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Edito : La télévision sur mobile prend son envol mais cherche son modèle économique

En recevant la télévision et la vidéo, les écrans des téléphones portables sont devenus un media incontournable, qui ne laisse indifférents ni les producteurs de programmes audiovisuels ni les opérateurs de télécommunications mobiles. Au MIPCOM, marché international des programmes audiovisuels qui se tient chaque année à Cannes (Alpes-Maritimes), Endemol, puissante société européenne de production, a annoncé le lancement, en partenariat avec des opérateurs de téléphonie mobile, de deux "chaînes" pour mobile, et vient également de créer une division dédiée au nouveau média.

La France n'est pas en reste. Orange, premier opérateur de téléphonie mobile français (21,4 millions d'abonnés) a en effet annoncé un accord avec le groupe Canal+, qui permettra au groupe audiovisuel d'offrir dans un premier temps, pour quelques euros par jour, près de 200 vidéos.

Le nombre de consultations d'images animées sur portable, qui atteignait quelques milliers début 2005 s'élève aujourd'hui à trois millions par mois. Environ la moitié des abonnés à un téléphone 3G l'utilisent pour regarder des images animées. Sur une base de plus de 500.000 abonnés au 3G fin 2005, et de 2 millions fin 2006, il y aurait un public potentiel d'un million de Français à la fin de cette année. Selon Endemol, son programme de télé-réalité le plus célèbre, "Big Brother", a donné lieu à six millions de minutes de consultation en ligne sur téléphone en 2005 et à 500.000 téléchargements en Australie, en Italie et au Royaume-Uni.

Selon une récente étude de Strategy Analytics, le marché des contenus pour mobile atteindrait 70 milliards de dollars au niveau mondial en 2008, dont 5,7 milliards pour la vidéo sur mobile. Le nombre de téléphones équipés en vidéo devrait passer de 65 millions en 2004 à 712 millions en 2008. Déjà, les industriels ont une image assez précise du nouveau consommateur. En général, un homme jeune, "dans les 20, 30 ans" mais pas nécessairement passionné de haute technologie. Fait remarquable, le taux de pénétration du portable de troisième génération est particulièrement élevé dans les pays pauvres. L'usage de la télévision sur portable est en effet radicalement différent de celui de la télévision fixe. Sur l'écran minuscule du téléphone, les programmes sont nécessairement courts, en général moins de deux minutes.

Si la télévision sur mobile est déjà une réalité en Asie, notamment en Corée du Sud et au Japon, la Grande-Bretagne et la France en sont encore au stade des expérimentations. Tandis que la Grande-Bretagne a commencé ses essais dès cet été, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a autorisé le 13 septembre 2005 un bouquet de quatre expérimentations simultanées de télévision "en mobilité" en région parisienne pour TDF, TPS, Canal+ et un consortium constitué par TF1 et VDL.

Le groupe audiovisuel Canal+ et l'opérateur de télécommunications Orange proposent, depuis octobre 2005, une offre commune de programmes vidéos sur téléphone mobile. Plus de 200 vidéos courtes, en général d'une durée inférieure à deux minutes, spécialement conçues pour l'utilisation sur les mobiles, sont disponibles pour les possesseurs de téléphone de troisième génération. L'abonnement se fait à partir du portail Orange World Video selon deux formules, l'accès découverte 24 heures, à 3 euros, et l'abonnement mensuel illimité à 5 euros.

Il reste que la télévision sur portable, encore au stade des expérimentations, est freinée dans son développement par une aberration technologique. Pour transmettre leurs émissions, les opérateurs utilisent l'UMTS ou l'Edge. Or, ces deux normes ont été conçues pour le transfert de la voix, de la vidéo et des données de point à point, autrement appelé "Unicast". Si elles conviennent au téléchargement de vidéos à la demande, elles ne sont donc en aucun cas adaptées à un usage de masse de la télévision, dit "Broadcast". D'où notamment une tarification à la seconde qui rend le suivi d'une émission complète exorbitant.

L'avenir de la télévision pour portable passe donc par l'adoption d'une nouvelle norme. En France, comme dans la plupart des pays européens, le choix tend à se porter sur le DVB-H, dérivé de la TNT, spécialement conçu pour les appareils mobiles.

L'objectif du DVB-H est de diffuser le même signal sur des millions de combinés. Les émissions ne passent donc plus par le réseau 3G de l'opérateur mais par le réseau hertzien. Problème, ces fréquences sont en nombre limité, déjà saturées par la télévision analogique, la TNT ou la télévision locale. En attendant de définir un cadre réglementaire clair, le CSA a délivré quatre autorisations d'expérimentation. La dernière à être lancée, celle de TDF, rassemble la quasi totalité des acteurs du mobile en France. TDF diffuse à Paris pendant neuf mois une trentaine de programmes encodés en MPEG-4 depuis cinq émetteurs, dont la tour Eiffel.

Avec ce procédé de diffusion, la qualité de l'image comme du son paraît nettement supérieure sur la TNT mobile comparé à la 3G. Selon TDF, à la suite d'une expérimentation menée à Helsinki avec Nokia, les testeurs restent en moyenne 20 minutes devant leur très petit écran. C'est peu, comparé aux 3h30 quotidiennes d'un français devant la télévision, mais cela suffit à conférer à ce marché un potentiel énorme et à aiguiser les appétits des opérateurs et des producteurs de contenus numériques.

Il reste que le succès commercial et la généralisation de la télévision sur mobile ne sont pas seulement liés à une offre attractive et formatée de programmes mais dépendent également de l'évolution technologique des mobiles eux- mêmes et notamment de leurs écrans. Tant que l'écran restera physiquement intégré au mobile, sa taille restera limitée pour des raisons ergonomiques et physiques à la taille de l'appareil. Comment associer un écran confortable, c'est-à-dire de grande taille, à un mobile qui doit rester suffisamment petit et compact pour se loger dans la poche ? La solution à cette quadrature du cercle viendra sans doute du découplage physique entre notre mobile et son écran, du moins pour la fonction "téléviseur". Pour parvenir à ce découplage, deux pistes technologiques sont envisagées.

On peut tout d'abord imaginer des écrans flexibles en polymères pouvant être fixés directement sur l'avant-bras ou la manche de notre veste. De tels écrans sont à l'étude dans les laboratoires d'électronique du monde entier et devraient apparaître sur le marché avant la fin de la décennie.

L'autre voie est la virtualisation de l'écran en l'intégrant dans des lunettes spéciales. Ces écrans virtuels donnent la même sensation et le même confort qu'un écran physique d'un mètre de diagonale mais ils sont chers à produire et posent également le problème de l'isolation sensorielle : utiliser de tels écrans dans la rue ou en voiture peut être très dangereux car l'utilisateur est complètement coupé de la réalité et il faut prévoir des dispositifs qui maintiennent un contact sensoriel avec le monde extérieur.

Quoiqu'il en soit, l'arrivée de ces écrans flexibles et virtuels devrait faire exploser la télévision sur mobile et rompre définitivement le lien vieux de plus d'un demi-siècle entre foyer et consommation de la télévision. Mais personne ne peut prédire aujourd'hui quels types de programmes nous aurons envie de regarder avec nos futurs mobiles à écrans virtuels et comment s'équilibreront les fonctions "télévision", "visiophone" et consultation du Web. Il se peut en effet que le désir de convivialité l'emporte et que les mobilnautes aient davantage envie d'utiliser la visiophonie interpersonnelle ou communautaire ou leur messagerie instantanée que de regarder seuls la télévision en mobilité.

On peut s'attendre, comme cela a toujours été le cas tout au long de l'évolution technologique, à ce que l'apparition non prévue de nouveaux usages socio-culturels de ces mobiles polyvalents et universels vienne chambouler les prévisions et modèles économiques d'aujourd'hui, démontrant une fois de plus que l'homme est toujours plus complexe et imaginatif que la technologie et parvient toujours à se réapproprier la technique pour créer de nouvelles formes de convivialité et de sociabilité.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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