentiel de réduire la douleur postopératoire des femmes en inhibant la prolactine hypophysaire générée par le stress préopératoire. La prolactine, que l'on trouve à des niveaux plus élevés chez les femmes que chez les hommes, est une neurohormone qui stimule le développement des glandes mammaires et de la production de lait. Des recherches récentes menées par la Professeure Porreca, directrice de la recherche pour le Centre complet de la douleur et de la toxicomanie des sciences de la santé, ont révélé qu'elle agit également sur les nocicepteurs féminins, les cellules nerveuses responsables de la transmission de signaux de douleur au cerveau. On sait que le stress peut accroître la concentration de la prolactine chez les femmes, conduisant à un emballement du circuit de la douleur pré et postopératoire. C'est l'hypophyse qui libère cette prolactine mais cette production est modulée par l'hypothalamus, grâce à la dopamine, un inhibiteur naturel de la prolactine.

Ces travaux ont montré que des niveaux élevés de prolactine prolongent le degré de douleur postopératoire et qu’une intervention pré-chirurgicale pour réduire les niveaux de prolactine pourrait diminuer le niveau de douleur postopératoire. « Nous savons à présent comment le stress peut influencer l'excitabilité des nocicepteurs qui vont produire la douleur au système nerveux central » souligne la Professeure Porreca, qui a réussi, avec son équipe, à réduire les niveaux de prolactine et à diminuer la douleur postopératoire chez les souris femelles en utilisant différentes approches ; la thérapie génique ; l'utilisation de la Cabergoline, un médicament qui agit dans les récepteurs de la dopamine pour inhiber la libération de la prolactine ; et l'administration de PL 200 019, un nouvel anticorps monoclonal qui bloque la prolactine. Comme la cabergoline est un médicament approuvé déjà autorisé par la Food and Drug Administration, ces chercheurs vont poursuivre les essais cliniques et tester son efficacité comme traitement préventif pour la douleur post-chirurgicale des femmes.

Dans cette lutte incessante contre la douleur, la recherche explore également des approches physiques et énergétiques pleines de promesse. En septembre dernier, des chercheurs de l’université de l’Utah ont mis au point un étonnant appareil à ultrasons destiné à lutter contre certaines douleurs chroniques. Ce dispositif non invasif, baptisé Diadem, envoie des ultrasons vers les régions profondes du cerveau. Ces faisceaux d'ondes vont venir perturber les signaux à l’origine des douleurs chroniques. Cette méthode, appelée neuromodulation, cherche à réguler directement l'activité de certains circuits cérébraux (Voir The University of UTAH). Après avoir cartographié par IRM la région cible du cerveau, les chercheurs ont ajusté les émetteurs d'ultrasons de Diadem, de façon à corriger la trajectoire des ondes dans le cerveau. Ces scientifiques ont ensuite recruté 20 patients souffrant de douleur chronique. Ceux-ci ont été répartis en deux groupes, afin de pouvoir réaliser une étude en double aveugle contre placebo : les deux groupes ont eu droit à des séances de 40 minutes avec le dispositif, mais en réalité, seuls les patients du groupe 1 avaient une stimulation par ultrasons réelle. Les patients devaient ensuite décrire leurs souffrances un jour et une semaine après leurs séances. Résultat : 60 % des volontaires ayant reçu le traitement réel signalaient une réduction clinique significative des symptômes sur ces périodes.

La lumière peut également être utilisée pour maîtriser ou atténuer certaines douleurs, notamment en cancérologie. Cette technique, appelée photobiomodulation (PBM), est connue depuis plus de 50 ans et a été utilisée en dermatologie, avec des lasers non thermiques (low level laser therapy ou LLLT). Depuis quelques années, la PBM connaît un nouvel essor pour mieux prendre en charge les douleurs liées au cancer. Le service du Docteur Antoine Lemaire, chef du pôle cancérologie et spécialiste de la douleur au centre hospitalier de Valenciennes (Nord), est en pointe dans cette approche. Il est le seul pour l'instant à posséder une installation permettant d'agir par photobiomodulation sur le corps entier, et pas simplement sur une zone précise. Depuis 6 ans, 400 patients par an ont pu bénéficier de ces soins anti-douleur par laser. Concrètement, ce dispositif utilise des sources lumineuses dont la longueur d'onde se situe dans le spectre visible et proche de l'infrarouge (entre 600 et 1000 nanomètres).

Remedee Labs, fondée en 2016 et installée à Mont-Saint-Aignan, dans l'Isère, a développé pour sa part le premier bracelet émetteur d’ondes millimétriques qui stimule la production d’endorphines, des analgésiques naturels de l’organisme. Elle propose également une plate-forme digitale de services, pour un accompagnement personnalisé et une prise en charge multidisciplinaire de la douleur. Remedee Labs a développé une solution globale avec un bracelet stimulateur d’endorphines par ondes millimétriques. Le traitement de la douleur chronique par ondes millimétriques a déjà montré son efficacité depuis un demi-siècle auprès de millions de patients. Mais il s'est longtemps appuyé sur des équipements lourds, ce qui rendait obligatoire le traitement des patients à l'hôpital. Mais Remedee Labs a révolutionné cette approche, en la rendant portable et en la mettant à la portée du plus grand nombre. Son système tient tout entier dans un simple bracelet porté au poignet et doté d’une puce microélectronique qui stimule la production naturelle d’endorphines. Deux études cliniques menées notamment avec le CHU de Grenoble, auprès de patients atteints d’arthrose et de fibromyalgie, ont confirmé l’efficacité de cette solution. Ce dispositif médical innovant, après avoir été reconnu par la puissante FDA américaine en 2022, a été autorisé en Europe pour soulager les symptômes de la fibromyalgie. La commercialisation de cette solution médicale est prévue pour courant 2025. La start-up commercialise une première version de sa solution, Remedee Well, pour améliorer la qualité de vie de ses utilisateurs au quotidien. Elle comprend la mise à disposition du bracelet ainsi qu’un accompagnement personnalisé et l’accès à des services digitaux. Remedee Labs travaille en étroite collaboration avec le CEA pour mieux évaluer les effets thérapeutiques de sa technologie sur les patients. En 2018, une autre équipe brésilienne de la São Paulo Research Foundation (FAPESP) avait montré que la combinaison du laser et des ultrasons permettait une réduction considérable des douleurs liées à la fibromyalgie, une affection chronique aux causes encore mal connues, qui touche environ 5 % de la population et entraîne de vives douleurs chroniques.

Je veux, enfin, évoquer l'utilisation, encore balbutiante, de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) qui donne de surprenants résultats, après une dizaine de séances, dans le traitement de douleurs sévères et résistantes, comme celles ressenties par des patients ayant subi une intervention du rachis ou souffrant de sclérose en plaques. « Cette approche permet de produire un champ magnétique, très puissant et focalisé qui va cibler une région du cerveau particulière pour contrôler la douleur, notamment chez des patients atteints de douleurs neuropathiques résistantes aux traitements conventionnels », souligne Didier Bouhasira, neurologue à l'hôpital Ambroise-Paré et directeur de recherche à l'Inserm. Malheureusement, pour le moment il n'existe que 4 centres anti-douleur en France qui sont équipés de cette machine, qui permet de réduire de 50 % la douleur pour la moitié des patients, un résultat considéré comme remarquable par la communauté scientifique.

Grâce à ces découvertes et avancées, nous devrions enfin disposer, dans un proche avenir, d'une palette bien plus riche, variée et efficace, de médicaments et traitements contre les différentes formes de douleur auxquelles nous sommes tous appelés à être confrontés. Et l'on peut même imaginer que, dans un futur proche, le traitement de la douleur deviendra beaucoup plus personnalisé et combinera de manière unique, pour chaque patient, grâce aux outils d'IA, médicaments antalgiques et techniques physiques, comme les ultrasons, la stimulation magnétique ou le laser... Face à ces perspectives médicales et scientifiques nouvelles, notre société devra cependant veiller à ce que chacun puisse bénéficier, particulièrement en fin de vie, de ces progrès qui devront être mis en œuvre avec discernement et humanité...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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