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Edito : Le téléphone mobile est-il dangereux pour la santé ?

Depuis le début de ce siècle, le nombre d’abonnés au téléphone mobile a été multiplié par dix dans le monde, passant de 700 millions à 7 milliards, début 2016, et les prévisions tablent sur 9,2 milliards d’abonnements en 2020, un nombre qui sera alors supérieur à celui de la population mondiale !

En France, il y avait, selon l’ARCEP, 72 millions d’abonnés au téléphone mobile au début de l’année et pour que chacun puisse utiliser son mobile dans de bonnes conditions sur la quasi-totalité du territoire, les opérateurs ont dû déployer au fil des années  plus de 50 000 antennes-relais. 

Dès l’apparition du téléphone mobile, il y a plus de 30 ans, certains scientifiques et certaines associations se sont inquiétés des effets sur la santé de cette exposition accrue et permanente aux champs électromagnétiques générés par ce développement considérable de la téléphonie, puis de l’Internet mobiles.

En France, la norme d’émission des antennes relais oscille entre 41 et 61 V/m mais certaines associations préconisent de descendre à 0,6 volt/mètre, seuil qu’elles considèrent comme celui à ne pas dépasser pour que cette exposition aux ondes reste sans effets pour la santé. Mais en août 2013, un comité d'opérateurs, d'experts, d'élus et d'associations, a remis au Gouvernement un rapport sur la réduction de l'exposition des Français aux ondes.

Ce rapport montre que pour parvenir à un abaissement de la puissance des antennes-relais tout en préservant la qualité de couverture, il faudrait au moins tripler leur nombre pour conserver la même qualité de téléphonie mobile. Quant au seuil de 0,6 volt/mètre, il ne correspond à aucune norme sanitaire ni scientifique, selon l'Agence nationale des fréquences (ANFR). 

Le 31 mai 2011, le débat sur les effets biologiques et médicaux des ondes électromagnétiques a été relancé de manière très médiatisée lorsque le CIRC, basé à Lyon, a classé comme « cancérogène possible » ces ondes. Bien que les experts du CIRC n’aient pas réussi, faute de données suffisantes et fiables, à quantifier ce risque, ils se sont appuyés sur une étude rétrospective de l’utilisation du téléphone portable (jusqu’en 2004), qui montre un risque accru de 40 % de gliome chez les plus grands utilisateurs (moyenne rapportée : 30 minutes par jour sur une période de 10 ans).

Commentant ces résultats, le Docteur Jonathan Samet (Université de Californie du Sud, Etats‐Unis), Président du Groupe de Travail, a indiqué que « les données, qui ne cessent de s’accumuler, sont suffisantes pour conclure à la classification en 2B qui signifie qu’il pourrait y avoir un risque, et qu’il faut donc surveiller de près le lien possible entre les téléphones portables et le risque de cancer ».  

Il y a quelques jours, ce débat récurrent a pris une nouvelle ampleur avec la publication, par le National Toxicology Program (NTP) américain, de la première partie d’une étude toxicologique de grande ampleur, conduite sur 90 rats pendant deux ans et demi. Les résultats provisoires de ce travail suggèrent un lien entre deux cancers rares et l’exposition à des radiofréquences de 900 MHz, modulées selon deux normes de téléphonie mobile : GSM et CDMA.

Selon les premières données de cette étude, il existerait une « incidence faible » de gliome cérébral et d’une tumeur très inhabituelle, le schwannome cardiaque, chez les rats mâles ayant été exposés à ces radiofréquences. Aucun des rats du groupe témoin n’a développé ce type de cancer (Voir bioRvix).

Dans le cadre de cette expérimentation, certains groupes ont été exposés à des niveaux de rayonnement de 1,5 Watt par kilogramme (W/kg), d’autres à 3 W/kg et à 6 W/kg, ce qui correspond à des niveaux d’exposition sensiblement supérieurs à ceux des humains : la plupart des téléphones portables commercialisés ont un débit d’absorption spécifique (DAS) inférieur à 1 W/kg. 

Pour les deux normes d’émissions testées (GSM et CDMA), les résultats indiquent une incidence des deux cancers qui croît globalement avec le niveau de rayonnement reçu par les animaux. La proportionnalité de l’effet dose-réponse est en particulier claire pour le schwannome. Reste que, de manière inexplicable, seuls les mâles sont touchés. Les femelles en revanche, pourtant soumises aux mêmes conditions, ne développent pas ces maladies…

Au CIRC de Lyon, on suit évidemment avec beaucoup d’attention la publication de ces résultats et les responsables de cet organisme ont précisé que le CIRC, lorsqu’il aura connaissance des résultats complets de cette étude, pourra naturellement être amené à revoir la classification du risque cancérogène des ondes électromagnétiques des radiofréquences (Voir Cancer Epidemiology).

Pourtant, les premiers résultats de cette étude américaine laissent pour le moins dubitatifs certains épidémiologistes de renom. C’est par exemple le cas de Catherine Hill, épidémiologiste de l'Inserm et spécialiste de l'étude de la fréquence et des causes du cancer, qui trouve étrange que seuls les rats males soient concernés. Les rats ont été exposés à des doses très fortes et il est étrange que seuls les mâles aient été touchés. « Cela ressemble fortement à un résultat faux positif », souligne-t-elle.

Catherine Hill ajoute qu’elle est plus convaincue par une autre étude australienne, réalisée par des chercheurs de l'Université de Sydney, qui vient également d’être publiée et montre que depuis 1982, la fréquence des tumeurs cérébrales n'a pas augmenté chez une population de 24 millions d'individus, alors que cette dernière s'est rapidement équipée.

Cette étude rigoureuse s’appuie sur les données très fiables du registre national du cancer, entre 1982 et 2012, qui indiquent que plus de 34.000 tumeurs cérébrales ont été diagnostiquées en Australie (19.858 hommes et 14.222 femmes âgés entre 20 et 84 ans), tandis que le pourcentage d'Australiens équipés augmentait considérablement : alors que 9 % des plus de 20 ans possédaient un mobile en 1993, ils seraient plus de 90 % aujourd'hui.

Le résultat de ces recherches montre sans ambiguïté que la fréquence des cancers cérébraux est restée quasiment stable ces trente dernières années, alors qu’elle aurait dû augmenter de manière très significative si, comme le suggèrent certains scientifiques, l'usage du téléphone portable entraînait une hausse de l'incidence des cancers cérébraux de 50 %.

Simon Chapman, co-auteur de l'étude, souligne en outre que cette étude est d’autant plus solide qu’en Australie, la loi oblige l’enregistrement de tous les cancers dans un registre public depuis plusieurs décennies, ce qui garantit une grande fiabilité des données utilisées.

Si l'on regarde à présent les études précédentes sur le sujet, la majorité d'entre elles n'ont pas montré de lien entre augmentation d’incidence des cancers du cerveau et utilisation du portable. A cet égard, il faut revenir sur l'interprétation des résultats de l'étude CERENAT, réalisée par les chercheurs de l'Inserm-ISPEd de Bordeaux et publiée en 2014. Cette étude, menée dans 4 endroits en France (Gironde, Calvados, Manche et Hérault) et initiée en 2004, a analysé les données d’exposition au téléphone mobile et les données médicales de 1339 personnes âgées de 59 ans en moyenne : 253 présentaient une tumeur cérébrale de type gliome, 194 de type méningiome (diagnostiquées entre 2004 et 2006) et 892 ne présentaient pas de tumeurs.

Dans ses conclusions, cette étude soulignait que « L’utilisation massive du téléphone portable, supérieure ou égale à 896h d’appels dans une vie serait associée au développement de tumeurs cérébrales ». En clair, ces travaux montraient que chez ces utilisateurs intensifs du mobile, le risque d’avoir une association positive entre l’utilisation du téléphone et le développement de tumeurs cérébrales est augmentée pour celles qui téléphonent plus de 15h par mois.

Mais l'Inserm a publié en mai 2014 une mise au point, après la présentation alarmiste et simplifiée de son étude dans les médias, en soulignant qu’il évoquait dans ses travaux une "association" et en aucun cas un lien de cause à effet. Autrement dit, il est faux de dire, en s'appuyant sur cette étude, qu’une personne utilisant massivement son téléphone portable développera une tumeur au cerveau.

Il faut également évoquer une autre étude menée au Danemark par Patrizia Frei sur une vingtaine d'années auprès de 360.000 détenteurs de téléphones portables. Cette fois, les chercheurs ont analysé les données disponibles pour 358.403 personnes ayant contracté un abonnement entre 1982 et 1995. Pour la période analysée (de 1990 à 2007), les chercheurs dénombrent 10.729 cas de tumeurs du système nerveux central (gliomes et méningiomes) dans la cohorte. L’incidence n’est pas plus élevée chez ceux qui détiennent un téléphone mobile depuis plus de 13 ans, soulignent les scientifiques. Cette étude conclut à l’absence d’une relation de cause à effet entre l’usage du téléphone mobile et le risque de tumeurs cérébrales (Voir BMJ). 

Enfin, citons l'étude « Interphone », publiée en mai 2010 (Voir IARC). Ces recherches ont porté sur 2708 personnes atteintes de gliome, 2409 de méningiome, 1100 neurinomes de l'acoustique et 400 tumeurs de la glande parotide. Tous ces patients ont ensuite été comparés à des cas témoins en bonne santé, âgés de 30 à 59 ans. Les personnes incluses dans cette étude utilisaient en moyenne leur téléphone portable de 2h à 2h30 par mois. L'étude a cette fois révélé un risque de gliome de 40 % supérieur, et un risque de méningiome de 15 % supérieur uniquement chez les personnes ayant déclaré une utilisation fréquente du téléphone portable (au moins 30 minutes par jour depuis dix ans).

Les autorités de santé restent quant à elles prudentes et n'envisagent pas dans l'immédiat de modifications de la réglementation concernant la localisation et la puissance des antennes-relais de téléphonie mobile. L'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), dans son rapport de 2013, souligne que "les expositions environnementales de la population générale et leurs variations temporelles devraient être mieux documentées" et se borne à faire certaines recommandations de prudence, comme un usage accru du kit mains libres et une exposition limitée pour les enfants).

Alors que conclure de toutes ces études, aux résultats parfois contradictoires ? Premièrement, qu’il n’existe à ce jour aucune certitude scientifique solide et définitivement établie montrant l’existence d’un lien direct de cause à effet entre l’utilisation d’un mobile, ou l’exposition aux ondes électromagnétiques, et l’augmentation de l’incidence du cancer du cerveau. A cet égard, il faut rappeler que, parmi les cancers dont l’incidence a augmenté depuis 25 ans, le cancer du cerveau n’arrive qu’en 7eme position (+ 40 %) avec seulement 5 400 cas répertoriés en France en 2015, soit environ 1,5 % de l’ensemble des cancers.

Deuxièmement, nous devons accepter l’idée que le risque zéro n’existe pas et que toute action humaine est susceptible de présenter un danger, pour certaines personnes et dans certaines circonstances. L’utilisation du mobile n’échappe pas à cette règle et je doute fort que nos concitoyens soient prêts à renoncer à cet outil extraordinaire d’information et de communication, ou même à moins l’utiliser, pour se prémunir d’un risque qui reste hypothétique. Cela n’empêche bien entendu en rien de poursuivre les recherches scientifiques pour mieux évaluer la nature et l’ampleur des risques sanitaires liés au développement de l’usage de cette technologie.

Comme le remarque de manière très pertinente le philosophe Luc Ferry, l’application généralisée et presque sacralisée du principe de précaution, pour lequel j’ai malheureusement apporté mon vote d’approbation lors d’une réunion du Congrès à Versailles pour modifier la Constitution, traduit une défiance croissante, et parfois même une haine du progrès scientifique et technique, à présent considéré de plus en plus souvent comme a priori suspect et nuisible, alors qu’il a permis, l’avons-nous oublié, en seulement un siècle une augmentation absolument sans précédent dans l’histoire de notre espèce de notre durée de vie, mais également une amélioration extraordinaire de nos conditions d’existence dans tous les domaines.

En remplaçant le goût du risque et le désir d’entreprendre et d’innover par la peur et le rejet systématique du changement, de la nouveauté, de la création et en cultivant sans cesse la nostalgie d’un temps révolu et imaginaire, où l’homme aurait vécu en harmonie avec la nature - alors qu’il n’a cessé de la combattre et de la transformer pour survivre - nous transformons les mentalités de nos concitoyens et surtout nous retirons à nos enfants l’exaltation de l’aventure. Ils sont de plus en plus nombreux à quitter la France pour entreprendre ailleurs en sachant prendre des risques.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Jack Teste-Sert

    17/06/2016

    La haine de quoique ce soit est une addiction personnelle, de conscience quantique, donc littéralement retournée.
    Si l'on utilise abusivement... n'importe quelle dépendance extérieure, de plus en la craignant..., l'effet craint est considérablement amplifié et retourné !

    Chacun d'entre nous peut faire UN TEST visuel pour se le certifier.
    Il est bien "connu" que de se mettre au soleil de manière abusive serait "mauvais pour la peau". Que de regarder le soleil pourrait "rendre aveugle"... TOTALEMENT VRAI ?

    Alors mettez-vous le soir au soleil couchant à fixer le Soleil... avec AMOUR (simplement en l'aimant pour l'énergie qu'il apporte à La Vie sur Terre), vous verrez ce disque lumineux devenir au contour net, blanc hostie..., puis vous verrez apparaître autour progressivement les couleurs pastel de l'arc-en-ciel !
    Quand enseignera-t-on aux humains à être responsables de chacune de leurs pensées et croyances ? Alors, et alors seulement, la planète "hume-haine"... fera son ascension vers les niveaux parfaits de Lumière et de Vie !

  • Jean Mourain

    18/06/2016

    Vous avez le courage de reconnaitre l'erreur qui a conduit à inclure le principe de précaution dans la Constitution ("...l’application généralisée et presque sacralisée du principe de précaution, pour lequel j’ai malheureusement apporté mon vote d’approbation lors d’une réunion du Congrès à Versailles pour modifier la Constitution"). Bravo.
    Pensez vous que quelqu'un prendra un jour l'initiative de la corriger? Non pas qu'il faille être béat devant toute création humaine bien sûr.

  • 896 heures, c'est relativement peu.
    2 h par mois = 24 h par an = 240 h par 10 ans = 960 heures sur 40 ans !
    Nous y serons (presque) tous petit à petit !

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